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dynamique (1); que tous les effets de la nature ne sont que les résultats mathématiques d'un petit nombre de lois immuables (2). Et il ne se trompe ni plus ni moins que de Maistre, de Bonald et les autres. Tous traitent les idées de perfection comme les idées de grandeur, ne voient ou ne supposent que celles-ci dans la pensée, que la quantité dans la substance, et se trouvent implicitement d'accord avec les mécanistes absolus, Leucippe, Démocrite, Epicure, Hobbes. Pour eux les mathématiques sont la science universelle, dont les autres découlent comme de simples applications. Malebranche tend à en faire des sciences à part, mais sans pouvoir y réussir, parce que, expliquant mal l'origine des idées de grandeur, il n'en distingue pas nettement les idées de perfection. On peut dire la même chose de Tracy, comme nous le verrons.

Une incommunicable propriété des idées de grandeur, c'est de pouvoir être exactement représentées dans des symboles, chiffres ou lettres; de sorte qu'en opérant sur ces symboles d'après certaines règles très-simples, on parvient à des résultats infailliblement vrais, secours merveilleux pour l'esprit, qui lui doit ses immenses progrès dans les mathématiques. Il est évident que cette propriété

(1) Essai philosophique sur les probabilités, p. 248. (2) Ibid., p. 250.

tient à ce que la quantité est par essence divisible en parties égales. Comme la force n'est point susceptible d'une semblable division, les idées de perfection échappent à la compréhension rigoureuse de tout symbole; rien ne saurait les représenter exactement, et pour les embrasser, il faut les considérer en elles-mêmes. Par exemple, il n'y a rien dans une courbe, qui ne soit dans son équation, et si on veut l'y découvrir, il suffit de la discuter. Mais quelle phrase renferme complétement la pensée qu'elle désigne? Quand j'écris: Dieu est bon, l'idée de Dieu, l'idée de bon, l'idée d'être, le jugement qui les unit, sont-ils véritablement représentés dans ces mots? S'ils l'étaient, tous ceux qui sont capables de s'en rendre compte, les y verraient également, comme tous ceux qui peuvent discuter l'équation d'une courbe, y voient également les propriétés de cette courbe. Qu'un géomètre plus intelligent aperçoive quelque propriété nouvelle, aussitôt qu'il l'a mise en lumière, les autres l'entendent comme lui. En est-il ainsi de la pensée : Dieu est bon? Par cette phrase, n'est-elle pas diversement réveillée dans les divers esprits, même des philosophes de profession? A celui-ci elle paraît plus, à celui-là moins, à un troisième autrement, et quelquefois l'opposé. La phrase donc permet mille nuances et plusieurs sens, tandis que l'équation ne tolère qu'un sens uniforme. Sans doute les

partisans de la vraie doctrine tombent d'accord sur l'essentiel, mais parce qu'il est indépendant des nuances et n'exclut que les sens réellement faux, c'est-à-dire qui détruisent ou qui altèrent la chose.

Pourtant c'est sur l'hypothèse imaginaire que les idées de perfection s'expriment exactement dans les mots, que repose la logique. A quoi s'applique t-elle, en effet? à la proposition. Qu'est-ce que la proposition? La pensée mise sous les yeux par les mots, selon la signification même de l'expression proponere, placer devant. Considérant quatre espèces de propositions, les universelles et les particulières, tour à tour affirmatives et négatives, divisant chacune en deux parties, le sujet et l'attribut, qui deviennent successivement le petit terme, le grand terme, le moyen terme, la logique compose ce qu'elle nomme quatre figures et dix-neuf modes, qui, suivant elle, peuvent enfermer toutes les idées avec leurs relations, et qu'il suffit de savoir manier, pour atteindre immanquablement la vérité, au moins dans le raisonnement. Or, je le demande, cela ne revient-il pas aux formules que l'algèbre fournit pour déterminer les valeurs des inconnus dans les équations? Voilà pourquoi les logiciens conséquents, tels que Hobbes et Condillac, proclament que raisonner n'est que calculer. « Certainement, dit Condillac, calculer c'est

raisonner, et raisonner c'est calculer si ce sont là deux noms, ce ne sont pas deux opérations... Personne n'est plus convaincu de cette vérité que mon expérience me confirme tous les jours... que les raisonnements d'un métaphysicien sont des opérations mécaniques, comme les calculs d'un mathématicien... Je sens que lorsque je raisonne, les mots sont pour moi ce que sont les chiffres ou les lettres pour un mathématicien qui calcule; et que je suis assujetti à suivre mécaniquement des règles pour parler et pour raisonner, comme pour résoudre une équation. Quant aux métaphysiciens qui croient raisonner autrement, je leur accorderais volontiers que leurs opérations ne sont pas mécaniques; mais il faudra qu'ils conviennent avec moi qu'ils raisonnent sans règles (1). » Hobbes donne à sa logique le titre de calcul et la fait consister dans l'addition et la soustraction.

« Si calculer est raisonner, remarque Tracy, raisonner n'est pas calculer... L'idée calcul renferme l'idée raisonnement dans sa compréhension; mais l'idée raisonnement ne renferme pas toute l'idée calcul dans, la sienne. Un calcul n'est pas seulement un raisonnement; c'est un raisonnement sur des idées de quantités, et suscepti

(1) Langue des calculs, t. I, ch. xvi, sur la fin,

ble, par cette circonstance, d'être fait avec des signes particuliers; en un mot, c'est un raisonnement ayant des caractères qui lui sont propres. Voilà pourquoi on peut dire, un calcul est un raisonnement, et on ne peut pas dire, un raisonnement est un calcul. Le raisonnement est le genre; le calcul n'est que l'espèce. C'est pour cela que vous pouvez transformer tout calcul en un raisonnement; mais que vous ne pouvez pas transformer pås tout raisonnement en un calcul. C'est pour cela aussi que tout ce qui est vrai du raisonnement en général, est vrai du calcul; mais que tout ce qui est vrai du calcul, ne l'est pas du raisonnement. On peut donc, et on doit voir dans un calcul, des syllogismes ou des sorites, suivant que l'on reconnaît l'une ou l'autre de ces formules pour la forme essentielle du raisonnement; mais on n'est point autorisé à voir des additions et des soustractions dans un raisonnement, car effectivement il n'y en a pas; ou du moins, s'il y en a, c'est comme il y a du noir sur du blanc, quand ce raisonnement est écrit; mais ce n'est là qu'une circonstance accessoire de ce raisonnement; ce n'est pas le but qu'on se propose en le faisant, ni la qualité qui constitue essentiellement un raisonnement (1). L'algèbre, dit-il ailleurs, n'est applicable qu'aux

(1) Logique., p. 371, édit. 1oo,

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