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à savoir, que si un corps en meut un autre, il doit perdre autant de son mouvement qu'il lui en donne; car si A et B se meuvent ensemble, chaque moitié de Ba autant de mouvement que A, et ainsi B a deux tiers et A un tiers de tout le mouvement qui était auparavant en A seul (1). » Suivant Descartes, le mouvement du corps choquant se distribue entre les deux proportionnellement à leur grandeur, et c'est ce que donne :

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lorsque V ou V' est nul. Se corrigeant lui-même dans la quatrième et la sixième loi, il ne faut l'accuser d'erreur que pour la deuxième, la troisième et septième.

On n'a pas dû entendre sans étonnement Descartes assurer, dans la quatrième loi, qu'un corps qui en choque un autre plus grand en repos, ne le meut point et rebrousse chemin. Il attribue l'effet contraire, chaque jour prouvé par l'expérience, à l'air ou à quelque autre fluide qui environne le corps en repos, et qui, selon lui, le dispose à être mu fort aisément. S'il n'y a rien autour de lui, il restera immobile, quelle que soit la vitesse du corps choquant. « D'autant, ajoutet-il, que B ne saurait pousser C, sans le faire aller

(1) OEuv, t. VIII, p. 382.

aussi vite qu'il irait lui-même par après, il est certain que C doit d'autant plus résister, que B vient plus vite vers lui, et que sa résistance doit prévaloir à l'action de B, à cause qu'il est plus grand que lui. Ainsi, par exemple, si C est double de B, et que B ait trois degrés de mouvement, il ne peut passer C, qui est en repos, si ce n'est qu'il lui en transfère deux degrés, à savoir un pour chacune de ses moitiés, et qu'il retienne seulement le troisième pour soi, à cause qu'il n'est pas plus grand que chacune des moitiés de C, et qu'il ne peut aller par après plus vite qu'elles. Tout de même si B a trente degrés de vitesse, il faudra qu'il en communique vingt à C; s'il en a trois cents, qu'il en communique deux cents, et ainsi toujours le double de ce qu'il retiendra pour soi. Mais puisque C est en repos, il résiste dix fois plus à la réception de vingt degrés qu'à celle de deux, et cent fois plus à la réception de deux cents; en sorte que, d'autant plus que B a de vitesse, d'autant plus trouve-t-il en C de résistance; et parce que chacune des moitiés de Ca autant de force pour demeurer en son repos que B en a pour la pousser, et qu'elles lui résistent toutes deux en même temps, il est évident qu'elles doivent prévaloir à le contraindre de rejaillir. De façon que de quelque vitesse que B aille vers C, ainsi en repos et plus grand que lui, jamais il ne

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peut avoir la force de la mouvoir (1). » Un an après, Descartes donne des raisons semblables à Clerselier, qui lui avait adressé des observations (2). Elles ne souffrent point de réplique, si on lui accorde le fondement où il les appuie, que le repos a une force. A cette force il rapporte aussi la dureté des corps (3).

Il croit que le repos a de la force comme le mouvement, parce qu'il le suppose aussi l'effet direct de la volonté divine (4). Malebranche emploie le dernier chapitre du dernier livre de la Recherche de la Vérité à le réfuter; et cette réfutation est d'autant plus décisive, qu'ils partent tous deux du même principe, que Dieu fait tout dans les corps ou que par eux-mêmes ils sont purement passifs. « Il peut se faire, lui dit-il, que Dieu veuille que chaque chose demeure en l'état où elle est, soit qu'elle soit en repos, ou qu'elle soit en mouvement, et que cette volonté soit la puissance naturelle qu'ont les corps pour demeurer dans l'état où ils ont été une fois mis... Cependant je n'ai point de preuve certaine que Dieu veuille, par une volonté positive, que les corps demeurent en repos, et il semble qu'il suffit que

(1) Princ., part. 11, art. 49.
(2) OEuv., t. IX, p. 195.
(3) Princ., part. 11, art. 54.
(4) Ibid., art. 36, 37, 43.

Dieu veuille qu'il y ait de la matière, afin que non-seulement elle existe, mais aussi afin qu'elle existe en repos.

« Il n'en est pas de même du mouvement, parce que l'idée d'une matière mue renferme certainement deux puissances ou efficaces auxquelles elle a rapport, savoir celle qui l'a créée et de plus celle qui l'a agitée. Mais l'idée d'une matière en repos ne renferme que l'idée de la puissance qui l'a créée, sans qu'il soit nécessaire d'une autre puissance pour la mettre en repos, puisque si on conçoit simplement de la matière, sans songer à aucune puissance, on la concevra nécessairement en repos. C'est ainsi que je conçois les choses; j'en dois juger selon mes idées, et selon mes idées, le repos n'est que la privation du mouvement; je veux dire que la force prétendue qui fait le repos n'est que la privation de celle qui fait le mouvement, car il suffit, ce me semble, que Dieu cesse de vouloir qu'un corps soit mu, afin qu'il cesse de l'être et qu'il soit en repos, »

<< En effet, la raison et mille et mille expériences m'apprennent que si de deux corps égaux en masse, l'un se meut avec un degré de vitesse et l'autre avec un demi-degré, la force du premier sera double de la force du second. Si la vitesse du second n'est que le quart, la centième, la millionième partie de celle du premier, le second n'aura que le quart,

la centième, la millionième partie de la force du premier. D'où il est aisé de conclure que si la vitesse du second est infiniment petite, ou enfin nulle, comme dans le repos, la force du second sera infiniment petite, ou enfin nulle, s'il est en repos. Ainsi il me paraît évident que le repos n'a nulle force pour résister à celle du mouvement. >>

D'après Montucla, l'extrait suivant d'une lettre de Descartes, de 1638 (1), prouverait que telle avait été autrefois son opinion. « Je ne reconnais, dit-il, aucune inertie ou tardivité naturelle dans les corps, et crois que lors seulement qu'un homme se promène, il fait tant soit peu mouvoir toute la masse de la terre, à cause qu'il en charge maintenant un endroit, et après un autre. Mais je ne laisse pas d'accorder que les plus grands corps, étant poussés par une même force, comme les plus grands bateaux par un même vent, se meuvent toujours plus lentement que les autres, ce qui serait peut-être assez, sans avoir recours à cette inertie naturelle, qui ne peut aucunement être prouvée (2). » On désirerait que ces lignes eussent le sens que leur prête Montucla, car il vaut mieux se contredire et sortir de l'erreur qu'être conséquent et y rester. Mais cette tardivité que Descartes repousse des corps, est une tardivité qui

(1) OEuv., t. VIII, p. 37.

(2) Hist. des math., t. II, p. 211.

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