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l'atome de Leucippe; tel est le dernier terme dans la série descendante +++ etc., et dans la série ascendante 1+2+4+8+, etc., terme qui dans l'un ne serait ni zéro ni non zéro, et dans l'autre ni infini ni non infini. Que dans + + etc., il soit zéro, il ne sera pas un terme effectif; qu'il ne soit point zéro, il ne sera point le plus petit possible, ou le dernier, car tout ce qui differe de zéro, est susceptible de diminuer encore. Que dans 1+2+4+8+etc., il soit infini, il sera unique, les autres disparaissant devant lui, et il n'y a plus de série; qu'il ne soit pas infini, il ne sera pas le dernier, puisque la série s'étend à l'infini. « L'omnia, dit Leibnitz à l'occasion de ces deux séries, l'omnia pris comme numerus maximus, est une chose contradictoire, comme numerus minimus; les deux extrémités nihil et omnia sont hors des nombres, extremitates exclusæ non inclusæ (1). ›

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Par les explications qui précèdent nous entendons sans doute clairement que le nombre de l'infini détermine son unité; et il est évident de soi que son unité est la source de son nombre; que le nombre, embrassant tout ce qui est dans l'unité, luiest égal, quoiqu'il ait un autre genre d'existence qu'elle.

(1)

Plotin, qui fait l'intelligence inégale à l'un, sup

Op., t. III, p. 501. Lettre à Dangicourt.

pose que dans l'un ou la puissance, il y a quelque chose qui n'est point déterminé, ce qui est absurde. Encore une fois, rien ne peut-être sans être d'une certaine façon, sans avoir quelque propriété effec- tive; l'absence de toute propriété, de toute façon d'être, c'est le néant. Que dire de cette âme, qui doit unir l'intelligence et la puissance, être leur parfaite égalité, et qui gît inférieure à l'une et à l'autre? Plotin altère donc dans ses trois parties essentielles la substance pensante, et en particulier la substance divine, dont, au reste, il a le mérite d'avoir tenté le premier d'expliquer à fond la tri ple existence. Sur ses traces, mais soutenu par l'enseignement chrétien, saint Augustin donne l'explication véritable. Si Plotin se trompe, que dironsnous de l'erreur grossière d'Héraclite, des stoïciens, de Bruno, de Spinosa, de Schelling, qui posent à Dieu pour nombre l'univers? D'où il suit que l'univers, que tout ce que nous voyons, tout ce que nous touchons, est son intelligence, c'est-à-dire qu'il n'en a point, et qu'en lui la puissance agit aveuglément. Le plus conséquent ou le plus franc d'entre eux, Spinosa, s'empresse de le proclamer, en disant «que l'intelligence et la volonté ne sont, par rapport à Dieu, que comme le mouvement et le repos, et, en général, toutes les choses physiques (1). »

(1) Eth., p. 1, prop. 32, cor. 2.

D'où il suit encore que, quoique le monde soit seulement établi le nombre de la substance divine, la substance divine n'est pas plus grande que le monde, car son unité, qu'on semble placer hors du monde, est avec son nombre dans le monde même, puisque chaque substance est tout entière dans son nombre, comme elle est tout entière dans son unité, et que là où est son unité, là est son nombre, c'est-à-dire elle-mème.

Sans tomber dans la mème erreur, Platon semble croire que le plan ou idée de l'univers remplit entièrement la pensée de Dieu (1). Dans son ignorance de l'infini, il devait naturellement penser qu'il n'y a guère rien de possible au delà des créatures existantes. Mais que l'infini paraisse, l'entendement divin s'agrandira, Malebranche et Leibnitz y verront les idées d'une infinité de mondes infiniment plus amples. Cependant, du milieu de ces infinis, ils ne s'élèvent point à l'infini absolu, devant lequel s'évanouissent tous les autres. Ils prétendent que parmi ces mondes possibles il y en a un qui est le meilleur, et que pour cela Dieu a été obligé de le choisir; par conséquent, il n'en pouvait créer un plus parfait, que le monde existant, comme ils l'avouent eux-mêmes sans peine. Ils accordent néanmoins que le degré de perfection que celui-ci

(1) OEuv., 1. XII, p. 120 et 121.

possède, n'est point l'infini absolu, qui n'appartient qu'à Dieu; que c'est seulement un infini relatif, c'està-dire un système d'infinités d'infinis, qui sont finis en quelque sens. Ils ne songent pas que tout ce qui est fini en quelque manière, implique toujours des infinités d'infinis au-dessus de soi, et qu'ainsi l'œuvre de Dieu est à l'infini de l'infini au-dessous de ce qu'elle pourrait être. Malebranche donc et Leibnitz, en soutenant que Dieu ne pouvait la faire supérieure, limitent arbitrairement le pouvoir de Dieu, et méconnaissent l'infini en tous sens, qui respire en lui. Aussi renversent-ils la nature de l'infini, qui, dans cette suite infinie de mondes possibles successivement plus parfaits les uns que les autres, repousse un dernier monde contenant l'extrême perfection. Leibnitz n'a su tirer aucun parti des paroles déjà citées : «L'omnia pris comme numerus maximus est une chose contradictoire, comme numerus minimus, les deux extrémités, nihil et omnia, sont hors des nombres, extremitales exclusæ non inclusa. » Oui, l'omnia pris comme numerus maximus, c'est-à-dire dans la question qui nous occupe, pris comme le monde le plus parfait, est une chose contradictoire. D'un côté, il faut qu'il soit infini, puisqu'il est le dernier terme d'une suite ascendante qui va à l'infini. De l'autre il faut qu'il ne soit point infini, puisque, s'il l'était, les autres mondes, qui sont finis, s'annule

raient à côté de lui, il n'y aurait plus de série, et il serait seul représenté dans l'entendement divin, ce qui est contre l'hypothèse, et contre la vérité. Pour me conformer au langage ordinaire, j'appelle ici finis des mondes qui ne sont pas infinis dans tous les sens; et celui que j'appelle infini n'est point l'infini absolu, mais seulement infini dans plus de sens que les autres.

On le voit, cette infinité de mondes que Malebranche et Leibnitz mettent avec raison dans l'entendement divin, se réduit à un seul, par leur faux principe de l'optimisme, et faisant rétrograder la notion de l'infini jusqu'à Platon, pour eux comme pour lui, la pensée du Créateur n'est pas plus étendue que l'idée du monde créé. Cette conséquence qu'ils n'aperçoivent pas et devant laquelle ils eussent probablement reculé, est tirée par Charles Bonnet, disciple de Leibnitz. « L'ENTENDEMENT DIVIN, dit-il, n'a point vu différents univers aspirer l'existence. LA SAGESSE n'a point choisi entre ces Univers le meilleur. Un, seul Univers était possible c'était celui dont DIEU a dit qu'il était bon. Il était bon, parce qu'il répondait aux PERFECTIONS de la CAUSE. Il était le Plan de la SAGESSE, l'Objet de la PUISSANCE qui n'a point d'autres bornes que la Nature des Choses (1). L'INTELLI

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(1) Essai de psychologie, p. 252.

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