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mine, et qui, en s'anéantissant devant lui, semblent l'étaler dans sa majesté souveraine. On dirait que la pensée n'est pas encore capable de les embrasser à la fois. Si elle s'empare des infinis relatifs, ils la remplissent tout entière, et l'infini absolu lui échappe; si elle atteint l'infini absolu, il lui dérobe les infinis relatifs.

L'infini qui ne fait que paraître dans les mathé– matiques et dans les sciences physiques, l'étourdit, il faut qu'elle se familiarise avec lui, qu'elle s'assure de sa réalité. Or, cette réalité est encore disputée dans les mathématiques, où l'infini ne semble qu'un artifice de calcul, et bientôt elle y est niée, ainsi que dans la philosophie. D'Alembert (1), Locke et Condillac, reculant jusqu'à la première antiquité, ne voient dans l'infini qu'une négation. Lagrange tente d'en bannir même le nom, et d'établir le calcul différentiel sans lui. M. de Bonald applaudit (2).

On ne reconnaît pas non plus dans les parties de la création le genre d'infini qui s'y trouve. Jusqu'à la découverte de l'aberration par Bradley, en 1728, les astronomes croient que les étoiles donnent sensiblement une parallaxe annuelle, et par suite une distance aisément assignable. Mais après

(1) Encyclop., art. Infini.

(2) Législation primitive, ↳ II, p. 185; 3o édit.

cette découverte, leurs longues tentatives, pour en saisir quelqu'une, et leur impuissance absolue, agrandissant pour eux sans fin les intervalles qui séparent les astres, leur ouvrent partout les abîmes de l'infini dans l'univers. « On devrait s'attendre assez naturellement, dit M. Herschel, à ce qu'une base aussi vaste que le diamètre de l'orbe terrestre pût être avantageusement employée pour la triangulation des étoiles; à ce que le déplacement de la terre, d'un point de son orbite au point opposé, produisît une parallaxe annuelle des étoiles, suceptible d'être mesurée, et de conduire par le calcul à la connaissance de leurs distances. Mais quelque raffinement qu'on ait apporté aux observations, les astronomes n'ont pu arriver par cette voie à des conclusions positives et concordantes; de façon qu'il semble démontré que cette parallaxe, même pour les étoiles fixes les plus proches parmi celles qu'on a examinées avec le soin convenable, se trouve mêlée avec les erreurs fortuites inhérentes aux observations, et masquée par elles. Or, le degré de perfection auquel celles-ci ont été portées, ne permet pas de douter que si la parallaxe en question était seulement d'une seconde (ou si le rayon de l'orbe terrestre, vu de la plus proche étoile fixe, soutendait cet angle si petit), elle n'aurait pas manqué d'être universellement reconnue... Étant moins qu'une seconde, la distance

de la plus proche des étoiles est donc plus grande que six trillions, sept cent vingt billions de lieues, 6,720,000,000,000. De combien est-elle plus grande? c'est ce que nous ignorons (1). »

Parlant des amas d'étoiles, il dit que « plusieurs de ces amas doivent contenir au moins dix ou vingt mille étoiles, pressées dans un espace circulaire, dont l'aire n'est que la dixième partie de celle que le disque de la lune recouvre sur le firmament. Peutêtre, ajoute-t-il, on nous reprochera d'être épris du gigantesque, si nous songeons à considérer les individus associés dans ses groupes comme des soleils du genre du nôtre, et leurs distances mutuelles comme étant de l'ordre de celles qui séparent notre soleil des plus proches étoiles fixes. Cependant, si l'on réfléchit que la lumière confondue de toutes les étoiles qui composent le groupe, affecte l'œil moins vivement que celle d'une étoile de cinquième ou sixième grandeur, car les plus étendus de ces amas sont à peine visibles à l'œil nu, l'idée qu'on se fera de leur distance, permettra à l'imagination de se familiariser même avec des dimensions aussi énormes (2). » Et plus loin, à l'occasion des nébuleuses: << sous quelque point de vue qu'on les envisage, elles offrent un champ inépuisable de spé

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(1) Traité d'astronomie, art. 588, trad. de M. Cournot.

(2) Art. 614 et 615.

culations et de conjectures. On ne saurait douter qu'elles ne soient, pour la plupart, formées par une agglomération d'étoiles, et l'imagination se perd dans cette série interminable qu'elle entrevóit, de systèmes qui se groupent pour former d'autres systèmes, de firmaments qui composent d'autres firmaments (1). » Voilà l'infini physique en grandeur et ses divers ordres. L'infini physique en petitesse et ses ordres divers, que fait deviner le microscope, ne sont pas moins certains. L'un et l'autre consistént dans une telle distance des choses, qu'elles n'ont rien de commun que de faire partie d'un système qui les embrasse toutes, et de ne s'influencer que par rapport à ce système. L'animalcule imperceptible qui vit en nous dans une goutte de sang ou de lymphe, n'est pas moins éloigné de notre corps, que le globe qui nous porte, de l'étoile qui se meut avec le soleil autour du même centre de gravité.

Enfin, cependant, M. Bessel vient, assure M. Arago, d'obtenir la parallaxe de la soixante et unième étoile du Cygne. «Elle est un tiers de seconde ou plus exactement 0",31. La parallaxe 0,31 correspond à une distance de la Terre, qui surpasse six cent mille fois l'intervalle de la Terre au Soleil, à une distance que la lumière ne franchirait, avec sa

(1) Art. 625.

vitesse de soixante-dix-sept mille lieues par seconde, qu'en dix ans (1). » Il résulte alors d'un calcul fait par M. Herschel (2), que la lumière d'une étoile de seizième grandeur doit mettre plus de trois mille ans pour arriver jusqu'à nous. Or, cette étoile est-elle donc postée sur les limites de l'univers, qui n'a point de limites pour l'imagination? Ainsi, il est des étoiles dont la lumière ne parviendra jamais à la terre! Que dis-je? Il en est dont la lumière ne saurait y parvenir! Mais je ne m'arrêterai point à ces supputations prodigieuses; il faut poursuivre mon sujet.

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Par l'impossibilité de se passer de l'infini dans les mathématiques, il y rentre triomphant. Il est vrai que c'est avec l'erreur de Leibnitz, qui, peu d'accord avec lui-même, tout en rejetant l'existence d'un dernier terme ou de l'infiniment petit dans la série +++ etc., admettait les infiniment petits dans les différentielles. Suivant Poisson, l'un des promoteurs de ce retour, « on est conduit à l'idée des infiniment petits, lorsqu'on considère les variations successives d'une grandeur soumise à la loi de continuité. Ainsi le temps croît par des degrés moindres qu'aucun intervalle qu'on puisse assigner, quelque petit qu'il soit. Les

(1) Analyse hist. et critique de la vie et des travaux de sir Wilham Herschel; Annuaire du Bureau des longitudes, p. 385, an 1842. (2) Traité d'astr., art. 500.

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