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se défendre. Exprimée ou sous-entendue, cette raison est le fondement des autres.

« Les adversaires de M. Leibnitz, observe Jean Bernoulli, ne lui passèrent pas son hypothèse touchant les hauteurs qu'il prétendait être la mesure des forces. Ils formèrent des instances et soutinrent, entre autres choses, qu'on ne devait point négliger le temps que le poids emploie à parcourir la hauteur à laquelle il monte; qu'un poids, par exemple, qui, avec une vitesse double s'élève à une hauteur quadruple, ne doit être censé avoir qu'une force double, parce qu'il emploie un temps double à monter. Ces messieurs crurent être fondés à soutenir que, dans l'estimation des forces, il fallait avoir égard non-seulement aux hauteurs, mais aussi aux temps, persuadés que la force des corps était en raison composée de la raison directe de la hauteur et de la raison inverse du temps. Ils ne réfléchissaient pas que la considération du temps n'était d'aucune conséquence dans le sujet de leur dispute, puisqu'il était facile de faire monter le corps pesant à différentes hauteurs en des temps égaux; on n'a pour cela qu'à se servir d'une cycloïde renversée, dont on sait que tous les arcs, à commencer depuis le point le plus bas, sont isochrones, ou parcourus en des temps égaux (1).

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(1) Disc. sur les lois de la communication du mouvement, eh. 5, art. 13.

D'Alembert, 1743, prétend que ce n'est ni par l'espace, ni par le temps, qu'on doit estimer immédiatement la force, mais par les résistances. Envisage-t-on leur quantité absolue, la force est proportionnelle au carré de la vitesse, puisque dans le mouvement retardé le nombre des obstacles vaincus est comme le carré de la vitesse. N'envisage-t-on que la somme des résistances, la force est proportionnelle à la vitesse simple, puisque la quantité de mouvement, perdue à chaque instant, est comme le produit de la résistance par la durée infiniment petite de l'instant, et que la somme de ces produits est la résistance totale (1). Mais il reste à savoir s'il est loisible de mesurer la force de l'une ou de l'autre manière, et à marquer nettement la différence qui les sépare ou qui existe entre la quantité absolue des obstacles el la somme de leurs résistances. On cherche en vain dans l'auteur quelque chose de satisfaisant; le cas des ressorts, sur lequel il argumente, est trop particulier. Néanmoins nous verrons qu'il met presque le doigt sur le point par où la question doit se résoudre.

Franchissons un demi-siècle et écoutons Carnot. « L'expérience, dit-il, prouve que les hommes, les animaux et autres agents de cette nature, peuvent exercer des forces comparables à celles des

(1) Dynamique., disc. prélim., p. 18.

poids, soit en effet par leurs propres poids, soit par les efforts spontanés dont ils sont capables. Or, il se présente deux manières aussi naturelles l'une que l'autre d'évaluer l'action qu'ils exercent effectivement. L'une consiste à voir quel fardeau un homme, par exemple, peut porter, ou quel effort évalué en poids il peut soutenir, tout demeurant en repos. Alors la force de cet homme est une force de pression équivalente à tel ou tel poids.

<< La seconde méthode est d'examiner l'ouvrage qu'il est en état de faire dans un temps donné, dans un jour, par exemple, par un travail suivi. Sous ce point de vue, pour arriver, comme dans le premier cas, à une évaluation précise, nous pouvons encore comparer le résultat de son travail à l'effet de la pesanteur; car il est naturel d'évaluer ce travail, et par le poids qu'il peut élever dans un temps donné, et par la hauteur à laquelle il élève ce poids. C'est ainsi qu'on l'entend, lorsqu'on dit qu'un cheval équivaut, pour la force, à sept hommes; on ne veut pas dire que si sept hommes tiraient d'un côté et le cheval de l'autre, il y aurait équilibre, mais que dans un travail suivi, le cheval à lui seul élèvera, par exemple, autant d'eau du fond d'un puits à une hauteur donnée, que les sept hommes ensemble pendant le même temps. Quand on emploie des ouvriers, l'intérêt est de savoir ce qu'ils peuvent faire de travail dans un geffre ana

logue à celui dont on vient de parler, bien plus que de savoir les fardeaux qu'ils pourraient porter sans bouger de place. Cette nouvelle manière d'envisager les forces est donc au moins aussi naturelle et aussi importante que la première. Et comme il est sensible qu'élever un poids de 100 kilog. à 1,000 mètres de hauteur est la même chose, dans cette manière d'évaluer les forces, qu'élever 200 kilog. à 500 mètres seulement : il suit que les forces, sous ce nouveau point de vue, doivent être considérées comme en raison directe des poids à élever, et des hauteurs auxquelles il faut les porter, ou autres travaux comparables à celui-là (1). » Dans le premier cas, l'auteur est conduit à prendre la vitesse; dans le second, le carré de la vitesse. Les deux manières d'évaluer les forces sont ici parfaitement distinctes, mais on peut demander, comme chez d'Alembert, s'il est indifférent d'employer l'un, ou l'autre.

Selon M. Cournot, qui résume les considérations émises par M. Coriolis dans son calcul de l'effet des machines, 1829; selon M. Cournot, «ce qui nous intéresse dans une force d'impulsion, ce n'est pas la vitesse initiale communiquée au corps, mais la distance à laquelle un corps de masse donnée..... pourra être transporté dans un temps donné en

(1) Princ. de l'équilibre et du mouvement, art. 55, am̃n. 1803.

vertu de la force d'impulsion (1). » Considérée de la manière la plus générale, l'idée de M. Cournot, idée dont il ne se rend peut-être pas bien compte, nous semble être qu'il faut distinguer dans la force l'effet successif de l'effet momentané. L'effet successif étant de même nature que l'élévation d'un poids à une certaine hauteur, la force y est proportionnelle au carré de la vitesse; l'effet instantané étant de même nature que la pression, dont l'effort périt et renaît sans cesse, la force y est proportionnelle à la simple vitesse. Dans une pièce d'artillerie, par exemple, s'il s'agit de tel degré de vitesse, la force sera comme la vitesse; s'il s'agit d'un but déterminé, elle sera comme le carré de la vitesse.

De là il suit que Leibnitz se trompait en voulant toujours la mesurer de cette dernière façon. Cependant il regarde comme « une loi de la nature la plus universelle et la plus inviolable, qu'il y a toujours une parfaite équation entre la cause pleine el l'effet entier ; loi qui ne dit pas seulement que les effets sont proportionnels aux causes, mais de plus que chaque effet entier est équivalent à sa cause (2). » Or, pouvait-il ne pas songer qu'il y a une infinité de rencontres où l'on ne considère

(1) Dernier chap. de la Mécan. de Kater, art. 400, ann. 1834. (2) Op., t. III, p. 197.

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