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serait inhérente à leur constitution, et que pour cela il appelle naturelle, et nullement la tardivité qui résulterait de la volonté immédiate de Dieu sur eux. Quant à l'ébranlement de la terre, causé par les pas d'un homme moindre qu'elle, il est clair que Descartes l'entend de l'agitation intérieure des parties ou molécules plus petites que l'homme, et il reste fidèle au principe que le repos résiste par

lui-même.

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Képler, et après lui Descartes dans ses lettres, ont parlé, dit Leibnitz, de l'inertie naturelle des corps; et c'est quelque chose qu'on peut considérer comme une parfaite image et même un échantillon de la limitation originale des créatures, pour faire voir que la privation fait le formel des imperfections et des inconvénients qui se trouvent dans la substance... La matière est portée originairement à la tardivité ou à la privation de vitesse, non pour la diminuer par soi-même, quand elle a déjà reçu cette vitesse, car ce serait agir; mais pour modérer par sa réceptivité l'effet de l'impression, quand elle le doit recevoir (1). › Pour comprendre qu'aux yeux de Leibnitz la matière n'agit pas, il faut se souvenir qu'en ré– tablissant l'activité dans les créatures, il l'a exclue de la partie de leur existence, qui tombe sous les sens, c'est-à-dire de la matière. Ainsi c'est à

(1) Theod., art. 30.

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l'imperfection des corps qu'il attribue la puissance de résister! Au moins Descartes remontait à la volonté de Dieu ou à une chose réelle pour investir le repos du pouvoir de résistance; Leibnitz le dérive du néant. Est-il besoin de dire que le repos est un état d'équilibre entre des forces égales qui agissent en sens contraires, et par conséquent que la moindre force qui survient doit le rompre? Mais les corps se composent d'activité et d'étendae; plus ils ont d'étendue ou de masse, plus ils renferment d'activité intérieure, plus donc il faut de force extérieure afin de les mouvoir. C'est pourquoi, bien qu'à la rigueur la plus petite force meuve les plus grands corps, elle communiquera deux fois, trois fois plus de vitesse à un corps deux fois, trois fois moindre.

Descartes fonde encore ses lois sur ce principe, que la même quantité de mouvement se conserve dans l'univers. Principe erroné sans doute, mais qui regorge de vérité, si j'ose le dire; principe contre lequel se sont élevés tant de cris, mais devant lequel tombe d'admiration quiconque sait le com'prendre.

<<< Il faut que nous considérions la cause du mouvement; et parce qu'elle peut être prise en deux façons, nous commencerons par la première et plus universelle, qui produit généralement tous les mouvements qui sont au monde; nous consi

dérerons par après l'autre, qui fait que chaque partie de la matière en acquiert, qu'elle n'avait pas auparavant.

<<< Pour ce qui est de la première, il me semble qu'il est très-évident qu'il n'y en a point d'autre que Dieu qui, par sa toute-puissance, a créé la matière avec le mouvement et le repos de ses parties, et qui conserve maintenant en l'univers, par son concours ordinaire, autant de mouvements et de repos qu'il y en a mis en le créant. Car bien que le mouvement ne soit qu'une façon en la matière qui est mue, elle en a pourtant une certaine quantité qui n'augmenté et ne diminue jamais, encore qu'il y en ait tantôt plus et tantôt moins en chacune de ses parties. C'est pourquoi, lorsqu'une partie se meut deux fois plus vite qu'une autre, et que cette autre est deux fois plus grande que la première, nous devons penser qu'il y a tout autant de mouvement dans la plus petite que dans la plus grande; et que toutes fois et quantes que le mouvement d'une partie diminue, celui de quelque autre partie augmente à proportion. Nous connaissons aussi que c'est une perfection en Dieu, non-seulement de ce qu'il est immuable en sa nature, mais encore de ce qu'il agit d'une façon qu'il ne change jamais : tellement qu'outre les changements que nous voyons dans le monde, et ceux que nous croyons, parce que Dieu les a révélés, et que nous savons

arriver ou être arrivés en la nature, sans aucun changement de la part du Créateur, nous ne devons point en supposer d'autres en ses ouvrages, de peur de lui attribuer de l'inconstance; d'où il suit que puisqu'il a mu en plusieurs façons différentes les parties de la matière lorsqu'il les a créées, et qu'il les maintient toutes en la même façon et avec les mêmes lois qu'il leur a fait observer en leur création, il conserve incessamment en cette matière une égale quantité de mouvement.

«

<< De cela aussi, que Dieu n'est point sujet à changer et qu'il agit toujours de la même sorte, nous pouvons parvenir à la connaissance de certaines règles, que je nomme les lois de la nature, et qui sont les causes secondes des divers mouvements en tous les corps (1). »

Ces lois, que Descartes appelle les causes secondes de la nature, sont la loi d'inertie, la loi en ligne droite, la loi de la composition du mouvement courbe, et les sept lois de la communication du mouvement, que nous avons examinées. Or, elles ne contribuent point à produire le mouvement, elles ne sont que les manières dont il est produit, que les occasions suivant lesquelles il paraît et se distribue. Les esprits créés n'y contribuent pas davantage, étant seulement ca

1) Princ., part. 11, art. 36 et 37.

pables de changer la direction (1). Il en résulte que, hors les miracles, la quantité de mouvement que Dieu a mise dans l'univers ne doit ni diminuer ni augmenter; car il répugne ou que Dieu n'en ait pas d'abord su la mesure convenable, ou qu'il n'ait pu la fournir, et qu'il soit obligé de venir, après coup, ajouter ou retrancher. Descartes est d'accord avec ses idées sur la cause première, sur les causes secondes et le pouvoir de l'âme sur le corps, précédemment exposées, ou, pour mieux dire, ce sont ces idées mêmes appliquées à la question présente.

En dernier terme, la conservation de la même quantité de mouvement implique la passivité des corps et l'impuissance des esprits créés à les mouvoir. Aussi est-elle rejetée par Leibnitz, qui supposant les corps actifs, lui substitue la conservation de la même quantité de forces (2). La force, qui ne produit point toujours son effet entier, peut ne pas changer, et, selon les circonstances, donner plus ou moins de mouvements. Cependant, pour qu'elle soit constante, il faut que tous les corps et même tous les esprits, si on l'entend de l'univers moral comme de l'univers physique, ainsi que Leibnitz paraît le faire, aient été créés à la fois, et qu'aucun

(1) OEuv., t. X, p. 540. (2) Oper., t. III, p. 180.

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