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nous ne devons que nous réfigner. De tous les fyflèmes, celui qui nous fait connaître notre néant, n'eft-il pas le plus raifonnable?

Les hommes (comme tous les philofophes de l'antiquité l'ont dit) firent DIEU à leur image. C'eft pourquoi le premier Anaxagore, auffi ancien qu'Orphée, s'exprime ainfi dans fes vers : Si les oifeaux fe figuraient un Dieu, il aurait des ailes; celui des chevaux courrait avec quatre jambes.

Le vulgaire imagine DIEU comme un roi qui tient fon lit de juftice dans fa cour. Les cœurs tendres fe le repréfentent comme un père qui a foin de fes enfans. Le fage ne lui attribue aucune affection humaine. Il reconnaît une puissance néceffaire éternelle, qui anime toute la nature; & il fe réfigne.

Réflexion générale fur l'homme.

Il faut vingt ans pour mener l'homme de l'état de plante où il eft dans le ventre de fa mère, & de l'état de pur animal, qui eft le partage de fa première enfance, jufqu'à celui où la maturité de la raison commence à poindre. Il a fallu trente fiècles pour connaître un peu fa ftructure. Il faudrait l'éternité pour connaître quelque chofe de fon ame. Il ne faut qu'un inftant pour le tuer.

HONNEUR.

L'AUTEUR 'AUTEUR des fynonymes de la langue française dit, qu'il eft d'ufage dans le difcours de mettre la gloire en antithefe avec l'intérêt, & le goût avec l'honneur.

Mais on croit que cette définition ne fe trouve que dans les dernières éditions, lorsqu'il eut gâté fon livre.

On lit ces vers-ci dans la fatire de Boileau fur l'honneur:

Entendons discourir fur les bancs des galères
Ce forçat abhorré même de fes confrères;
Il plaint par un arrêt injuftement donné
L'honneur en fa personne à ramer condamné.

Nous ignorons s'il y a beaucoup de galériens qui se plaignent du peu d'égards qu'on a eu pour leur honneur.

Ce terme nous a paru fufceptible de plufieurs acceptions différentes, ainfi que tous les mots qui expriment des idées métaphyfiques & morales.

Mais je fais ce qu'on doit de bontés & d'honneur
A fon fexe, à fon âge, & furtout au malheur.

Honneur fignifie là égard, attention.

L'amour n'eft qu'un plaifir, l'honneur eft un devoir,

fignifie dans cet endroit, c'est un devoir de venger fon père.

Il a été reçu avec beaucoup d'honneur; cela veut dire avec des marques de refpect.

Soutenir l'honneur du corps; c'eft foutenir les préémiles priviléges de fon corps, de fa compagnie, & quelquefois fes chimères.

nences,

Se conduire en homme d'honneur, c'eft agir avec juftice, franchise & générofité.

Avoir des honneurs, être comblé d'honneurs, c'est avoir des distinctions, des des marques de fupériorité.

Mais l'honneur en effet qu'il faut que l'on admire,
Quel eft-il, Valincour, pourras-tu me le dire?
L'ambition le met fouvent à tout brûler,

Un vrai fourbe à jamais ne garder sa parole.

Comment Boileau a-t-il pu dire qu'un fourbe fait confifter l'honneur à tromper ? il nous femble qu'il met son intérêt à manquer de foi, & fon honneur à cacher fes fourberies.

L'auteur de l'Esprit des lois a fondé fon système fur cette idée, que la vertu eft le principe du gouvernement républicain, & l'honneur le principe des gouvernemens monarchiques. Y a-t-il donc de la vertu fans honneur? & comment une république eft-elle établie fur la vertu ?

Mettons fous les yeux du lecteur ce qui a été dit fur ce fujet dans un petit livre. Les brochures fe perdent en peu de temps. La vérité ne doit point se perdre, il faut la configner dans des ouvrages de longue haleine.

"On n'a jamais affurément formé des républiques • par vertu. L'intérêt public s'eft oppofé à la domi"nation d'un feul; l'efprit de propriété, l'ambition ,, de chaque particulier, ont été un frein à l'ambition ,, & à l'efprit de rapine. L'orgueil de chaque citoyen , a veillé fur l'orgueil de fon voifin. Perfonne n'a

, voulu être l'efclave de la fantaisie d'un autre. Voilà ,, ce qui établit une république, & ce qui la conferve. ,, Il eft ridicule d'imaginer qu'il faille plus de vertu ,, à un Grifon qu'à un Efpagnol.

" Que l'honneur foit le principe des feules mo"narchies, ce n'eft pas une idée moins chimérique ; ,, & il le fait bien voir lui-même fans y penfer. La "nature de l'honneur, dit-il au chap. VII du liv. III

eft de demander des préférences, des diflinctions. Il " eft donc par la chofe même placé dans le gouvernement monarchique.

,, Certainement par la chose même, on demandait ,, dans la république romaine, la préture, le confulat, ,, l'ovation, le triomphe, ce font-là des préférences, ,, des diftinctions qui valent bien les titres qu'on 'achète fouvent dans les monarchies & dont le tarif ,, eft fixé.,,

Cette remarque prouve à notre avis que le livre de l'Esprit des lois, quoiqu'étincelant d'efprit, quoique recommandable par l'amour des lois, par la haine de la fuperftition & de la rapine, porte entièrement à faux. (*)

Ajoutons que c'eft précisément dans les cours qu'il y a toujours le moins d'honneur.

L'ingannare, il mentir, la frode, il furto,

E la rapina di pieta veftita,

Crefcer col' damno e precipizio altrui,

E far a fe de l'altrui biasmo onore

Son' le virtu di quella gente infida.

(Paftor Fido, atto V, fcena prima.)

(*) Voyez Lois.

Ceux qui n'entendent pas l'italien peuvent jeter les yeux fur ces quatre vers français, qui font un précis de tous les lieux communs qu'on a débités fur les cours depuis trois mille ans.

Ramper avec baffeffe en affectant l'audace,
S'engraiffer de rapine en atteftant les lois,
Etouffer en fecret fon ami qu'on embrasse,
Voilà l'honneur qui règne à la fuite des rois.

C'eft en effet dans les cours que des hommes fans honneur parviennent souvent aux plus hautes dignités; & c'eft dans les républiques qu'un citoyen déshonoré n'eft jamais nommé par le peuple aux charges publiques.

Le mot célébre du duc d'Orléans régent fuffit pour détruire le fondement de l'Esprit des lois. C'est un parfait courtifan, il n'a ni humeur ni honneur.

Honorable, honnêteté, honnête, fignifient souvent la même chofe qu'honneur. Une compagnie honorable, de gens d'honneur. On lui fit beaucoup d'honnêtetés, on lui dit des chofes honnêtes. C'est-à-dire, on le traita de façon à le faire penfer honorablement de lui-même.

D'honneur on a fait honoraire. Pour honorer une profeffion au-deffus des arts mécaniques, on donne à un homme de cette profeffion un honoraire au lieu de falaire & de gages qui offenferaient fon amourpropre. Ainfi honneur, faire honneur, honorer, fignifient faire accroire à un homme qu'il eft quelque chofe, qu'on le diftingue.

Il me vola pour prix de mon labeur
Mon honoraire en me parlant d'honneur,

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