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cette infinité en nombre étant impossible comme somme, c'est l'unité qu'on prend à la place; je veux dire, qu'au fond on cesse de considérer cette infinité de fonctions différentielles, pour considérer la fonction elle-même, l'infinité de bandes pour considérer l'angle.

Comme dans un mème objet, de l'unité de l'infini à l'infini unité et nombre est l'infini, on dit des choses qui ont une nature différente qu'elles sont séparées par l'infini, ce qui est philosophiquement et mathématiquement rigoureux. Qu'on se garde donc de voir une exagération et non pas la vérité même dans ces paroles de Pascal :

« La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité, car elle est surnaturelle. »

« Tout l'éclat de grandeur n'a point de lustre pour les gens qui sont dans les recherches de l'esprit. La grandeur des gens d'esprit est invisible aux riches, aux rois, aux conquérants et à tous ces grands de chair. La grandeur de la sagesse qui vient de Dieu est invisible aux charnels et aux gens d'esprits. Ce sont trois ordres de différents

genres. >>

« Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leurs victoires, et n'ont nuls besoins des grandeurs charnelles, qui n'ont nul rapport avec celles qu'ils cherchent. Ils sont vus des

esprits et non des yeux, mais c'est assez. Les saints ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leurs victoires, et n'ont nul besoin des grandeurs charnelles ou spirituelles, qui ne sont pas de leur ordre, et qui n'ajoutent ni n'ôtent à la grandeur qu'ils désirent. Ils sont vus de Dieu et des anges et non des corps ni des esprits curieux : Dieu seul leur suffit. >>

« Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre, les royaumes, ne valent pas le moindre des esprits, car il connaît tout cela et soi-même, et le corps rien; et tous les corps et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de charité, car elle est d'un ordre infiniment plus élevé. »

«De tous les corps ensemble on ne saurait tirer la moindre pensée cela est impossible, et d'un autre ordre. Tous les corps et tous les esprits ensemble ne sauraient produire un mouvement de vraie charité cela est impossible et d'un autre ordre tout surnaturel, »

De même que les divers ordres d'infini mathématique et d'infini moral, les divers ordres d'infini physique, soit de force, soit de distance, soit de grosseur, se trouvent nuls les uns devant les autres, La puissance de l'homme et de son industrie ne peut rien contre le flux et le reflux de l'Océan, contre les tempètes qui l'agitent, contre les explo

sions volcaniques, contre les tremblements de terre, ni le flux et reflux de l'Océan, ni ses tempêtes, ni les explosions des volcans, ni les tremblements de terre, contre le mouvement qui emporte notre globe autour du soleil, ni contre celui qui le fait tourner sur son axe. Que peuvent les forces qui animent les planètes contre celles qui animent le système solaire et le font mouvoir autour d'un centre de gravité commun à d'autres systèmes solaires? Qu'est le rayon de l'orbite de la terre par rapport à la distance qui nous sépare de la plus proche des étoiles fixes? Qu'est le grain de sable par rapport à la masse du globe? Ces infinis subordonnés ne sont rien à côté des infinis qui les dominent.

On a reproché à Bossuet d'avoir mis tous les peuples anciens en mouvement autour du peuple juif. Mais ce peuple, qui portait principalement les destinées du genre humain, n'avait-il pas dans son institution une force d'un infini supérieur aux infinis des forces qui existaient dans les institutions des autres peuples? De même, le peuple chrétien possède une force plus infinie que les forces des peuples infidèles; la raison humaine rattachée intérieurement à Dieu, au Moyen-Age, par le christianisme, jouit d'une force plus infinie que celle de tous les préjugés et de toutes les fausses philosophies, depuis six siècles, acharnés contre elle, sans qu'ils aient pu, je ne dirai pas la ruiner, comme

à la publication de l'Évangile, mais seulement l'empêcher de se déployer dans sa puissance, de tout renouveler, de se constituer reine du monde, avec le sacerdoce chrétien, pour le gouverner avec lui jusqu'à la consommation des temps.

Mais tous ces infinis de la société et de l'univers le cèdent aux infinis de la pensée; les uns et les autres rentrent dans le néant en face de l'infini absolu de Dieu. Toutes les créatures ensemble s'écrient comme le Psalmiste: Substantia mea tanquam nihilum ante te (1). Comprend-on que M. Lamennais déclare la création impossible, parce que la somme d'être serait plus grande après qu'avant, comme si l'être créé pouvait entrer en ligne de compte avec l'être créateur! Je l'ai dit ailleurs : qu'à chaque instant de son éternité, Dieu jetât à l'existence des myriades d'univers, il ne diminuerait point l'intervalle qui le sépare du moindre

atome.

(1) P. 5. 38.

FIN DE LA THÉORIE DE L'INFINI.

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