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pensants; idées mixtes, s'il s'agit d'étendue matėrielle, comme dans les animaux, les végétaux, les corps inorganiques, solides, fluides, gazeux. C'est en Dieu et en nous que nous contemplons les vérités mathématiques, dont nous faisons une application aux choses physiques.

Mais dans chaque être il y a aussi de la force, et en tant que force, il ne répond aux idées de grandeur que si la force, avec ses effets, est dans un rapport rigoureux avec l'étendue, ce qui n'a lieu que dans le règne inorganique, tandis que dans les règnes végétal, animal, pensant, la force prédomine. Aussi le règne inorganique présente-t-il seul un mécanisme calculable.

Considère-t-on les actes de la pensée? Dans chacunil y a des idées de grandeur; mais il y a aussi des idées de perfection; et il faut distinguer ceux où les idées de grandeur n'entrent qu'afin d'aider les idées de perfection à se produire, de ceux où elles entrent afin de se produire elles-mêmes. Dans le premier cas, n'étant point l'objet de la pensée, qui n'envisage que les idées de perfection et la force qui leur répond, elles demeurent étrangères aux sciences qui en résultent, comme la métaphysique, la théologie, la morale, la politique, la médecine, la zoologie, la botanique, enfin toutes celles où la force est considérée, et où elle ne se trouve pas dans un rapport rigoureux avec l'étendue. Dans

ces sciences, incessamment on mesure, on compie, on parle de grand, de petit, de moyen, de plus, de moins, d'égal, d'un, de plusieurs. Pour cela s'occupe-t-on d'arithmétique et de géométrie? Il est clair qu'on parle ainsi selon les idées de perfection et nullement selon les idées de grandeur, quoique sans celles-ci, il fût impossible de le faire; elles servent d'intermédiaires, voilà tout. La vérité, la piété, la justice, la vertu, la santé, la couleur, la saveur, souffrent-elles qu'on dise d'elles réellement qu'elles sont quatre fois plus grandes ou plus petites, comme on le dit d'une distance, d'un temps? peuvent-elles se diviser chacune en portions, de sorte qu'on prenne une de ces portions pour terme de comparaison à chacune tout entière? Quelle absurdité de le supposer!

Dans le second cas, au contraire, les idées de grandeur étant l'objet même de la pensée, qui les considère avec l'étendue et la force qui se trouve dans un rapport rigoureux avec l'étendue, les idées de perfection qu'elle ne considère plus, demeurent étrangères aux sciences qui en résultent, lesquelles se réduisent exclusivement aux mathématiques pures et mixtes. Ici, à leur tour, les idées de perfection deviennent simplement auxiliaires, comme l'étaient tout à l'heure à leur égard les idées de grandeur. A chaque instant on dit : C'est, ce n'est point; on parle de bon, de mauvais, de juste, de non juste,

de cause, d'effet, de force. S'agit-il de substances qui existent ou qui n'existent pas, d'êtres qui agissent, qui produisent, de bon, de mauvais, moral ou physique, de juste ou d'injuste? Manifestement cela est dit selon les idées de grandeur, et non point selon les idées de perfection, quoique sans celles-ci, il fût impossible de le concevoir et de le dire.

Pour ne pas faire cette distinction, il arrive qu'on traite les idées de perfection à la manière des idées de grandeur, et qu'on dénature, qu'on renverse les sciences qui en dépendent, qu'on les remplace par des fictions ou par des monstruosités. Les idées de grandeur étant plus aisées à comprendre, rarement on les traite à la manière des idées de perfection, et les mathématiques n'éprouvent presque jamais des autres sciences l'altération dont elles les frappent.

On ne fait point cette distinction, parce qu'on ignore d'où viennent ces deux genres d'idées. Pythagore absorbe toutes les sciences dans les mathématiques. Or, d'où dérive-t-il les idées de grandeur? Vraisemblablement de la vie ou force, qui est le principe des idées de perfection. Dire avec lui que l'âme est un nombre qui se meut de soi-même, avec Platon qu'elle est une substance intelligente qui se meut d'elle-même dans une harmonie numérique, que Dieu a fondé l'univers sur

des lois géométriques, ce qui n'est vrai que du règne inorganique, c'est supposer que les actes de l'âme, les fonctions des animaux et des végétaux, tombent sous le calcul, et confondre les idées de perfection avec les idées de grandeur. N'est-ce pas les confondre encore que prétendre, comme Platon, marquer arithmétiquement les révolutions des sociétés et le bonheur des humains? On croirait qu'il les distingue, puisqu'il donne aux unes le nom d'idées, et qu'il appelle les autres des êtres mathématiques. Mais en quoi consiste la différence? on n'en sait rien d'après ses écrits. Suivant Aristote, c'est que les êtres mathématiques ont des pareils, tandis que les idées sont uniques (1). « Par exemple, ajoute M. Cousin, il y a bien des cercles et bien des triangles; mais il n'y a qu'une « seule idée de cercle et de triangle (2). » Si telle est la différence établie par Platon, elle n'existe qu'en paroles, l'idée du cercle et celle du triangle n'étant pas moins des idées de grandeur que les idées des cercles et les idées des triangles. Aristote lui attribue encore des nombres idéaux, différents des nombres mathématiques. Mais qu'entendait-il? on ne le voit pas clairement. Dans notre théorie, on pourrait appeler nombres idéaux les idées de

(1) Métaph., liv. I, ch. v1.

(2) Ibid., trad., note.

grandeur, en tant qu'elles servent à manifester les idées de perfection. Cet homme a deux fois plus de connaissances que cet autre, voilà un nombre idéal; il est deux fois plus grand que cet enfant, voilà un nombre mathématique.

Plotin, pour qui l'entendement est un nombre qui se meut en lui-même (1); saint Augustin, pour qui la raison est peut-être le nombre lui-même (2); Kircher, pour qui le nombre est la raison développée (3); Leibnitz, pour qui le nombre est la clef des choses (4); eux tous qui réduisent ainsi la pensée aux idées de grandeur, d'où dérivent-ils ces idées? Selon Plotin, le nombre procède de l'unité par l'être (5). Il ne dit point d'où vient l'unité. Saint Augustin est aussi peu explicite. Kircher, après avoir déclaré que le nombre est la raison développée, ajoute : « De ce calçul ou compte de l'esprit qui combine, naît le nombre, et, comme il émane de cette unité primitive et modèle, il est inné dans l'entendement humain; tout ce qu'il fait, c'est par cette unité qu'il le fait, jusqu'à ce qu'il se résolve en elle. » Kircher tire donc le nombre de la faculté qu'a l'esprit de calculer ou de

(1) En. 6, liv. VI, ch. Ix.*

(2) De l'ordre, liv. II, art. 48.

(3) Arithmologie, part. 1, p. 1. OEdip. égypt., t. II, part. 11, p. 6.

(4) A la suite des Nouveaux essais sur l'entendement humain, p. 535;

édit. 1.

(5) En. 6, liv. VI, ch. Ix.

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