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Auguftin l'accufe d'être inconftant & léger, (k) mais enfin il n'en était pas moins faint, il n'en était pas moins doce; fon témoignage n'en est pas moins recevable fur la nature du miférable pays dans lequel fon ardeur pour l'étude & fa mélancolie l'avaient confiné.

Ayez la complaifance de lire fa lettre à Dardanus, écrite l'an 414 de notre ère vulgaire, qui eft, fuivant le comput juif, l'an du monde 4000, ou 4001, ou 4003, ou 4004, comme on voudra.

" (1) Je prie ceux qui prétendent que le peuple ,, juif, après sa fortie d'Egypte, prit poffeffion de ce ,, pays qui eft devenu pour nous, par la paffion & la ,, réfurrection du Sauveur, une véritable terre de

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promeffe; je les prie, dis-je, de nous faire voir ce ,, que ce peuple en a poffédé. Tout fon domaine ne ,, s'étendait que depuis Dan jufqu'à Berfabée, c'eft-à" dire l'efpace de cent foixante milles de longueur. ,, L'écriture fainte n'en donne pas davantage à David ,, & à Salomon... J'ai honte de dire quelle eft la , largeur de la terre promife, & je crains que les ⚫ païens ne prennent de-là occafion de blafphemer. "On ne compte que quarante & fix milles depuis Joppé jufqu'à notre petit bourg de Bethleem, après ›› quoi on ne trouve plus qu'un affreux défert.,,

......

Lifez auffi la lettre à une de fes dévotes, où il dit qu'il n'y a que des cailloux & point d'eau à boire de Jérufalem à Bethlćem; mais plus loin, vers le Jourdain,

() En récompenfe Jérôme écrit à Auguftin dans fa cent quatorzière lettre: Je n'ai point critiqué vos ouvrages, car je ne les ai jamais lus ; & fi je voulais les critiquer, je pourrais vous faire voir que vous n'entendez point les pères grecs..... Vous ne favez pas même ce dont vous parlcz.

(1) Lettre très-importante de Jérôme.

vous auriez d'affez bonnes vallées dans ce pays hériffé de montagnes pelées. C'était véritablement une contrée de lait & de miel, comme vous difiez, en comparaifon de l'abominable défert d'Oreb & de Sinaï dont vous êtes originaires. La Champagne pouilleufe eft la terre promise par rapport à certains terrains des landes de Bordeaux. Les bords de l'Aar font la terre promife en comparaifon des petits cantons fuiffes. Toute la Palestine eft un fort mauvais terrain en comparaison de l'Egypte, dont vous dites que vous fortîtes en voleurs; mais c'est un pays délicieux fi vous le comparez aux déferts de Jérufalem, de Nazareth, de Sodome, d'Oreb, de Sinaï, de Cadès-barné &c.

Retournez en Judée le plutôt que vous pourrez. Je vous demande feulement deux ou trois familles hébraïques pour établir au mont Krapac, où je demeure, un petit commerce néceffaire. Car fi vous êtes de très-ridicules théologiens, (& nous auffi) vous êtes des commerçans très-intelligens, ce que nous ne fommes pas.

SEPTIE ME LETTRE.

Sur la charité que le peuple de Dieu & les chrétiens doivent avoir les uns pour les autres.

MA tendreffe pour vous n'a plus qu'un mot à vous

dire. Nous vous avons pendus entre deux chiens pendant des fiècles; nous vous avons arraché les dents pour vous forcer à nous donner votre argent; nous vous avons chaffés piufieurs fois par avarice, & uous

vous avons rappelés par avarice & par bêtife; nous vous fefons payer encore dans plus d'une ville la liberté de refpirer l'air; nous vous avons facrifiés à DIEU dans plus d'un royaume; nous vous avons brûlés en holocauftes car je ne veux pas, à votre exemple, diffimuler que nous ayons offert à DIEU des facrifices de fang humain. Toute la différence eft que nos prêtres vous ont fait brûler par des laïques, fe contentant d'appliquer votre argent à leur profit, & que vos prêtres ont toujours immolé les victimes humaines de leurs mains facrées. Vous fûtes des monftres de cruauté & de fanatifme en Palestine, nous l'avons été dans notre Europe; oublions tout cela, mes amis.

Voulez-vous vivre paisibles? imitez les Banians & les Guèbres; ils font beaucoup plus anciens que vous, ils font difperfés comme vous, ils font fans patrie comme vous. Les Guèbres furtout, qui font les anciens Perfans, font efclaves comme vous après avoir été long-temps vos maîtres. Ils ne difent mot; prenez ce parti. Vous êtes des animaux calculans, tâchez d'être des animaux penfans.

JUL

ULIE N.

SECTION PREMIERE.

ON rend quelquefois justice bien tard. Deux ou

trois auteurs ou mercenaires, ou fanatiques parlent du barbare & de l'efféminé Conftantin comme d'un dieu, & traitent de fcélérat le jufte, le fage, le grand Julien. Tous les auteurs, copistes des premiers, répètent

la flatterie & la calomnie; elles deviennent prefque un article de foi. Enfin, le temps de la faine critique arrive; & au bout de quatorze cents ans des hommes éclairés revoient le procès que l'ignorance avait jugé. On voit dans Conftantin un heureux ambitieux qui fe moque de DIEU & des hommes. Il a l'infolence de feindre que DIEU lui a envoyé dans les airs une enfeigne qui lui affure la victoire. Il fe baigne dans le fang de tous fes parens, & il s'endort dans la molleffe; mais il était chrétien, on le canonifa.

Julien eft fobre, chaste, désintéressé, valeureux, clément, mais il n'était pas chrétien ; on l'a regardé long-temps comme un monftre.

Aujourd'hui, après avoir comparé les faits, les monumens, les écrits de Julien & ceux de fes ennemis, on eft forcé de reconnaître que s'il n'aimait pas le chriftianisme, il fut excufable de haïr une fecte fouillée du fang de toute fa famille ; qu'ayant été perfécuté, emprisonné, exilé, menacé de mort par les Galiléens fous le règne du barbare Conftance, il ne les perfécuta jamais; qu'au contraire, il pardonna à dix foldats chrétiens qui avaient confpiré contre fa vie. On lit fes lettres, & on admire. Les Galiléens, dit-il, ont Souffert fous mon prédéceffeur l'exil & les prifons; on a maffacré réciproquement ceux qui s'appellent tour à tour hérétiques. J'ai rappelé leurs exilés, élargi leurs prifonniers; j'ai rendu leurs biens aux profcrits; je les ai forcés de vivre en paix. Mais telle eft la fureur inquiète des Galiléens qu'ils fe plaignent de ne pouvoir plus fe dévorer les uns les autres. Quelle lettre! quelle fentence portée par la philofophie contre le fanatifme perfécuteur! Dix chrétiens confpirent contre fa vie, on les découvre,

il leur pardonne. Quel homme! mais quels lâches fanatiques que ceux qui ont voulu déshonorer fa

mémoire !

Enfin, en difcutant les faits, on a été obligé de convenir que Julien avait toutes les qualités de Trajan, hors le goût fi long-temps pardonné aux Grecs & aux Romains; toutes les vertus de Caton, mais non pas fon opiniâtreté & fa mauvaise humeur; tout ce qu'on admira dans Jules-Céfar, & aucun de fes vices; il eut la continence de Scipion; enfin il fut en tout égal à Marc-Aurèle le premier des hommes.

On n'ofe plus répéter aujourd'hui, après le calomniateur Théodoret, qu'il immola une femme dans le temple de Carres pour se rendre les dieux propices. On ne redit plus qu'en mourant il jeta de fa main quelques gouttes de fon fang au ciel, en difant à JESUS-CHRIST: Tu as vaincu, Galiléen, comme s'il cût combattu contre JESUS en fefant la guerre aux Perfes; comme fi ce philofophe, qui mourut avec tant de résignation, avait reconnu JESUS; comme s'il eût cru que JESUS était en l'air, & que l'air était le ciel ! ces inepties de gens qu'on appelle pères de l'Eglife ne fe répètent plus aujourd'hui.

On eft enfin réduit à lui donner des ridicules, comme fefaient les frivoles citoyens d'Antioche. On lui reproche fa barbe mal peignée, & la manière dont il marchait. Mais, M. l'abbé de la Bléterie, vous ne l'avez pas vu marcher, & vous avez lu fes lettres & fes lois, monumens de fes vertus. Qu'importe qu'il eût la barbe fale & la démarche précipitée, pourvu que fon cœur fût magnanime & que tous fes pas tendiffent à la vertu?

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