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planètes et les satellites les uns vers les autres? Par quoi le soleil tendra-t-il vers tous? On conçoit que par ce fluide, qui pénètre les astres, les parties qui les composent tendent les unes vers les autres de la surface au centre. Mais par quoi tendrontelles les unes vers les autres du centre à la surface? A l'intérieur comme au dehors la gravitation sera réciproque au carré des distances; les perturbations resteront inconipréhensibles; la troisième loi fondamentale du mouvement, posée par Newton lui-même, que la réaction égale l'action, sera renversée. Ces trois conséquences, au moins les deux dernières, se rencontreraient dans toute tentative d'expliquer mécaniquement l'attraction, e'est-à-dire de la dénaturer pour en faire une impulsion. Les perturbations qu'on désespéra si longtemps de lui assujettir, sont l'invincible preuve de sa réalité. Elles impliquent que chaque astre, dans toutes les positions possibles, obéisse aux sollicitations de tous les autres, ce que nous défions de comprendre, si les astres ne se tirent mutuellement. Cette propriété est occulte, je l'avoue, comme le sont toutes celles qui tiennent à l'activité des corps, telle que la nutrition, par exemple, c'est-à-dire qu'on ne se rend pas un compte net de leur action. Mais s'en rend-on plus nettement compte en les attribuant à l'étendue seule? Alors elles sont, non pas obscures, mais absurdes. Pour

échapper à l'absurdité, veut-on les attribuer à l'action divine? c'est un miracle perpétuel, et Dieu fait matière.

De Maistre repousse l'attraction, parce qu'il ne juge pas, d'un côté, qu'elle ait une cause mécanique, de l'autre, que la matière soit active (1). Sur le premier point, il est clair, d'après ce qui précède, que nous partageons son avis; nous le partageons aussi sur le second, si par matière il entend simplement l'étendue; mais nous nions qu'il y ait de la matière prise en ce sens, ou que l'étendue existe seule dans la nature. Partout elle est inséparablement unie à la force. Essayez de l'isoler, aussitôt les métaphysiciens d'Elée vous l'anéantissent. Que croiriez-vous que de Maistre substitue à l'attraction? Écoutez: « Newton nous ramène à Pythagore. Incessamment il sera démontré que les corps célestes sont mus précisément comme le corps humain par des intelligences qui leur sont unies, sans qu'on sache comment (2). » M. de Bonald incline aussi aux intelligences, parce qu'il suppose de même la matière passive (3). Comme de Maistre proclame

(1) Soir. de Saint-Pétersb., t. I, p. 302, 304, 312, 323, 338; t. II, p. 289, 317, 324, 325.

(2) Ibid., p. 287.

(3) Recherches phil., t. II, p. 120.

avec raison que nul phénomène ne saurait s'expliquer mécaniquement, il faudra aussi des intelligences pour voiturer le fer vers l'aimant et pour élever l'eau dans les tubes capillaires. Avec ces intelligences les perturbations sont encore moins concevables, s'il est possible, qu'avec l'impulsion de Leibnitz et de Newton. Comment les corps célestes exerceraient-ils quelque influence les uns sur les autres ? Évidemment chacun doit se mouvoir dans une indépendance aussi complète que s'il était seul. C'est là pourtant le moindre défaut de cette hypothèse. Elle refoule l'astronomie et la physique dans l'enfance, alors que l'esprit humain, n'ayant encore saisi la raison naturelle de rien, rapportait chaque phénomène à des génies dont il peuplait l'univers ; et puisque maintenant il s'est élevé à l'idée des lois générales, c'est bannir ces lois de la création et dégrader le Créateur, le supposant incapable de douer les êtres de telles propriétés et de les assujettir les uns aux autres, de telle sorte qu'ils aillent avec le seul secours de son action conservatrice. Être arrivé à concevoir les astres soutenus et transportés dans l'espace par la combinaison de deux forces calculables et calculées, n'est-ce pas, pour employer une expression familière à l'auteur, un véritable tour de force de l'esprit humain? Newton, c'est-à-dire l'attraction, loin de nous ramener à Pythagore ou

aux intelligences, nous pousse invinciblement à l'activité des corps.

Les mécanistes et les dynamistes se combattirent aussi ardemment dans le règne organique. A la tète des premiers est Borelli, à la tête des seconds Stahl. L'analyse de leur polémique nous conduirait trop loin; mais il en résulterait qu'ils sont également impuissants à expliquer les fonctions des plantes, surtout celles des animaux, et en particulier du corps humain. Ceux qui, de nos jours, assignent pour cause à toute maladie une altération organique, n'ont fait que donner un tour nouveau au mécanisme. Le dynamisme, sous sa face actuelle, c'est le principe vital dont l'action régulière ou troublée constitue la santé ou la maladie.

De cet aperçu il résulte que l'idée qu'eut Malebranche d'introduire l'étendue intelligible dans la nature de l'Étre divin, et la conséquence qu'il en tira relativement à l'espace, n'ont exercé aucune influence, et que la notion de la substance et les questions qui en dépendent, ne sont pas plus avan cées aujourd'hui qu'alors.

Quoique les philosophes n'aient pu encore parvenir à cette notion, leurs vingt-quatre siècles d'efforts ne sont point inutiles et servent à la vérifier. Comme ils ne l'ont jamais cherchée que dans la notion de force ou dans la notion d'étendue,

que par leurs attaques mutuelles, ils ont montré qu'elle ne se trouve ni dans l'une ni dans l'autre, il s'ensuit qu'ils établissent indirectement qu'elle est dans toutes les deux. Cette expérience confirme la spéculation.

Si donc toute substance est composée de force ou de vie, et d'étendue ou de quantité; si toutes les idées se réduisent à des idées de perfection, fondées sur la force spirituelle qui fait partie des substances des êtres pensants, et à des idées de grandeur, fondées sur la quantité spirituelle ou intelligible, qui fait aussi partie des substances des êtres pensants et les constitue avec la force spirituelle; si les idées de grandeur et les idées de perfection, si la quantité et la force n'existent point les unes sans les autres; si les idées de grandeur et la quantité sont plus saillantes et plus aisées à saisir que les idées de perfection et la force, fautil s'étonner de cette constante disposition de l'esprit humain à tout rapporter aux idées de grandeur et à ne voir partout qu'étendue et mécanisme?

Nous pouvons maintenant déterminer en quoi il se trompe, et rendre sensible la cause de son erreur. Considère-t-on les êtres? Dans chacun il y a de l'étendue, et en tant qu'étendue, il répond aux idées de grandeur, idées pures, s'il s'agit d'étendue spirituelle, comme dans Dieu et dans les autres êtres

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