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circonférence, qui est une ligne courbe, où par conséquent tout a l'air d'être rompu, et où il ne semble pas qu'on ait le droit de conclure ce qui est après de ce qui est avant.

La connaissance de l'infini montre seule qu'on le peut. Sous le rapport du contour et de la perpendiculaire, elle révèle le rapport de la circonférence et du rayon. Ce dernier rapport, qui sert de fondement au premier, est l'unité de l'infini; le premier en est le nombre. Le passage du contour à la circonférence dans lequel les côtés du polygone s'évanouissent, n'est que l'élimination du nombre et la manifestation de l'unité. Qu'on s'arrête au contour, ou qu'on aille à la circonférence, on est toujours dans l'unité. Mais à la circonférence on s'y trouve explicitement, tandis qu'au contour on n'y est qu'implicitement. Du contour à la circonférence, le saut n'est donc que partiel. Il y a un fond commun qui ne cesse de nous porter.

D'après M. Lacroix, « la limite, différente pour chaque fonction, et toujours indépendante des valeurs absolues des accroissements, caractérise d'une manière qui lui est propre, la marche de la fonction dans les divers états par lesquels elle peut passer (1). » Ainsi, pendant que la fonction et la

(1) Traité élém. de calcul différ., p. 87, 5o édit.

variable prennent des valeurs différentes, la limite demeure constante et règle les changements. Par conséquent elle consiste dans un rapport intérieur qui est la manière dont la variable entre dans la fonction et qui constitue la nature de celle-ci. « Plus les accroissements de la variable indépendante sont petits, poursuit l'auteur, plus les valeurs successives de la fonction sont resserrées, plus enfin cette fonction approche d'être soumise à la loi de continuité dans ses changements, et plus leur rapport à ceux de la variable indépendante approche d'être égal à la limite assignée par le calcul. » Mais pourquoi cela, sinon parce qu'alors ce qui change tend à s'évanouir et à mettre à découvert ce qui ne change point? Lorsque la fonction est soumise à la loi de continuité dans ses changements, qu'il n'y a plus d'intervalles entre les valeurs successives qu'elle reçoit, que les accroissements ou décroissements de la variable sont zéro, la partie muable de la fonction s'en va, et apparaît en même temps la partie immuable, qui est ce qu'on appelle ici la limite.

La loi de continuité, ou plus simplement la continuité forme le lieu de passage de l'une à l'autre. Elle n'est point la limite de la fonction, mais la limite du changeant et du non changeant. En elle s'annule ce qui change, et en s'annulant laisse voir au delà ce qui ne change point. Sui

vant Navier (1) et M. Cournot (2), la limite mesure le rapport des changements de la fonction et ceux de la variable. Ceci est encore vrai. La limite étant l'unité, la loi de la fonction, elle détermine son nombre ou le rapport de ses changements et de ceux de la variable. Dans l'équation d'une courbe, le rapport des changements respectifs des variables, rapport qui lui-même change continuellement, ne dépend-il pas du rapport fondamental exprimé par cette équation, rapport qui ne change point et qui fait l'essence immuable de la courbe? En morale, n'est-ce pas par l'idée de la vertu qu'on estime, qu'on évalue les vertus ou les divers degrés de vertu, qui se rencontrent dans les actions humaines?

Mais que ce soit avec la théorie des limites, avec celle des infiniment petits, ou avec tout autre que l'infini rentre dans les mathématiques, peu importe; l'essentiel, c'est qu'on l'y reconnaît existant par la nature de la quantité, et non plus seulement comme artifice analytique; de même qu'autour de nous, sous nos pieds et sur nos têtes, il n'est plus jugé l'effet de l'imperfection des instruments, mais le fond des amplitudes de la création. Au reste, en combattant l'existence des infiniment

(1) Résumé des leçons d'analyse, part. 1, p. 7.

(2) Traité élémentaire, t. I, p. 53.

petits, nous ne prétendons point en proscrire le mot, qui peut être utile dans certains cas. Il suffit que cette expression, ainsi que celle de limite, soit bien expliquée et bien comprise. D'ailleurs l'invincible rectitude de l'analyse les empêche de fausser le calcul.

L'infini reparaît aussi dans la philosophie, mais seulement pour les idées qui appartiennent à l'entendement divin, et pas encore pour celles qui appartiennent au nôtre. C'est qu'en général on nie cès dernières, et qu'on n'admet que les autres dans la pensée. De là vient que Biran, par exemple, soutient que l'âme ne se connaît point. S'il s'entendait lui-même, il devrait soutenir qu'elle ne connaît rien. Sans les idées qui font qu'elle pense, comment connaîtrait-elle quoi que ce soit? Avec ces idées, comment ne se connaîtrait-elle pas avant tout, puisqu'elles ne peuvent donner la connaissance de rien qu'en donnant la connaissance d'elles-mêmes, et par conséquent de l'âme, dont elles forment la substance?

Entre une connaissance réelle de l'âme et une ignorance de tout, il n'y a point de milieu. Biran, et, avant lui, Malebranche, qui, dans la pensée, ne voit non plus que les idées divines, en supposent un singulier, c'est que l'âme se connaît par conscience. Ordinairement on appelle conscience ce mélange d'idées et de sentiments qui, en morale,

nous fait juger du bien et du mal. Comme ici les idées semblent fondues dans les sentiments, Malebranche et Biran se sont imaginé, sans doute, que le mot conscience indique un peu plus que le sentiment, et beaucoup moins que l'idée, une sorte de connaissance légère qui ne pénètre point les choses, mais qui cependant en découvre la superficie. C'est pourquoi ils disent que les actes ou opérations de l'âme nous sont connues, et que l'âme ne l'est pas, ou, selon le langage de Biran, que nous apercevons le moi actuel de la conscience, et que le moi absolu, que l'âme substance ou chose pensante nous échappe. Mais, ou la conscience n'est que le sentiment, et alors nous ignorons le moi actuel de la conscience aussi complétement que le moi absolu, car sentir, être affecté, ce n'est point connaître; ou la conscience est le sentiment et l'idée, et dans ce cas le moi absolu, l'âme substance ou chose pensante nous est aussi bien connue que le moi actuel, car le sentiment, pour se mêler à l'idée, ne l'altère ni ne l'affaiblit, quoiqu'il empêche quelquefois de l'approfondir, enlevant, brisant l'attention par sa rapidité et ses transports. Faut-il s'étonner qu'à ce simulacre de connaissance, qu'ils n'admettent d'ailleurs qu'en se contredisant, Malebranche et Biran refusent l'infinité ?

D'autres, comme les disciples de Reid, de Kant, excluent de la pensée les idées divines et y laissent

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