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Ce rapport fait son unité, et les changements sans fin dont la fonction et la variable sont susceptibles, font son nombre, l'une et l'autre son infini. La différencier c'est prendre la partie de son infini qui est unité, et laisser la partie qui est nombre; c'est dégager la première, en excluant ou annulant la seconde, sous laquelle elle est cachée. Intégrer cette différentielle, c'est restituer à la fonction son nombre. Lorsque dans une substance nous faisons abstraction du particulier ou du nombre, pour ne considérer que le général ou l'unité, nous agissons comme dans la différentiation; et lorsque nous revenons à considérer aussi le particulier, nous agissons comme dans l'intégration. Que de l'idée d'un homme ou des hommes, on s'élève à l'idée de l'homme même, et qu'avec l'idée de l'homme on descende à l'idée d'un homme ou des hommes, on exécutera en métaphysique deux opérations analogues à celles de différencier et d'intégrer en mathématiques.

Si la différentielle d'une fonction est plus générale qu'elle, ainsi que Lagrange le dit (1), ce n'est qu'en apparence, puisque la différentielle se trouve contenue dans la fonction, où elle est enveloppée par l'individuel de cette fonction. M. Cournot observe « qu'il conviendrait d'appeler la diffé

(4) Leçons sur le calcul des fonctions, p. 163; 2o édit.

rentielle fonction génératrice ou primitive, et la fonction complète fonction dérivée, au lieu d'appliquer ces dénominations en sens inverse, comme l'a fait Lagrange, guidé en cela par des considérations de pur algèbre (1). » Effectivement, c'est la différentielle qui fait l'essence de la fonction, qui est la loi des changements que celle-ci éprouve par suite des changements de la variable, et non pas la fonction qui est la loi de la différentielle, comme c'est l'idée générale d'homme, et non pas l'idée particulière de tel ou tel individu, l'uni– versel et non pas l'individuel, qui est l'essence de l'homme. Mais dans ce cas, au lieu de dire avec l'auteur que la loi des variations des grandeurs finies résulte de la loi des variations infinitésimales, il faudrait dire qu'elle est 'la même. La différentiation ne fait que la mettre en évidence en écartant ces grandeurs finies qui la voilent.

Les partisans des infiniment petits ont raison de soutenir que les différentielles ne sont point zéro; mais ils ont tort de supposer que leur réalité est dans l'individuel, avec lequel ils confondent l'universel. Ils ressemblent aux conceptualistes, qui, en philosophie, fondent sur le particulier les notions générales, ou, pour parler autrement, qui ne voient

(1) Traité elementaire de la théorie des fonctions et du calcul infinitesimal, t. I, p. 87.

dans l'universel qu'une pure conception dérivée de l'individuel. Dans l'exponentielle ea se confondent, par une exception singulière, l'universel et l'individuel, le coefficient différentiel et la fonction complète.

Leibnitz croyait faussement que les intégrales étaient des sommes de différentielles, et que le calcul intégral devait être appelé calcul sommatoire, summatorius (1). Il est étonnant que Leibnitz, qui savait si bien distinguer les idées générales des idées particulières, n'ait pas vu dans le rapport essentiel d'une fonction l'idée génerale, et dans les valeurs successives des variables de la fonction, les idées particulières de cette fonction. Jean Bernoulli donnait au calcul intégral, avec raison, le nom qu'il porte; car ce calcul, rendant à la fonction son nombre, la rétablit dans son intégrité. Pour désigner l'intégration, il employait d'abord naturellement la lettre I, initiale d'intégral, ensuite il l'abandonna mal à propos et prit la lettre S, initiale de somme, lettre dont se servait Leibnitz (2). Penserait-on que celui-ci se soit égaré jusqu'à assi miler les différentielles aux racines imaginaires (3), de nos jours, Carnot n'ait pas craint d'éta

et

que,

(1) Commercium epist., t. II, p. 161.

(2) Ibid., p. 155.

(3) Op., t. III, p. 371 ct 500.

blir un rapprochement entre elles et les quantités négatives (1)?

M. Lacroix, M. Cauchy et d'autres géomètres qui rejettent les infiniment petits, les évitent en employant les limites, où entre également la considération de l'infini. Mais il se rencontre deux difficultés : la première, c'est que les changements des fonctions et de leurs variables étant nuls, les limites des rapports de ces changements ne le soient pas; la seconde, c'est que les liens de ces rapports avec leurs limites ne s'altèrent point lorsque ces changements passent par zéro.

Dans les exemples que nous examinions tout à

de

l'heure, est la limite du rapport des change

dt

dy

ments de l'espace et de ceux du temps; est

dx

celle du rapport des changements de l'ordonnée et des changements de l'abrisse, Ici de dt, dy, dx, ne représentent ni des zéros, ni des infiniment petits, mais certaines quantités assignables. Cependant, pour arriver à ces quantités, il faut anéantir les changements ou accroissements de l'espace, du temps, de l'ordonnée, de l'abcisse. Alors, que reste-t-il de ces quantités? et s'il reste quelque chose, comment se fait-il que le rapport de ces

(1) Réflex, sur la métaphysiqne du calcul infinitésimal, note à la fin.

restes, émane rigoureusement du rapport des changements? Voici un exemple plus sensible. La surface d'un polygone régulier inscrit à un cercle est égale au contour de ce polygone multiplié par la moitié de la perpendiculaire abaissée du centre sur un des côtés. A mesure qu'on augmente le nombre de ces côtés ou qu'on diminue leur longueur, le contour approche de la circonférence, la perpendiculaire du rayon, et la surface du polygone de celle du cercle. Le cercle est dit la limite du polygone, le rayon la limite de la perpendiculaire, la circonférence la limite du contour. Mais ne semble-t-il pas absurde que ces côtés, qui alors sont anéantis, produisent une circonférence? en admettant qu'ils la produisent, quelle certitude a-t-on que le rapport de cette circonférence et de son rayon soit déterminé par le rapport du contour du polygone et de la perpendiculaire tirée du centre à un des côtés? On a beau dire que le contour, approchant continuellement et indéfiniment de la circonférence, en différera toujours moins que toute quantité donnée, et qu'en passant du rapport du contour et de la perpendiculaire à celui de la circonfiérence et du rayon, on ne saurait commettre d'erreur. Il est visible qu'il y a là un saut où la nature des choses paraît changée, où le contour, formé de lignes droites, devient la

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