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d'agneau cuit avec des laitues le quatorzième jour de la lune rouffe; & je puis vous affurer que l'extrême beauté qu'on vantait dans cette fille n'entra point dans la fource de mes larmes, quoiqu'elle dût augmenter dans les fpectateurs l'horreur pour les affaffins, & la pitié pour la victime.

Je ne fais comment je m'avifai de faire un poëme épique à l'âge de vingt ans. (Savez-vous ce que c'est qu'un poëme épique?' pour moi je n'en favais rien alors.) Le législateur Montefquieu n'avait point encore écrit fes Lettres perfanes que vous me reprochez d'avoir commentées, & j'avais déjà dit tout feul, en parlant d'un monftre que vos ancêtres ont bien connu, & qui a même encore aujourd'hui quelques dévots:

Il vient; le fanatifme eft fon horrible nom,
Enfant dénaturé de la religion,

Armé pour la défendre il cherche à la détruire;
Et reçu dans fon fein l'embraffe & le déchire.

C'eft lui qui dans Raba, fur les bords de l'Arnon,
Guidait les defcendans du malheureux Ammon,
Quand à Moloc leur dieu, des mères gémiffantes
Offraient de leurs enfans les entrailles fumantes.

Il dicta de Jephté le ferment inhumain :
Dans le cœur de fa fille il conduifit fa main.
C'est lui qui, de Calchas ouvrant la bouche impie,
Demanda par fa voix la mort d'Iphigénie.
France, dans tes forêts il habita long-temps.

A l'affreux Teutates il offrit ton encens.

Tu n'as point oublié ces facrés homicides,
Qu'à tes indignes dieux présentaient tes druides.

Du

Du haut du capitole il criait aux païens:

Frappez, exterminez, déchirez les chrétiens.

Mais lorsqu'au fils de Dieu Rome enfin fut foumise,
Du capitole en cendre il passa dans l'Eglife;
Et dans les cœurs chrétiens infpirant fes fureurs,
De martyrs qu'ils étaient, les fit perfécuteurs.
Dans Londre il a formé la fecte turbulente
Qui fur un roi trop faible a mis fa main fanglante;
Dans Madrid, dans Lisbonne, il allume ces feux,
Ces bûchers folemnels où des juifs malheureux
Sont tous les ans en pompe envoyés par des prêtres,
Pour n'avoir point quitté la foi de leurs ancêtres.

Vous voyez bien que j'étais dès-lors votre ferviteur, votre ami, votre frère, quoique mon père & ma mère m'euffent confervé mon prépuce.

Je fais que l'inftrument ou prépucé, ou déprépucé, a caufé des querelles bien funeftes. Je fais ce qu'il en a coûté à Pâris fils de Priam, & à Ménélas frère d'Agamemnon. J'ai affez lu vos livres pour ne pas ignorer que Sichem fils d'Hémor viola Dina fille de Lia, laquelle n'avait que cinq ans tout au plus, mais qui était fort avancée pour fon âge. Il voulut l'époufer; les enfans de Jacob frères de la violée, la lui donnèrent en mariage, à condition qu'il fe ferait circoncire lui & tout fon peuple. Quand l'opération fut faite, & que tous les Sichemites, ou Sichimites, étaient au lit dans les douleurs de cette befogne, les faints patriarches Simon & Levi les égorgèrent tous l'un après l'autre. Mais après tout, je ne crois pas qu'aujourd'hui le prépuce doive produire de fi abominables horreurs; ne pense pas furtout que les hommes doivent fe Dilionn. philofoph. Tome V.

je

L

haïr, fe détefter, s'anathématifer, fe damner réciproquement le famedi & le dimanche pour un petit bout de chair de plus ou de moins.

Si j'ai dit que quelques déprépucés ont rogné les efpèces à Metz, à Francfort-fur-l'Oder & à Varfovie, ( ce dont je ne me fouviens pas) je leur en demande pardon; car étant prêt de finir mon pélerinage, je ne veux point me brouiller avec Ifraël.

J'ai l'honneur d'être, comme on dit,

Votre &c.

SECONDE LETTRE.

De l'antiquité des Juifs.

MESSIEURS,

JE fuis toujours convenu, à mesure que j'ai lu quelques livres d'hiftoire pour m'amufer, que vous êtes une nation affez ancienne, & que vous datez de plus loin que les Teutons, les Celtes, les Velches, les Sicambres, les Bretons, les Slavons, les Angles & les Hurons. Je vous vois raffemblés en corps de peuple dans une capitale nommée tantôt Hershalaïm, tantôt Shaheb fur la montagne Moriah, & fur la montagne Sion, auprès d'un défert, dans un terrain pierreux, près d'un petit torrent qui eft à fec fix mois de l'année.

Lorfque vous commençâtes à vous affermir dans ce coin, (je ne dirai pas de terre, mais de cailloux) il y avait environ deux fiècles que Troye était détruite par les Grecs;

Medon était archonte d'Athènes ;

Ekefirates régnait dans Lacédémone;

Latinus Silvius régnait dans le Latium ;
Ofochor en Egypte.

Les Indes étaient floriffantes depuis une longue fuite de fiècles.

C'était le temps le plus illuftre de la Chine; l'empereur Tchinvang régnait avec gloire fur ce vafle empire; toutes les fciences y étaient cultivées; & les annales publiques portent que le roi de la Cochinchine étant venu faluer cet empereur Tchinvang, il en reçut en préfent une bouffole. Cette bouffole aurait bien fervi à votre Salomon pour les flottes qu'il envoyait au beau pays d'Ophir, que personne n'a jamais connu.

Ainfi après les Chaldéens, les Syriens, les Perfes, les Phéniciens, les Egyptiens, les Grecs, les Indiens, les Chinois, les Latins, les Toscans, vous êtes le premier peuple de la terre qui ait eu quelque forme de gouver

nement connue.

Les Banians, les Guèbres, font avec vous les feuls peuples, qui difperfés hors de leur patrie, ont confervé leurs anciens rites; car je ne compte pas les petites troupes égyptiennes qu'on appelait Zingari en Italie, Gipfi en Angleterre, Bohèmes en France, lefquelles avaient confervé les antiques cérémonies du culte d'Ifis, le ciftre, les cymbales, les crotales, la danfe d'Ifis, la prophétie, & l'art de voler les poules dans les baffescours. Ces troupes facrées commencent à difparaître de la face de la terre, tandis que leurs pyramides appartiennent encore aux Turcs, qui n'en feront pas peut-être toujours les maîtres non plus que d'Hershalaïm, tant la figure de ce monde passe.

Vous dites que vous êtes établis en Espagne dès le temps de Salomon. Je le crois; & même j'oferais penfer que les Phéniciens purent y conduire quelques juifs long-temps auparavant, lorfque vous futes efclaves en Phénicie après les horribles maffacres que vous dites avoir été commis par Cartouche Jofué, & par Cartouche Caleb.

Vos livres difent en effet (a) que vous futes réduits en fervitude fous Cufan Rashataïm roi d'Aram-Naharaïm pendant huit ans, & fous Eglon (b) roi de Moab pendant dix-huit ans, puis fous Jabin (c) roi de Canaan pendant vingt ans; puis dans le petit canton de Madian dont vous étiez venus, & où vous vécûtes dans des cavernes pendant fept ans.

Puis en Galaad pendant dix-huit ans, (d) quoique Fair votre prince eût trente fils, montés chacun fur un bel ânon.

Puis fous les Phéniciens nommés par vous Philiftins pendant quarante ans, jufqu'à ce qu'enfin le Seigneur Adonaï envoya Samfon qui attacha trois cents renards

(a) Juges, chap. III.

(b) C'est ce même Eglon, roi de Moab, qui fut fi faintement affaffiné au nom du Seigneur par Aod l'ambidextre, lequel lui avait fait ferment de fidélité; & c'est ce même Aod qui fut si souvent réclamé à Paris par les prédicateurs de la ligue. Il nous faut un Aod, il nous faut un Aod; ils crièrent tant qu'ils en trouvèrent un.

(c) C'eft fous ce Jabin que la bonne femme Jahel affaffina le capitaine Sizara, en lui enfonçant un clou dans la cervelle, lequel clou le cloua fort avant dans la terre. Quel maître clou & quelle maîtreffe femme que cette Jahel! on ne lui peut comparer que Judith; mais Judith a paru bien fupérieure, car elle coupa la tête à fon amant dans fon lit après lui avoir donné fes tendres faveurs. Rien n'eft plus héroïque & plus édifiant.

(d) Juges, chap. X.

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