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Il reste aujourd'hui un fait important à examiner. On reprocha à Julien d'avoir voulu faire mentir la prophétie de JESUS-CHRIST en rebâtissant le temple de Jérufalem. On dit qu'il fortit de terre des feux qui empêchèrent l'ouvrage. On dit que c'est un miracle, & que ce miracle ne convertit ni Julien, ni Alipius intendant de cette entreprise, ni perfonne de fa cour; & là-deffus l'abbé de la Bléterie s'exprime ainfi : "Lui & les philofophes de fa cour mirent fans doute œuvre ce qu'ils favaient de physique pour "dérober à la Divinité un prodige fi éclatant. La " nature fut toujours la reffource des incrédules, mais elle fert la religion fi à propos qu'ils devraient ❞ au moins la foupçonner de collufion.

Premièrement, il n'est il n'eft pas vrai qu'il foit dit dans l'Evangile que jamais le temple juif ne ferait rebâti. L'évangile de Matthieu, écrit vifiblement après la ruine de Jérufalem par Titus, prophétise, il eft vrai, qu'il ne refterait pas pierre fur pierre de ce temple de l'iduméen Hérode; mais aucun évangélifte ne dit qu'il ne fera jamais rebâti.

Secondement, qu'importe à la Divinité qu'il y ait un temple juif, ou un magafin, ou une mofquée au même endroit où les Juifs tuaient des bœufs & des vaches?

Troisièmement, on ne fait pas fi c'est de l'enceinte des murs de la ville, ou de l'enceinte du temple que partirent ces prétendus feux qui, felon quelques-uns, brûlaient les ouvriers. Mais on ne voit pas pourquoi JESUS aurait brûlé les ouvriers de l'empereur Julien, & qu'il ne brûla point ceux du calife Omar qui longtemps après bâtit une mofquée fur les ruines du

temple; ni ceux du grand Saladin qui rétablit cette même mosquée. JESUS avait-il tant de prédilection pour les mosquées des mufulmans?

Quatrièmement, JESUS, ayant prédit qu'il ne refterait pas pierre fur pierre dans Jérusalem, n'avait pas empêché de la rebâtir.

Cinquièmement, JESUS a prédit plufieurs chofes dont DIEU n'a pas permis l'accompliffement; il a prédit la fin du monde & fon avénement dans les nuécs avec une grande puiffance & une grande majefté, à la fin de la génération qui vivait alors. Cependant le monde dure encore, & durera vraisemblablement assez long temps. (*)

Sixièmement, fi Julien avait écrit ce miracle, je dirais qu'on l'a trompé par un faux rapport ridicule; je croirais que les chrétiens fes ennemis mirent tout en œuvre pour s'oppofer à fon entreprife, qu'ils tuèrent les ouvriers, & firent accroire que ces ouvriers étaient morts par miracle. Mais Julien n'en dit mot. La guerre contre les Perfes l'occupait alors. Il différa pour un autre temps l'édification du temple, & il mourut avant de pouvoir commencer l'édifice.

Septièmement, ce prodige eft rapporté dans Ammien Marcellin qui était païen. Il eft très-poffible que ce foit une interpolation des chrétiens; on leur en a reproché tant d'autres qui ont été avérées.

Mais il n'eft pas moins vraisemblable que dans un temps où on ne parlait que de prodiges & de contes de forciers, Ammien Marcellin ait rapporté cette fable fur la foi de quelque efprit crédule. Depuis Tite-Live

(*) Luc, chap. I, v. 2.

jufqu'à de Thou inclufivement, toutes les hiftoires font infectées de prodiges.

Huitièmement, fi JESUS fefait des miracles, feraitce pour empêcher qu'on ne rebâtît un temple où luimême facrifia, & où il fut circoncis? ne ferait-il pas des miracles pour rendre chrétiens tant de nations qui fe moquent du chriftianisme, ou plutôt pour rendre plus doux & plus humains ces chrétiens qui depuis Arius & Athanafe jufqu'aux Roland & aux Cavalier des Cévènes ont verfé des torrens de fang, & fe font conduits en cannibales?

De-là je conclus que la nature n'est point en collufion avec le chriflianifme, comme le dit la Bléterie; mais que la Bléterie eft en collufion avec des contes de vicilles, comme dit Julien : Quibus cum ftolidis aniculis negotium erat.

La Bléterie, après avoir rendu juftice à quelques vertus de Julien, finit pourtant l'histoire de ce grandhomme, en difant que fa mort fut un effet de la vengeance divine. Si cela eft, tous les héros morts jeunes depuis Alexandre jusqu'à Gustave-Adolphe, ont donc été punis de DIEU. Julien mourut de la plus belle des morts, en poursuivant fes ennemis après plufieurs victoires. Jovien, qui lui fuccéda, régna bien moins long-temps que lui, & régna avec honte. Je ne vois point la vengeance divine, & je ne vois plus dans la Bléterie qu'un déclamateur de mauvaise foi; mais où font les hommes qui ofent dire la vérité?

Le ftoïcien Libanius fut un de ces hommes rares; il célébra le brave & clément Julien devant Théodofe le meurtrier des Theffaloniciens, mais le Beau & la Bléterie tremblent de le louer devant des habitués de paroiffe.

SECTION II.

QU'ON U'ON fuppofe un moment que Julien a quitté les faux dieux pour la religion chrétienne; qu'alors on examine en lui l'homme, le philofophe & l'empereur, & qu'on cherche le prince qu'on ofera lui préférer. Il n'y a pas encore long-temps qu'on ne citait fon nom qu'avec l'épithète d'apoftat; & c'est peut-être le plus grand effort de la raifon, qu'on ait enfin ceffé de le défigner de ce furnom injurieux. Les bonnes études ont amené l'efprit de tolérance chez les favans. Qui croirait que dans un mercure de Paris de l'année 1741, l'auteur reprend vivement un écrivain d'avoir manqué aux bienféances les plus communes, en appelant cet empereur Julien l'apoftat? Il y a cent ans que quiconque ne l'eût pas traité d'apoftat eût été traité d'athée.

Ce qui eft très-fingulier & très-vrai, c'eft que fi vous faites abstraction de fon malheureux changement, fi vous ne fuivez cet empereur ni dans les églifes chrétiennes, ni aux temples idolâtres ; fi vous le fuivez dans fa maison, dans les camps, dans les batailles, dans fes mœurs, dans fa conduite, dans fes écrits ; vous le trouvez par-tout égal à Marc-Aurèle. Ainfi cet homme, qu'on a peint abominable, eft peut-être le premier des hommes, ou du moins le fecond. Toujours fobre, toujours tempérant, n'ayant jamais eu de maîtreffes, couchant fur une peau d'ours, & y donnant, à regret encore, peu d'heures au fommeil; partageant fon temps entre l'étude & les

affaires; généreux, capable d'amitié, ennemi du fafte; on l'eût admiré s'il n'eût été que particulier.

Si on regarde en lui le héros, on le voit toujours à la tête des troupes, rétablissant la difcipline militaire fans rigueur, aimé des foldats, & les contenant; conduifant prefque toujours à pied fes armées, & leur donnant l'exemple de toutes les fatigues; toujours victorieux dans toutes fes expéditions jufqu'au dernier moment de fa vie, & mourant enfin en fefant fuir les Perfes. Sa mort fut d'un héros, & fes dernières paroles d'un philofophe: Je me foumets, dit-il, avec joie aux décrets éternels du ciel, convaincu que celui qui eft épris de la vie quand il faut mourir, eft plus lâche que celui qui voudrait mourir quand il faut vivre. Il s'entretient à fa dernière heure de l'immortalité de l'ame; nuls regrets, nulle faibleffe; il ne parle que de fa foumiffion à la providence. Qu'on fonge que c'est un empereur de trente-deux ans qui meurt ainfi, & qu'on voie s'il eft permis d'infulter fa mémoire.

Si on le confidère comme empereur, on le voit refufer le titre de dominus qu'affectait Conftantin, foulager les peuples, diminuer les impôts, encourager les arts, réduire à foixante & dix onces ces préfens de couronnes d'or de trois à quatre cents marcs, que fes prédéceffeurs exigeaient de toutes les villes, faire obferver les lois, contenir fes officiers & fes miniftres, & prévenir toute corruption.

Dix foldats chrétiens complotent de l'affaffiner; ils font découverts, & Julien leur pardonne. Le peuple d'Antioche qui joignait l'infolence à la volupté, l'infulte; il ne s'en venge qu'en homme d'efprit, &

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