Page images
PDF
EPUB

espaces parcourus par les différents points d'un corps, croissent aussi par des infiniment petits; car chaque point ne peut aller d'un point à un autre, sans traverser toutes les positions intermédiaires; et l'on ne saurait assigner aucune distance, aussi petite que l'on voudra, entre deux positions successives. Les infiniment petits ont donc une existence réelle, et ne sont pas seulement un moyen d'investigation imaginé par les géomètres (1). »

Il nous semble que c'est le contraire qu'il faudrait conclure. Si d'un point à un autre, on ne peut assi gner aucune distance, aussi petite qu'elle soit, il est clair que ces deux points se touchent, ou qu'ils ne sont séparés par aucune distance, ni dès lors par aucun infiniment petit. Le corps se meut d'une manière continue, sans intervalle de lieu et de temps.

Divisez l'espace parcouru et la durée du mouvement, vous aurez des distances d'une position et d'un instant, à la position et à l'instant suivant; mais ces distances, tant qu'elles existeront, ne seront pas plus petites que toute grandeur donnée, ni par conséquent des infiniment petits; et si vous cessez de partager l'espace et la durée, tout rentrant dans le continu de l'étendue et du temps, ces distances s'évanouiront et il ne restera rien qui prête réalité aux prétendus infiniment petits.

(1) Traité de mécanique, t. I, p. 14; 2o édit.

Bernoulli argumentait du même cas : «Un corps dont le mouvement décrit une ligne, existe sans doute par le fait en chacun des points que je puis, concevoir dans cette ligne; donc il existe aussi en deux points que je conçois comme infiniment rapprochés, et par conséquent il a réellement parcouru l'intervalle qui les sépare, c'est-à-dire une particule infiniment exiguë (1): » D'après ce que je viens d'expliquer, cette particule infiniment exiguë n'est qu'un mot.

Dans son Traité élémentaire de la théorie des fonctions et du calcul infinitésimal, où l'on remarque le commencement de l'alliance des mathématiques, et d'une philosophie qui sort des sensations, M. Cournot s'efforce aussi d'établir les infiniment petits. « Quand un corps, dit-il, en se refroidissant, émet sans cesse de la chaleur thermométrique, la perte de température qu'il éprouve dans un intervalle de temps quelconque, si petit qu'on le suppose, est un effet composé, résultant, comme de sa cause, de la loi suivant laquelle le corps émet sans cesse, en chaque existant infiniment petit, une quantité infiniment petite de cha

(1) « Corpus quod motu suo describit lineam, existit utique actu singulis punctis quæ in illa linea concipere possum; ergo etiam in duobus quæ ego concipio infinite sibi vicina; adeoque actu intervallum illud, seu particulam infinite exiguam, emensum est. » Commercium epist., t I, p. 391.

leur thermométrique. Le rapport entre les variations élémentaires de la chaleur et du temps est la raison du rapport qui s'établit entre les variations de ces mêmes grandeurs, quand elles ont acquis des valeurs finies, le terme raison étant pris ici dans son acception philosophique.

« De même les espaces décrits par un corps qui tombe librement, en cédant à l'action de la pesanteur, varient proportionnellement aux carrés des temps écoulés depuis le commencement de la chute, parce que l'accroissement infiniment petit de l'espace parcouru est proportionnel à la vitesse acquise, qui elle-même, par un résultat évident de l'action continuelle et constante de la pesanteur, est proportionnelle au temps écoulé depuis que le corps est en mouvement. De cette relation si simple entre les éléments du temps écoulé, et de l'espace décrit, dérive, comme de sa cause, la loi moins simple qui lie entre elles les variations finies de ces deux grandeurs.

« Sous ce point de vue, on a pu dire avec fondement que les infiniment petits existent dans la nature (1). »

C'est une illusion du même genre que celle de Bernoulli et de Poisson. Dans les deux exemples que l'auteur propose, on voit bien que les rapports

(1) T. I, p. 86.

élémentaires ou différentiels du refroidissement et du temps, et ceux de l'espace et du temps conduisent à leurs rapports ordinaires ou algébriques, et déterminent la perte de température, et la loi du mouvement accéléré. Mais de ce que les rapports différentiels s'appellent aussi rapports d'infiniment petits, s'ensuit-il que les infiniment petits existent? La question précisément n'est-elle pas de savoir ce que sont les différentielles, quelque nom qu'on leur donne.

Il est faux de dire avec Poisson, que « la différentielle dx d'une variable indépendante, est l'accroissement infiniment petit qu'on attribue à cette variable, et que la différentielle dy d'une fonction y de x, est l'accroissement correspondant de cette fonction (1). »

La quantité croît ou décroît d'une manière continue. Tout à l'heure j'ai montré que dans la ligne qu'un corps parcourt, il n'existe aucune position intermédiaire ou distance d'un point à l'autre. Par la pensée, sans doute, on peut rompre cette ligne en tant de parties qu'on voudra, mais à moins qu'on ne les suppose écartées les unes des autres, ces parties ne laisseront point d'intervalle. Dans le mouvement uniforme, la vitesse est l'espace divisé par le temps; pour qu'elle le soit encore dans

(1) Traite de mécanique, t. I, p. 16; 2o édit.

le mouvement varié ou qui change d'un point à un autre, on resserre l'espace et le temps en un point, on les fait nuls. Alors on dit que la vitesse est la différentielle de l'espace, divisée par la différende

tielle du temps, ou . De même une ligne qui

dt

coupe une courbe en deux points, devient tangente, si l'un des points va se confondre avec l'autre ; mais dans ce cas, les accroissements respectifs de l'abcisse et ceux de l'ordonnée par lesquels le premier point était déterminé, s'anéantissent, et leur rapport qui fixe la tangente est le rapport de la différentielle de l'ordonnée et de la différentielle

dy dx

de l'abcisse, c'est-à-dire Ainsi les différen

[ocr errors]

tielles de, dt, dy, dx, sont substituées à des zéros, et non pas à des quantités infiniment petites.

Mais quoi! ces symboles, qui jouissent de si merveilleuses propriétés, ne représentent-ils les quantités en aucune manière? sont-ils de purs riens? Newton, Euler, l'ont enseigné, et il semble que ce soit une nécessité, que la rigueur du calcul l'exige. Cependant l'imagination nous abuse. Si ces symboles remplacent des zéros, ils ne répondent point à des choses nulles; ils expriment l'unité de l'infini. Le rapport d'une fonction et de sa variable reste le même, tandis que la fonction change, par suite des changements de la variable.

« PreviousContinue »