Page images
PDF
EPUB

ne périsse. Savoir si tous les esprits et tous les corps reçurent l'être à l'origine, et si les corps subsistent indestructibles, comme il le prétend, c'est une question insoluble à la philosophie, et que nous ne perdrons pas le temps à discuter. Disons seulement que le contraire est plus vraisemblable et généralement admis.

Que Descartes toutefois n'ait point l'idée de l'égale quantité de mouvement, il n'ira jamais à concevoir que le mouvement se communique dans des proportions déterminées. Cette seconde idée est manifestement la suite de la première, qui préside même au calcul des lois du choc, où le mouvement est censé passer, en totalité ou en partie, d'un corps à l'autre, sans éprouver dans le résultat ni augmentation ni perte. Deux corps égaux se choquant avec des vitesses égales, rejaillissent chacun avec sa vitesse; inégaux et les vitesses égales, le moindre seul se réfléchit, et ils vont ensemble du même côté, avec la vitesse qu'ils avaient avant le choc; égaux et les vitesses inégales, le plus lent seul rebrousse chemin, et ils vont ensemble du même côté, avec une vitesse commune, moitié de celle qu'ils avaient avant le choc; inégaux et le plus grand en repos, l'autre rejaillit sans lui imprimer aucun mouvement. Il est inutile de répéter ici toutes ces lois; on voit qu'après la percussion, la quantité de mouvement reparaît toujours

égale à ce qu'elle était avant. Nul doute que ce n'est point vrai dans tous les cas. Deux corps durs ou deux corps mous, qui vont à l'encontre l'un de l'autre, peuvent être réduits au repos par le choc. Mais combien il importe peu que Descartes soit induit en quelques erreurs, pour une idée à laquelle il doit de comprendre qu'il existe de semblables lois et d'en saisir plusieurs !

L'exemple de deux corps qui s'immobilisent dans le choc ne prouve point que le mouvement diminue; il se décompose et passe du tout aux parties qui sont agitées à l'intérieur par la secousse. C'est ce que veut dire Descartes lorsqu'il parle d'un homme qui, en se promenant, fait tant soit peu mouvoir toute la masse de la terre (1), et d'une pierre qui, en tombant, si elle ne rejaillit point, ébranle la terre qu'elle a frappée et lui transfère son mouvement (2).

Leibnitz explique aussi de cette façon, contre Clarke, la conservation de la même quantité de force (3). Clarke nie le fait, « parce que les parties des corps tout à fait durs et non élastiques ne sont susceptibles d'aucun trémoussement, faute de ressort (4). » Mais où Clarke a-t-il pris dans la nature

(1) OEuv., t. VIII, p. 37.

(2) T. X, p. 129.

(3) Op., t. II, p. 164.

(4) Ibid., p. 186.

des corps parfaitement durs et sans élasticité?

En général, Newton et ses partisans, Clarke et Maclaurin, ne rejettent ces mouvements intestins que parce qu'ils nient la subdivision des parties dans les corps (1), et qu'ils les supposent composés d'éléments indivisibles et privés de tous pores (2). « Il me semble très-probable, dit Newton, qu'au commencement Dieu forma la matière en particules solides, massives, dures, impénétrables, mobiles, de telles grandeurs et figures, avec telles autres propriétés, en tel nombre, en telle quantité, et en telle proportion à l'espace, qui convenaient le mieux à la fin pour laquelle il les formait; et que par cela même que ces particules primitives sont solides, elles sont incomparablement plus dures qu'aucun des corps poreux qui en sont composés; et si dures, qu'elles ne s'usent ni ne se rompent jamais, rien n'étant capable, selon le cours ordinaire de la nature, de diviser en plusieurs parties ce qui a été fait originairement un par la disposition de Dieu lui-même. Tandis que ces particules continuent dans leur entier, elles peuvent constituer dans tous les siècles des corps d'une même nature et contexture; mais si elles venaient à s'user ou à être mises en pièces, la na

(1) Exposit. des découv. phil. de Newton, par Maclaurin, liv. I, ch. IV, art. 5, trad. de Lavirotte.

(2) Ibid, liv. II, ch. 11, art. 5.

ture des choses, qui dépend de ces particules telles qu'elles ont été faites d'abord, changerait infailliblement. L'eau et la terre, composées de vieilles particules usées et de fragments de ces particules, ne seraient pas à présent de la même nature et contexture que l'eau et la terre qui auraient été composées au commencement de particules entières. Et par conséquent, afin que la nature puisse être durable, l'altération des êtres corporels ne doit consister qu'en différentes séparations, nouveaux assemblages et mouvements de ces particules permanentes; les corps composés étant sujets à se rompre, non par le milieu de ces particules solides, mais dans les endroits où ces particules sont jointes ensemble et ne se touchent que par un petit nombre de points (1). » Huyghens croit aussi nécessaires des atomes d'une dureté infinie (2). La nature des choses n'aurait rien d'immuable en effet si, comme l'enseigne Descartes, l'union de leurs parties ne consistait que dans le repos, et si ces parties n'étaient déterminées que par le mouvement, et ne différaient que de grandeur ét de figure. Mais dès l'instant qu'on les suppose constituées d'étendue et d'activité, la force propre

(1) Opt., quest 31, trad. de Coste.

(2) Christiani Hugenii aliorumque sæculi XVI virorum celebrium exercitationes mathemat. et philos., 1833, p. 134.

que chacune possède suffit pour là maintenir dans l'état que la nature exige. Les atomes se trouvent aussi inutiles en physique, qu'inadmissibles en philosophie.

Maclaurin affirme qu'il << ne connaît dans un corps d'autre façon de perdre sa force qu'en la communiquant à un autre (1). » « Il peut paraître d'abord, dit Carnot, que cela doit souffrir exception dans le cas où il y a des points fixes dans le système; mais le fait est que, dans la nature, il n'existe réellement aucun point véritablement fixe. Ces points, regardés comme fixes, pour la facilité des calculs, ne sont que des masses très-considérables, et qu'on regarde comme infinies à l'égard des autres corps du système. Ainsi le point d'appui sur lequel tourne un levier est lié au globe de la terre, il est censé ne faire qu'un avec elle, il paraît fixe et ne l'est pas, et les quantités de mouvement perdues par les corps suspendus à ce levier sont gagnées par le globe même de la terre, où elles deviennent insensibles et inappréciables pour nous. Ce qui fait que nous regardons ce point d'appui comme réellement fixe et capable de détruire les forces qui lui sont imprimées, et qu'on est obligé, en mécanique, de tenir compte de ces forces, comme si elles dérogeaient, en effet, à cette éga

(1) Exposit., liv. II, ch. 11, art. 5

« PreviousContinue »