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lité constante entre l'action et la réaction en sens

contraire (1). >>

Concluons que le mouvement, encore moins la force, ne périt point dans le choc des corps, mais que Descartes a eu tort de croire que, dans chacune de ses lois, il se conserve sous la même forme. Ce qui n'empêche pas que la quantité de mouvement varie dans la nature. Puisque les corps sont actifs, et qu'il n'agissent pas toujours, il y en a tantôt plus, tantôt moins. Rien de plus sensible chez les animaux et chez l'homme. Comme on ne peut guère supposer que tous les corps aient été créés en même temps, ni que ceux de l'homme et des animaux ne meurent qu'en apparence, on est obligé d'avouer que la force aussi augmente et diminue. Newton et Clarke, qui, dans le choe, nient la décomposition du mouvement des corps en mouvements latents de leurs parties, soutiennent que le mouvement diminue sans cesse dans l'univers, et qu'il faut que Dieu l'y rétablisse (2). La conséquence est juste, mais si étrange qu'elle aurait dû leur ouvrir les yeux sur la fausseté du principe. Au reste elle s'accorde avec ce que dit Newton, que « les irrégularités produites par l'altraction entre les corps célestes seront sujettes à augmenter jusqu'à ce

(1) Principes de l'équilibre et du mouvement, p. 63.

(2) Opt., quest. 31, p. 588. · Op. Leib., t. II, part. 1, p. 127, 186.

que ce système ait besoin d'être réformé (1). « Ils ont, dit Leibnitz, une plaisante idée des ouvrages de Dieu. Selon eux, Dieu a besoin de remonter de temps en temps sa montre, autrement elle cesserait d'agir. Il n'a pas eu assez de vue pour en faire un mouvement perpétuel. Cette machine de Dieu est même si imparfaite, selon eux, qu'il est obligé de la décrasser de temps en temps par un concours extraordinaire, et même de la raccommoder, comme un horloger son ouvrage ; qui serait d'autant plus mauvais maître, qu'il sera plus souvent obligé d'y retoucher et d'y corriger. Selon mon sentiment, la même force et la même vigueur y subsistent toujours et passent seulement de matière en matière, suivant les lois de la nature et le bel ordre préétabli. Et je tiens, quand Dieu fait des miracles, que ce n'est pas pour soutenir les besoins de la nature, mais pour ceux de la grâce. En juger autrement, ce serait avoir une idée fort basse de la sagesse et de la puissance de Dieu (2). » Déjà le calcul prouve que les perturbations des astres se compensent, et fait justice de la prétendue nécessité d'une main réparatrice; bientôt les études microscopiques, le calcul des fluides invisibles, celui des mouvements internes des parties des corps, dont, pour le dir

(1) « Donec hæc naturæ compages manum emendatricem tandem sit desideratura. » Opt., quest. 31, p. 577.

(2) Op., t. II, part. I, p. 110.

en passant, M. Poisson s'occupait à la veille de sa mort. mettront aussi au néant la nécessité imaginaire d'une création périodique de nouvelles forces.

Leibnitz ne se borne pas à conclure de la notion de la force que la quantité de celle-ci dans le monde diffère de la quantité du mouvement; en 1686, il le prouve par l'évaluation qu'il en fait. « Selon M. Descartes et les autres mathématiciens, il ne faut pas moins de force pour élever un corps d'une livre à la hauteur de quatre aunes, que pour élever un corps de quatre livres à la hauteur d'une aune; d'où il suit que le simple tombant de la hauteur quadruple, acquiert précisément la même force que le quadruple tombant de la hauteur simple; car l'un et l'autre acquerraient une telle force, que les obstacles externes étant ôtés, ils pourraient remonter d'où ils seraient descendus. De plus, Galilée a démontré que la vitesse qu'un corps acquiert, en tombant de la hauteur de quatre aunes, est le double de la vitesse qu'il acquiert en tombant de la hauteur d'une aune. Multipliant donc le corps d'une livre par sa vitesse, c'est-à-dire 1 par 2, le produit ou la quantité du mouvement sera comme 2, et multipliant le corps 4 par sa vitesse, c'est-à-dire› 4 par 1, le produit, ou la quantité du mouvement sera comme 4; donc l'une de ces quantités est la moitié de l'autre, quoique peu auparavant les for

EH.

ces aient été trouvées égales, les forces, dis-je, que M. Descartes ne distingue point des quantités du mouvement (1). » D'où il suit «qu'en cas qu'on suppose que toute la force d'un corps de quatre livres, dont la vitesse (qu'ila, par exemple, allant dans un plan horizontal, de quelque manière qu'il l'ait acquise) est d'un degré, doit être donnée à un corps d'une livre, celui-ci recevra, non pas une vitesse de quatre degrés, suivant le principe cartésien, mais de deux degrés seulement, parce qu'ainsi les corps ou poids seront en raison réciproque des hauteurs auxquelles ils peuvent monter en vertu des vitesses qu'ils ont; or, ces hauteurs sont comme les carrés des vitesses. Et si le corps de quatre livres, avec sa vitesse d'un degré qu'il a dans le plan horizontal, allant s'engager par rencontre au bout d'un pendule ou fil perpendiculaire, monte à la hauteur d'un pied, celui d'une livre aura une vitesse de deux degrés, afin de pouvoir (en cas d'un pareil engagement) monter jusqu'à quatre pieds: Mais si ce corps d'une livre devait recevoir 4 degrés de vitesse, suivant Descartes, il pourrait monter à la hauteur de seize pieds; et par conséquent la même force qui pouvait élever quatre livres à un pied, transférée sur une livre, la pourrait élever à seize pieds. Ce qui est impossible, car l'effet

(1) Oper., t. III, p. 180, trad. libre par l'abbé de Conti. Ibid. 183.

est quadruple. Ainsi on aurait gagné et tiré du rien le triple de la force qu'il y avait auparavant... (1). Ainsi il ne se garde pas la même quantité de mou-vement, mais il se garde la même quantité de force (2). »

C'est là cette force vive aux bruyants et longs débats, dont la discussion ne fut un temps écartée que par lassitude, et que les applications de la mécanique à l'industrie viennent de remettre en scène. L'abbé de Conti répond aussitôt à Leibnitz, que le corps d'une livre montant à la hauteur de quatre pieds dans un temps comme 2, tandis que le corps de quatre livres monte à la hauteur d'un pied dans un temps comme 1, il n'est pas étrange que la quantité de mouvement du premier soit deux fois moindre que celle du second (3). Leibnitz réplique que le temps n'y fait rien pour connaître la force ou quantité de mouvement acquise par un corps en descendant; qu'il suffit de savoir la hauteur, car le temps varie selon que la ligne de descente est plus ou moins inclinée (4). Newton, 1715, reproduit, par la bouche de Clarke, la raison de l'abbé de Conti (5). La mort empêche Leibnitz de

(1) Ibid., p. 197.

(2) Ibid., p. 201.

(3) Ibid., p. 183.

(4) Ibid., p. 202.

(5) Note sur le 95o paragraphe de la réplique de Clarke à Leibnitz, dans les œuvres de celui-ci, t. II, p. 183.

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