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nitz, c'est Fichte attaquant toute substance, et se précipitant dans l'idéalisme ou le néant absolu.

On voit par là que la dépendance de la force et de la quantité n'a pas encore été comprise, même par ceux qui les confessent et les emploient toutes les deux, puisqu'ils supposent que chacune est substance. Malebranche a failli la saisir, par l'étendue intelligible qu'il met en Dieu. Quoiqu'il dise que c'est l'opinion de saint Augustin et qu'il se défende d'enseigner rien de nouveau, il est clair qu'il y a une différence entre parler seulement, comme saint Augustin, et avant lui Platon, des nombres et des figures éternels qui sont dans la pensée de Dieu, et parler de l'étendue ou quantité, qui est partie intégrante de son ètre. Dans le premier cas, on s'arrête aux idées de ces nombres et de ces figures et à la pensée qui les contient, au lieu que; dans le second, on va à leur fondement et l'on s'ọccupe du principe de cette pensée; dans le premier cas, il s'agit de Dieu en tant qu'intelligent, dans le second, de Dieu en tant que substance.

Mais Malebranche laisse échapper la vérité qu'il touche; il semble même ne pas chercher uniquement dans l'étendue la source des idées de grandeur. « Entre les idées intelligibles que renferme le Verbe, il y a, dit-il, des rapports de grandeur et des rapports de perfection. Les rapports de gran

deur sont entre les idées des êtres de mème na

ture, comme entre l'idée d'une toise et l'idée d'un pied; et les idées des nombres mesurent ou expriment exactement ces rapports, s'ils ne sont incommensurables. Les rapports de perfection sont entre les idées des ètres ou des manières d'être de nature différente, comme entre le corps et l'esprit, entre la douleur et le plaisir. Mais on ne peut mesurer exactement ces rapports; il suffit seulement que l'on comprenne, par exemple, que l'esprit est plus parfait ou plus noble que le corps, sans savoir exactement de combien (1). »

Oui, ce qui caractérise les idées de grandeur et les idées de perfection, c'est que les objets des premières se mesurent avec des nombres, et que les objets des secondes ne le font pas. Mais si, par idées ou rapports de grandeur, on entend ceux qui sont entre les idées des êtres de même nature, ces rapports se trouveront aussi bien entre l'idée d'un esprit et l'idée d'un esprit, ou entre l'idée d'un plaisir et l'idée d'un plaisir, qu'entre l'idée d'une toise et l'idée d'un pied; d'où il suit que ces rapports ne reposeraient pas sur la quantité seule.

Cependant avec son étendue intelligible, Malebranche résout le premier la grande question de l'espace. Les atomistes enseignaient que l'espace est indépendant des corps; les autres philosophes,

(1) Medit. chret., Iv, art. 7.

en général, soutenaient qu'il se confond avec eux, qu'il n'est que leur ensemble. Eh bien! ils avaient tous raison, en ce sens qu'il y a un espace absolu, qui est cette étendue intelligible, et un espace relatif, qui est l'étendue matérielle ou l'univers corporel. Cette solution toutefois n'est pas remarquée. Pourquoi? d'abord, sans doute, parce que Malebranche ne l'offre qu'en passant, pour se laver du reproche de placer dans la nature divine l'étendue corporelle, comme Spinosa; ensuite parce qu'il ne parle d'étendue spirituelle en Dieu qu'afin d'y montrer les corps représentés, et de pouvoir dire, d'après son système, que c'est là seulement que nous les voyons, car il ne songe point à considérer cette étendue comme nécessaire à la constitutionde la substance de Dieu; enfin, parce qu'il ne suppose pas à l'âme une constitution semblable, où entrent et une étendue intelligible et une force spirituelle créées, image de l'étendue intelligible et de la force spirituelle incréées. Il est vrai que, dans ce dernier cas, c'eût été ruiner son opinion que nous ne voyons les choses qu'en Dieu, et établir que nous les voyons aussi en nous-mêmes. Par l'étendue intelligible qui fait partie de notre être, nous concevons l'étendue intelligible qui fait partie de l'être divin, c'est-à-dire cet espace absolu, sujet de si longues contestations.

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et comme s'il n'avait point paru, les deux partis se combattirent plus violemment que jamais.

Pour Leucippe, Démocrite, Epicure, qui niaient Dieu, l'espace absolu était peu embarrassant; il leur était permis de dire que c'est un être nécessaire, existant par lui même. Mais les théistes seraient tombés dans l'absurdité d'avoir deux êtres nécessaires, indépendants. C'est pourquoi ils voulaient ordinairement que l'espace soit relatif. On se tromperait, si l'on croyait voir l'espace absolu dans la matière de Platon. Peut-être serait-il facile de prouver qu'elle n'est que la possibilité de la création, établie contre les éléates métaphysiciens. Admettons cependant qu'elle ait quelque chose de réel, n'est-il pas évident qu'elle sera épuisée dans l'univers unique et parfait de Platon et s'y fondra complétement?

Newton, pour concilier l'existence de l'espace absolu avec l'existence de Dieu, dit que «Dieu n'est pas l'espace, mais qu'en existant partout il le constitue, de même qu'en durant toujours il constitue la durée (1); » et il appelle l'espace le sensorium de Dieu (2). Leibnitz l'accuse de matérialisme; Clarke est chargé de le défendre, et il soutient que par sensorium, Newton n'a prétendu faire qu'une com

(1) Op. Leib., t. II, p. 136.

(2) Ibid., p. 112.

paraison (1). Déjà une pareille comparaison serait assez singulière. Mais il est faux que ce soit une comparaison, ni dans l'écrit original, ni dans la traduction latine donnée par Clarke lui-même, il n'y en a pas la moindre trace. Quant au reste, que Dieu n'est pas l'espace, mais qu'il le constitue en existant partout, de mème qu'en existant toujours il constitue la durée, Clarke y adhère. «L'espace et la durée sont, dit-il, des suites nécessaires de l'existence de Dieu, sans lesquelles il ne serait point éternel et présent partout. L'immensité ou l'espace est une propriété de l'être immense, comme la durée ou l'éternité est une propriété de l'être éternel (2). » Leibnitz répond : « Si l'espace est l'immensité de Dieu, et la durée son éternité, il faudra donc dire que ce qui est dans l'espace, est dans l'immensité de Dieu et par conséquent dans son essence, et que ce qui est dans le temps est dans l'éternité de Dieu. Si l'espace et la durée sont commensurés avec les corps, l'immensité et l'éternité de Dieu le seront pareillement (3). »

A ces conséquences révoltantes il n'est aucune réplique plausible. Clarke se borne à citer les paroles de saint Paul que nous avons la vie, le mouvement

(1) Ibid., p. 111.

(2) Ibid., p 125, 136 et 177.

(3) Ibid, p. 150, 151.

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