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el l'être en Dieu (1), lesquelles signifient simplement que nous et tous les êtres sommes enveloppés de toutes parts par l'opération conservatrice de Dieu A son tour, il somme Leibnitz de reconnaître un espace absolu, indépendant de l'étendue matérielle, ou d'avouer que l'étendue matérielle est infinie comme Dieu (2). Mais, au lieu de s'appuyer sur l'idée même que nous avons d'une étendue infinie, où il puiserait une force invincible, il demande si l'univers a ou n'a pas de bornes. S'il est borné, ce qui existe au delà prouve l'espace; s'il est sans bornes, il n'y a point d'espace et la matière qui le remplace est infinie (3). Comme s'il était nécessaire que l'univers fût un infini égal à celui de Dieu, ou qu'il laissât hors de lui un vide, c'est-à-dire, l'espace!

Cette méprise et les difficultés par lesquelles se pressent les deux adversaires, tombent devant la notion que nous donnons de la substance. L'espace absolu que veulent Newton et Clarke étant l'étendue intelligible, incréée, qui entre dans l'être divin, ce n'est point dans cet espace que se meuvent les corps; il est à l'infini au-dessus d'eux, il n'a aucune mesure commune avec eux, et on ne saurait dire qu'ils sont avec lui dans l'essence de Dieu.

(1) Ibid., p. 175, 176.

(2) Ibid, p. 177.

(3) Ibid.

Ils se meuvent dans l'étendue matérielle créée, qui forme l'espace relatif. Quoique cet espace soit infiniment plus petit que l'autre, il ne laisse point de vide hors de lui, à moins que par vide on n'entende le néant. C'est l'étendue de la création matérielle, qui est à elle-même son espace, son lieu. Si l'espace intelligible la déborde de toutes parts, c'est dans un ordre supérieur et tout différent. Ainsi on pourrait rejeter l'espace absolu, sans être nullement obligé de supposer l'univers absolu, puisqu'ils sont étrangers l'un à l'autre.

De là l'impossibilité soutenue par Leibnitz, que l'univers éprouve un mouvement qui le déplace. Un tel déplacement serait une création nouvelle. Ce changement de place, possible dans l'hypothèse du vide, ne peut cependant être opéré par l'univers lui-même, puisque dans un système de corps qui ne sont soumis qu'à leurs actions mutuelles, le commun centre de gravité demeure en repos. Il est juste de dire que lorsque Newton et Clarke parlent de la translation de l'univers, ils l'attribuent directement à Dieu.

Outre l'espace relatif, il paraîtrait, par deux endroits de ses Nouveaux essais sur l'entendement humain, que Leibnitz admettait un espace absolu. « L'idée de l'absolu, dit-il, par rapport à l'espace, n'est autre que celle de l'immensité de Dieu (1)...

(1) P. 116.

Par rapport à l'espace, il faut attribuer à Dieu l'immensité, qui donne des parties et de l'ordre à ses opérations immédiates (1). » Comment entend-il cet espace? Est-ce un espace dans lequel se meuvent les corps? On pourrait le croire, puisqu'il donne des parties et de l'ordre aux opérations immédiates de Dieu, dont il forme l'immensité. Alors pourquoi attaquer si vivement Newton? Les objections dont il l'accable ne retombent-elles pas sur lui-même? Cet espace est-il en Dieu sans aucun rapport à la région des corps? Il serait encore permis de le croire, puisqu'il dit que sa vérité et sa réalité sont fondées en Dieu, comme toutes les vérités éternelles (2). Que ce soit le premier ou le second, comme Leibnitz réduit la substance à la force, il reste toujours à savoir sur quoi il le fonde. Chez lui, évidemment toute sorte d'espace est im– possible.

Mais qu'on prenne l'espace absolu pour un vide infini dans lequel se meuvent les corps, ou pour l'étendue spirituelle infinie qui est en Dieu, il ne forme point l'immensité divine. Malebranche l'a fort bien aperçu. «Quoi! s'écrie-t-il, vous confondez l'immensité divine avec l'étendue intelligible? Ne voyez-vous pas qu'il y a entre ces deux choses une différence infinie? L'immensité de Dieu,

(1) Ibid., p. 112.

(2) Ibid., p. 107.

c'est sa substance même répandue partout, et partout tout entière, remplissant tous les lieux sans extension locale... L'étendue intelligible n'est que la substance divine, en tant que représentative des corps (1). » Effectivement, Dieu n'est pas immense, parce qu'il est l'infini absolu de l'étendue, car il ne serait immense que par un côté, mais il est immense parce qu'il est aussi l'infini absolu de la puissance, l'infini absolu de la sagesse, l'infini absolu de la justice, l'infini absolu de la bonté, enfin l'infini absolu de toutes les perfections possibles. Réduire son immensité à l'étendue, c'est l'y réduire lui-même. Alors l'étendue perd l'unité substantielle dont elle jouit avec le concours de la force, elle s'anéantit ou dégénère en étendue matérielle, et Dieu n'est plus que la masse de l'univers.

Quant aux atomes, Newton établit, comme Leucippe, Démocrite et Épicure, que sans eux il n'y a rien de constant dans la nature des choses, et Clarke que la matière n'existe point. Mais le raisonnement de celui-ci est fautif. « S'il n'y a point, dit-il, de parties parfaitement solides dans la matière, il n'y a point de matière dans l'univers : car plus on divise et subdivise un corps, pour arriver enfin à des parties parfaitement solides et sans

(1) Entret. métaph., VIII, 8.

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pores, plus la proportion que les pores ont à la matière solide de ce corps, plus, dis-je, cette proportion augmente. Si donc, en poussant la division et la subdivision à l'infini, il est impossible d'arriver à des parties parfaitement solides et sans pores, il s'ensuivra que les corps sont uniquement composés de pores, le rapport de ceux-ci aux parties solides, augmentant sans cesse, et par conséquent qu'il n'y a point de matière du tout. Et le raisonnement sera le même, par rapport à la matière dont les espèces particulières des corps sont composées, soit que l'on suppose que les pores sont vides, ou qu'ils sont remplis d'une matière étrangère (1). » Ceci prouve que la matière n'est rien par rapport au vide, auquel l'auteur la compare, et non pas qu'elle n'est rien en ellemême.. De ce qu'une bande formée dans l'inté– rieur d'un angle par une parallèle à l'un de ses côtés, est nulle par rapport à l'espace que l'angle comprend, s'ensuit-il qu'elle soit nulle réellement? Quoique l'argument de Clarke offre quelque ressemblance avec celui de Zénon d'Élée, gardonsnous de les confondre. Zénon attaque la matière réduite à l'étendue, non en la comparant au vide par la divisibilité, mais en soutenant que la divisibilité la dissout actuellement dans ses plus minimes

(1) Op. Leib., t. II, p. 142.

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