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HORLOGE.

Horloge d'Achas.

IL eft affez connu que tout eft prodige dans l'hif

toire des Juifs. Le miracle fait en faveur du roi Ezechias fur fon horloge appelée l'horloge d'Achas, eft un des plus grands qui fe foient jamais opérés. Il dut être aperçu de toute la terre, avoir dérangé à jamais tout le cours des aftres & particulièrement les momens des éclipfes du foleil & de la lune ; il dut brouiller toutes les éphémérides. C'eft pour la feconde fois que ce prodige arriva. Jofué avait arrêté à midi le foleil fur Gabaon, & la lune fur Aialon pour avoir le temps de tuer une troupe d'Amorrhéens déjà écrafée par une pluie de pierres tombées du ciel.

Le foleil, au lieu de s'arrêter pour le roi Ezéchias, retourna en arrière, ce qui est à peu près la même aventure, mais différemment combinée.

D'abord Ifaïe dit à Ezéchias qui était malade: (a) Voici ce que dit le Seigneur DIEU, mettez ordre à vos affaires, car vous mourrez, & alors vous ne vivrez plus.

Ezéchias pleura, DIEU en fut attendri. Il lui fit dire par Isaïe qu'il vivrait encore quinze ans, & que dans trois jours il irait au temple. Alors Ifaïe fe fit apporter un cataplafme de figues, on l'appliqua fur les ulcères du roi & il fut guéri; & curatus eft.

Ezéchias demanda un figne comme quoi il ferait guéri. Ifaïe lui dit : Voulez-vous que l'ombre du Soleil (a) Rois, liv. IV, chap. XX.

s'avance de dix degrés, ou qu'elle recule de dix degrés? Ezechias dit: Il est aisé que l'ombre avance de dix degrés, je veux qu'elle recule. Le prophète Ifaïe invoqua le Seigneur. & il ramena l'ombre en arrière dans l'horloge d'Achas, par les dix degrés par lefquels elle était déjà defcendue.

On demande ce que pouvait être cette horloge d'Achas, fi elle était de la façon d'un horloger nominé Achas, ou fi c'était un préfent fait autrefois au roi du même nom. Ce n'eft-là qu'un objet de curiofité. On a difputé beaucoup fur cette horloge; les favans ont prouvé que les Juifs n'avaient jamais connu ni horloge, ni gnomon avant leur captivité à Babylone, feul temps où ils apprirent quelque chofe des Chaldéens, & où même le gros de la nation commença, dit-on, à lire & à écrire. On fait même que dans leur langue ils n'avaient aucun terme pour exprimer horloge, cadran, géométrie, aftronomie ; & dans le texte du livre des Rois, l'horloge d'Achas eft appelée l'heure de la pierre.

Mais la grande queftion eft de favoir comment le roi Ezéchias, poffeffeur de ce gnomon ou de ce cadran au foleil, de cette heure de la pierre, pouvait dire qu'il était aifé de faire avancer le foleil de dix degrés. Il eft certainement auffi difficile de le faire avancer contre l'ordre du mouvement ordinaire, que de le faire reculer.

La propofition du prophète paraît auffi étrange que le propos du roi. Voulez-vous que l'ombre avance en ce moment ou recule de dix heures? Cela eût été bon à dire dans quelque ville de la Laponie, où le plus long jour de l'année eût été de vingt heures; mais à Jérufalem, où le plus long jour de l'année est

d'environ quatorze heures & demie, cela eft abfurde. Le roi & le prophète se trompaient tous deux groffièrement. Nous ne nions pas le miracle, nous le croyons très-vrai; nous remarquons feulement qu'Ezechias & Ifaïe ne difaient pas ce qu'ils devaient dire. Quelque heure qu'il fût alors, c'était une chose impoffible qu'il fût égal de faire reculer ou avancer l'ombre du cadran de dix heures. S'il était deux heures après midi, le prophète pouvait très-bien, fans doute, faire reculer l'ombre à quatre heures du matin. Mais en ce cas il ne pouvait pas la faire avancer de dix heures, puifqu'alors il eût été minuit, & qu'à minuit il eft rare d'avoir l'ombre du foleil.

Il eft difficile de deviner le temps où cette hiftoire fut écrite, mais ce ne peut être que vers le temps où les Juifs apprirent confufément qu'il y avait des gnomons & des cadrans au foleil. Or il eft de fait qu'ils n'eurent une connaiffance très - imparfaite de ces fciences qu'à Babylone.

Il y a encore une plus grande difficulté, c'eft que les Juifs ne comptaient pas par heures comme nous; c'eft à quoi les commentateurs n'ont pas pensé.

Le même miracle était arrivé en Grèce le jour qu'Atrée fit fervir les enfans de Thiefle pour le fouper de leur père.

Le même miracle s'était fait encore plus fenfiblement lorfque Jupiter coucha avec Alemine. Il fallait une nuit double de la nuit naturelle pour former Hercule. Ces aventures font communes dans l'antiquité, mais fort rares de nos jours, où tout dégénère.

HUMILITÉ.

DEs philofophes ont agité fi l'humilité est une

vertu; mais vertu ou non, tout le monde convient que rien n'eft plus rare. Cela s'appelait chez les Grecs Tepeinefis ou Tapeineia. Elle eft fort recommandée dans le quatrième livre des lois de Platon; il ne veut point d'orgueilleux ; il veut des humbles. Epiclète en vingt endroits prêche l'humilité. Si tu paffes pour un personnage dans l'efprit de quelquesuns, défie-toi de toi-même.

Point de fourcil fuperbe.

Ne fois rien à tes yeux.

Si tu cherches à plaire, te voilà déchu.

Cède à tous les hommes; préfère-les tous à toi ; fupporte-les tous.

Vous voyez par ces maximes que jamais capucin n'alla fi loin qu'Epictete.

Quelques théologiens qui avaient le malheur d'être orgueilleux, ont prétendu que l'humilité ne coûtait rien à Epictete qui était efclave; & qu'il était humble par état, comme un docteur ou un jéfuite peut être orgueilleux par état.

Mais que diront-ils de Marc-Antonin qui fur le trône recommande l'humilité? Il met fur la même ligne Alexandre & fon muletier.

Il dit que la vanité des pompes n'eft qu'un os jeté au milieu des chiens;

Que faire du bien & s'entendre calomnier, eft une vertu de roi.

Ainfi le maître de la terre connue veut qu'on foit humble. Propofez seulement l'humilité à un muficien, vous verrez comme il fe moquera de Marc-Aurèle.

Defcartes, dans fon Traité des paffions de l'ame, met dans leur rang l'humilité. Elle ne s'attendait pas à être regardée comme une paffion.

Il diftingue entre l'humilité vertueufe & la vicieuse. Voici comme Defcartes raifonnait en métaphyfique & en morale.

,, Il n'y a rien en la générofité qui ne foit compatible avec l'humilité vertueufe, (a) ni rien ,, ailleurs qui puiffe changer; ce qui fait que leurs ,, mouvemens font fermes, conftans, & toujours fort

femblables à eux-mêmes. Mais ils ne viennent pas ,, tant de surprise, pour ce que ceux qui fe connaiffent ›› en cette façon, connaissent assez qu'elles font les ,, causes qui font qu'ils s'eftiment. Toutefois on " peut dire que ces caufes font fi merveilleuses, (à ,, savoir la puissance d'ufer de fon libre arbitre qui ,, fait qu'on fe prife foi-même, & les infirmités du ,, fujet en qui eft cette puiffance, qui fait qu'on ne

s'eftime pas trop ) qu'à toutes les fois qu'on fe ,, les représente de nouveau, elles donnent toujours , une nouvelle admiration. "

Voici maintenant comme il parle de l'humilité vicieuse.

,, Elle confifte principalement en ce qu'on fe fent faible & peu réfolu, & comme fi on n'avait pas (a) Defcartes, Traité des passions,

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