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sure; or, si la vie, est le principe de toute union, elle ne l'est point de la mesure, qui ne vient que de la quantité. Ni un, ni plusieurs, qu'est-elle ? Done la vie lie la quantité, et la quantité détermine la vie. La quantité pure, la vie pure, ne se rencontrent nulle part, n'ont de fondement en quoi que ce soit, ne sont qu'une illusion. Point de substance qui ne résulte de leur indispensable union, mais elles varient de nature avec les différents genres d'ètres, spirituelles dans les substances pensantes, physiques dans les autres. Comme on ne spiritualise point la matière, en lui accordant une activité et des forces physiques, on ne matérialise pas davantage l'esprit, en lui attribuant une quantité ou étendue intelligible.

Comment voudrait-on que l'âme, sans la vie, pût avoir avoir les idées de perfection, et sans la quantité, les idées de grandeur? Les idées, consi-dérées en soi, indépendamment de leur perception, que sont-elles, sinon la propriété dont jouit l'âme, d'être la représentation de toutes choses, qui, en dernière analyse, se ramènent aux choses de perfection et aux choses de grandeur? Comment - les représenterait-elle, si elle ne renfermait ou, pour mieux dire, si elle n'était rien qui y répondît? Comment verrait-elle en elle-même ce qui est hors d'elle, si elle ne portait point en soi quelque chose d'analogue à ce qui est hors de soi? Ce quelque

chose, qui est l'ensemble des rapports de perfection et des rapports de grandeur, ou la vie et la quantité, voilà ce qui fait la pensée en tant que substance; ce qui la fait en tant qu'acte ou opération, c'est la perception, la vue qu'elle a, en se repliant sur soi, de ces rapports qui la constituent et forment sa nature.

C'est pourquoi la constitution de la substance a été jusqu'ici méconnue; on l'a toujours placée exclusivement dans la force, ou dans la quantité. C'est ce qu'on nomme d'un côté, le vitalisme et quelquefois le dynamisme, de l'autre, le mécanisme, qui partagent la philosophie dès son origine. «Nous trouvons, dit Ritter, que les principaux points de vue de la nature, la dynamique et la mécanique, sont déjà fort distincts dans les premiers temps de l'école ionienne, et qu'ils s'avancent toujours parallèlement sans se confondre. Dans l'un marchent Thalès, Anaximène, Diogène d'Apollonie, Héraclite; dans l'autre Anaximandre, Anaxagore, Archelaüs. L'explication dynamique part de l'idée d'une force vivante, qui varie dans les propriétés et les formes de ses développements. Tout ce qui arrive dans la nature paraît donc explicable, suivant cette méthode, par un changement de force. Au contraire, l'explication mécanique n'admet aucune naissance proprement dite, aucun changement de propriétés ni

de formes, mais prétend tout expliquer par des rapports dans l'espace. Elle suppose par conséquent la matière permanente, changeant de lieu par un mouvement qui survient en elle naturellement, ou qui lui est imprimé du dehors. De là, lorsque ce mode d'explication se produit librement, l'opinion que toute naissance- apparente des propriétés et des formes dans la nature devrait s'expliquer par différentes combinaisons que revêtiraient les parties de la matière, douée de propriétés ou de formes primitivement différentes (1). >> En écrivant l'histoire de l'école d'Ionie, Ritter montre avec détail comment les choses y sont ainsi considérées tour à tour. L'école d'Italie est pour le mécanisme, mais pour un mécanisme d'un ordre supérieur, parce qu'elle s'attache à la quantité immatérielle, dont il paraîtrait qu'elle se fait une singulière idée, la composant d'unités ou substances indivisibles, actives; en sorte que pour le fond, cette école n'admettrait que la force, et ne serait mathéma ́ique que par inconséquence. Celle d'Élée présente la séparation complète des deux doctrines et le terme où elles devaient aboutir en se développant, je veux dire leur commune destruction.

La force et la quantité n'ont pas encore été pro

(1) Hist. de la phil., t. I, p. 172, trad. de M. Tisso!.

fondément sondées. Xénophane, Parménide, Mélisse, Zénon, plongent et s'ensevelissent dans l'une, Leucippe et Démocrite dans l'autre. Mais c'est pour n'y trouver que le néant; car que peuvent ètre de plus l'unité des premiers et l'atome des seconds? Demandez à ceux-là ce qu'est leur unité, ils vous diront aussitôt tout ce qu'elle n'est pas, la réduiront à l'absence de toute propriété saisissable à l'esprit, et il en résultera qu'elle n'est rien de ce qui est quelque chose. Et qu'est-ce que cet atome par lequel les autres prétendent arrêter la division de la matière? Si la matière consiste dans la quantité seule, qui retiendra ses parties et les contraindra à l'union? Il n'y aurait que la force. Or, la force est exclue..Donc l'atome est une chimère, et la matière, qui alors est toute quantité, obéissant à son essentielle divisibilité, qui la poursuit dans ses moindres parties, se dévore elle-même. Ainsi s'attaquent et se déracinent mutuellement les deux sectes d'Élée, et par leur propre ruine, elles dénoncent l'impossibilité que la quantité et la force subsistent isolées. Platon admet la force et la quantité, mais sans les placer et les fondre l'une dans l'autre. Chez lui la force meut la quantité et ne l'anime point; la quantité est l'instrument de la force et ne la détermine point. Aussi quoiqu'il reconnaisse les nombres et les figures géométri

ques

dans l'entendement divin (1), il nẹ paraît pas avoir remarqué qu'il y a dans la substance de Dieu une quantité spirituelle, qui est le fondement de ces nombres et de ces figures. Sans nier la quantité, Aristote et les stoïciens cherchent la raison des choses dans la force. Epicure revient à Leucippe et Démocrite. Plotin, saint Augustin, l'école d'Alexandrie, suivent Platon. Descartes et les siens accordent davantage à la quantité, en ne voulant que mécanisme dans les fonctions nutritives. Leibnitz renouvelle la doctrine pythagoricienne, qu'il rend plus explicite. Tout ce qui frappe les sens dans les créatures, se passe mécaniquement, mais n'est qu'apparence; ce qu'il y a de réel et qui ne tombe que sous l'intelligence, est force pure. Ainsi il nie l'étendue matérielle, ce qui n'est pas étonnant, puisqu'il nie l'étendue mème. Pour être conséquent jusqu'au bout, il devait rejeter la multitude des forces dont il fait les substances diverses, et ne reconnaître qu'une substance unique, à l'exemple des éléates métaphysiciens. Comment, avec la seule force essentiellement indivisible, peut-il admettre la multitude des choses? Que disje? il ne peut pas admettre davantage l'unité ou une chose quelconque. Le vrai interprète de Leib

(1) OEuv., t. II, p. 453; trad. de M. Cousin.

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