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parties. Leibnitz soutient que la matière est divisée et même organisée à l'infini, que vouloir arrêter quelque part la division, c'esșt choquer la raison et ne point connaître la grandeur et la majesté de l'auteur des choses (1). Mais puisque, à ses yeux, la substance, qu'il appelle monade, n'est que force, il doit dire d'où vient cette division et cet organisme, d'où vient qu'il y a plusieurs substances. Dès que la pensée n'est que force, où a-t-il trouvé les idées de division, d'organisme, de nombre, qui dérivent de la quantité? Est-il possible qu'elle ait des idées d'ailleurs que d'elle-même, que de sa nature? Si donc Leibnitz marchait conséquent, il tomberait, je le répète, dans l'un alisolu des éléates métaphysiciens, vrai néant déguisé.

Par l'influence de Newton, l'atomisme a prévalu dans les sciences physiques et on le juge indispensable pour produire la régularité des formes dans la cristallisation, et la permanence des éléments dans les combinaisons chimiques. Cependant M. Cournot doute de cette nécessité. « Les phénomènes de la cristallisation, dit-il, peuvent tout aussi bien se concevoir et s'expliquer, en admettant que les forces moléculaires n'agissent pas avec la même intensité dans toutes les directions autour du centre d'où elles émanent, sans qu'il

(1) Ibid., p. 133.

soit besoin de rien spécifier sur la forme des dernières molécules ou des atomes. On peut même dire que cette explication s'accorde mieux avec l'état actuel de nos connaissances physiques, et qu'elle est philosophiquement plus probable, par cela même qu'elle ne résout pas la question de l'existence des atomes ou de l'essence de la matière. Il faut se méfier, en physique, de toute hypothèse qui emporte la solution d'une question métaphysique. Les lois de la chimie dont le système forme ce qu'on appelle maintenant la théorie atomistique, sont d'un plus grand poids que les phénomènes de la cristallisation en faveur de l'hypothèse métaphysique des atomes, mais on n'en peut rien conclure sur la figure des atomes ou des dernières molécules (1). » Cette remarque très-fondée demande peut-être quelque explication. La cristallisation, en effet, s'explique fort bien et mieux par la différence d'intensité dans les forces suivant les directions. Mais d'où provient cette variation des forces? Ce n'est pas de leur nature, qui est la même. Il faut donc que ce soit de la figure. On sait qu'elle modifie l'attraction cosmique, la résistance dans certains corps, la dilatation dans certains autres; qu'elle cause la polarité de la lumière, enfin une multitude de phénomènes. Eh

(1) Trad, de la Mécanique de Kater, p. 20, note.

bien! elle produira la différence d'intensité que M. Cournot suppose déterminer la structure des substances cristallines. Ainsi cette structure ou figure dépend des degrés dans les forces attractives, et les degrés dans les forces attractives, dépendent de la figure des molécules élémentaires ou constitutives des substances. Ce qui revient à la coexistence de la force et de l'étendue et à leur influence mutuelle.

Quant à la persistance des molécules dans les combinaisons de la chimie, elle résulte de l'énergie des forces qui entrent dans la composition de ces molécules, et n'exige point les atomes au sens métaphysiqué. De même que l'attraction des astres ne peut rien contre l'attraction des molécules des corps, celle-ci ne peut rien non plus contre l'attraction des parties des molécules, ni celle-ci contre l'attraction des parties de ces parties, ainsi de suite. Dans la nature, il faut concevoir, non pas un ordre, mais une infinité d'ordres d'infiniment petits, et réciproquement une infinité d'ordres d'infiniment grands.

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Par l'influence de Leibnitz, c'est la dynamique qui, en philosophie, a prévalu chez les Allemands, et qui aujourd'hui semble prévaloir chez nous. Wolf, Kant, Fichte, Schelling, Hegel, [Biran, ne parlent que de force. C'est la monade leibnitzienne scrutée, tourmentée de mille façons.

La discussion ne pouvait manquer d'embrasser l'attraction, à laquelle Newton donnait une haute importance, en fondant sur elle le calcul des mouvements célestes. Il avait d'abord laissé en doute si elle est une propriété essentielle à la matière, ou si elle résulte d'une impulsion, c'est-à-dire d'un pur mécanisme (1). Seulement il avait remarqué qu'elle n'agit point selon l'étendue des surfaces des corps, comme les causes mécaniques, mais selon la quantité de matière (2). Leibnitz, d'après sa doctrine, que tout s'opère mécaniquement dans les phénomènes, quoiqu'il n'y ait que des forces dans la nature, affirme que l'attraction ne peut être que mécanique; que rester là-dessus en suspens, c'est ressusciter les qualités occultes des scolastiques; que si, pour les éviter, on n'assigne aucune cause naturelle ou seconde, on tombe dans le miracle perpétuel (3).

Clarke défend l'indécision de Newton. Il déclare que « le moyen par lequel deux corps s'attirent peut être invisible, intangible et différent du mécanisme (4); par exemple, l'action immédiate de Dieu (5). Leibnitz, suivant lui, a tort d'accuser

(1) Op. Leib., t. III, p. 659.

(2) Livre des Principes, scol. général. (3) Op. Leib., t. II, p. 133, 167.

(4) Ibid., p. 141, art. 45.

(5) Ibid., p. 192.

l'attraction de miracle et de qualité occulte, puisqu'il s'agit d'un fait qu'on constate, quelle qu'en soit la cause. Au surplus, ajoute-t-il, si M. Leibnitz ou quelque autre philosophe peut expliquer les phénomènes de l'attraction par les lois du mécanisme, bien loin d'être contredit, tous les savants l'en remercieront (1). » La question étant précisément si les corps s'attirent ou se poussent, répondre que c'est un fait qu'on établit, abstraction faite de la cause, c'est ne rien dire, puisque de la nature de la cause dépend celle du fait.

En 1717, deux ans après que la dispute eut cessé par la mort de Leibnitz, Newton, dans l'avertissement de la deuxième édition de son Optique, dit, « que pour faire voir qu'il ne regarde point la pesanteur comme une propriété essentielle des corps, il a ajouté une question en particulier sur ce qui lui semble la produire. » Par conséquent il se range à l'opinion de son adversaire. Cette cause est un fluide ou éther partout répandu et dont la densité croît en raison inverse du carré de la distance aux corps célestes. Ces corps étant poussés dans les lieux où il est plus rare, on conçoit que par ce fluide les planètes tendent vers le soleil, et les satellites vers leur planète; mais par quoi les planètes tendront-elles vers leurs satellites, les

(1) Ibid., p. 193.

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