Page images
PDF
EPUB

qu'une circonstance de l'effet, et dès lors il serait absurde de l'employer à évaluer la cause pleine," c'est-à-dire la force. Faute d'une pareille réflexion, il s'embarrassait dans le cas suivant : « Quoiqu'un corps 2 avec une vitesse 1, et un corps 1 avec une vitesse 2, s'arrêtent ou s'empêchent mutuellement d'avancer, néanmoins si le 1 peut élever une livre à deux pieds de hauteur, le 2 pourra élever une livre à quatre pieds de hauteur. Ce qui est paradoxe, mais indubitable après ce que nous venons de dire (1).» Il est évident que le corps 2 se trouve arrêté par le corps 1 avant d'avoir déployé toute la force qui l'anime, c'est-à-dire, pour appliquer ici la distinction fondamentale que nous avons établie, que la force de ce corps, ainsi que celle du corps 1, ne sont évaluées que par un effet instantané; et parce qu'elles y sont égales, faut-il qu'elles le soient dans leur effet successif, qui en diffère essentiellement?

Les adversaires de Leibnitz erraient bien plus encore que lui, puisqu'ils rejetaient dans tous les cas l'évaluation par le carré. Celles de leurs objections auxquelles on n'a jamais répondu d'une manière satisfaisante tombent sur des effets instantanés. Prenons-en une au hasard, de Maclaurin. «Que deux personnes, dit-il, l'une sur un vaisseau qui s'a

(1) Ibid., p. 199,

vance avec un mouvement uniforme et une vitesse comme 2, l'autre en repos sur le bord de la mer, jettent deux corps égaux A et B, avec des efforts égaux, dans la direction du mouvement du vaisseau, et que le corps B, qui était en repos, gagne une vitesse comme 8, le corps A s'avancera dans le vaisseau avec une vitesse comme 8 aussi, et dans l'air avec une vitesse comme 10, somme de la vitesse du vaisseau et de sa vitesse respective dans le vaisseau. La force du corps A avant qu'il eût cette augmentation, était comme 4, selon M. Leibnitz, sa vitesse ayant été comme 2. L'augmentation de la force qu'il reçoit est égale à celle du corps B, c'est-à-dire à 64; donc la force totale sera 64+4=68. Mais parce que la vitesse est comme 10, sa force doit être comme 100, et ces deux forces sont contradictoires. Ainsi leurs forces ne peuvent pas être comme les carrés de leurs vitesses (1). » Non, elles ne le peuvent pas être ici, puisqu'il n'est question que de l'intensité de la vitesse, et c'est avec raison que Maclaurin triomphe. Les partisans de Leibnitz, comme S'Gravesande (2), qui ont voulu montrer le carré dans le choc des corps, où il s'agit uniquement aussi de la vitesse, n'ont commis que des paralogismes,

(1) Démonstration de la loi du chec des corps, art. 9, ann. 1724, (2) Essai d'une nouvelle théorie du choc des corps, 1722,

Nous entendons maintenant en quoi l'un des deux partis pouvait dire qu'on doit tenir compte du temps, et l'autre en quoi on ne le doit point. La nature de l'effet successif étant indépendante de telle ou telle durée, il est clair que le temps n'y entre point. Si M. Cournot parle du temps donné dans les lignes citées, ailleurs il avoue que cet élément n'entre pas essentiellement dans l'estimation du travail, considéré comme effet produit ou à produire (1). Mais comme cette nature exige une durée quelconque, puisque sans elle nulle succession possible, le temps, sous ce rapport, y entre nécessairement.

Leibnitz donc eut tort de ne distinguer que deux sortes de forces: la force morte, ou de pression, d'équilibre, laquelle tend à produire un mouvement et ne le produit pas, et la force vive, qui le produit (2). Il devait encore distinguer dans la force vive celle qui à chaque instant produit son effet tout entier, et celle qui ne le produit que successivement, c'est-à-dire, la force vive simple, qui rend sans cesse tout ce qu'elle a, et la force vive proprement dite, qui ne le rend que par degré. La

(1) Ibid., art 419.

(2) « Vis dupla est alia elementaris, quam et mortuam appello, quia in ea nondum existit motus, sed tantum sollicitatio ad motum, qualis est globi in tubo, aut lapidis in funda, etiam dum adhuc vinculo tenetur; alia vero vis ordinaria est, cum motu actuali conjuncta, quam voco vivam. » Op., t. III, p. 318.

distance qui sépare la force vive proprement dite de la force vive simple, est analogue à celle qui sépare la force vive simple de la force morte. « La force vive, dit Leibnitz, est le résultat d'une infinité d'impressions non interrompues de la force morte (1). » De même la force vive proprement dite peut être considérée comme résultant d'une infinité d'impressions de la force vive simple, en d'autres termes, la force vive est proportionnelle à l'intégrale de l'impression ou effort de la force vive simple, et celle-ci à l'intégrale de l'effort de la · force morte. Soit v la vitesse, ou aura force morte comme dv, force vive simple comme sdv ou v, et force vive comme sidv ouv2, ou, en transformant, comme v2.

Lorsque l'on considère la force mouvante en soi, sans aucune application particulière, ce n'est que dans sa nature propre, manifestée par les deux effets dont nous venons de parler, qu'il faut en prendre la mesure. L'idée pourtant de la chercher dans la résistance conduisit d'Alembert, le premier, à comprendre qu'elle n'est pas toujours la même, et que chacune des deux valeurs qu'on prétendait lui assigner pouvait lui convenir, selon que l'on considérait la somme des résistances des

(1) « Ex infinitis vis mortuæ impressionibus continuatis nata est vis viva. » Ibid.

obstacles ou la quantité absolue de ces obstacles, dont l'une est proportionnelle à la vitesse, et l'autre au carré de la vitesse. Mais cette résistance n'étant qu'accidentelle pour la force, n'offrait point, je le répète, une véritable solution de la difficulté.

Nous venons de voir que l'idée de la quantité constante de mouvement dans l'univers a amené la découverte de la force vive, âme de la mécanique industrielle, et qui joue un si grand rôle dans la mécanique céleste; qu'à la même idée est due celle qu'il y a des lois de communication du mouvement, et la découverte immédiate de quatre d'entre elles. Des huitième, neuvième et onzième propositions du traité De motu corporum ex percussione de Huyghens, 1669, il résulte qu'avant et après le choc, le centre commun de gravité est en repos, ou qu'il se meut de la même manière, et que la force vive n'a point changé. Plus tard, 1746, d'Arcy (1), Daniel Bernoulli (2) et Euler (3), aperçurent en même temps que lorsque plusieurs corps se meuvent autour d'un centre, si on multiplie la masse de chacun par l'aire que son rayon vecteur décrit, et qu'on ajoute ces produits, la somme est proportionnelle au temps. Fermat soutenait, d'après Héliodore, que la nature suit la voie

(1) Mémoire de l'Académie des Sciences. 1747.

(2) Mém. de l'Académie de Berlin, t. I, p. 54, an. 1746. (3) Opuscula mecanica, 1.

« PreviousContinue »