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CONCLUSION.

Nous voilà au terme de la carrière. Nous avons exploré la plus grande et la plus féconde rénovation philosophique qui ait encore travaillé l'esprit humain. Comme jamais il ne fut aussi énergiquement rappelé à lui-même, jamais il n'expliqua les choses avec un tel succès.

Le rôle de Descartes apparaît dans toute sa grandeur on le voit conduisant à la conquète de la vérité, l'élite de son siècle et la plus belle partie de la famille des royales intelligences. Quelle merveilleuse et universelle influence! En estelle moins vivante pour être quelquefois niée par ceux même qui la subissent? Seuls parmi les plus grands, Bossuet, Arnauld, Malebranche reconnaissent à Descartes sa valeur, et se sauvent de

l'ingratitude. Tant d'autres qui ne lui doivent pas moins, Leibnitz, Newton, Huyghens, Pascal, Locke, cherchent à le déprécier et à dissimuler une gloire qui les importune. Mais ils ont beau vouloir se dérober à Descartes, ils portent son empreinte, si j'ose me permettre cette comparaison, comme l'univers celle de Dieu.

Depuis Socrate et Platon, l'esprit humain se connaissait dans son fond et connaissait les rapports intérieurs, directs qui sont entre lui et Dieu. Il se voyait constitué par des idées générales, dépendantes immédiatement d'idées générales supérieures, constitutives de Dieu ou de l'esprit incréé ; mais ces deux ordres d'idées n'avaient pas encore été aussi bien distingués. Peu s'en faut, il est vrai, qu'ils n'échappent à Descartes. Il ne présente que la fin de la troisième Méditation et deux passages des Réponses aux objections, qui soient favorables à cette distinction. Partout ailleurs il ne s'agit que des idées générales qui sont en nous, erreur que suivent Arnauld et Régis. Quelquefois ces idées ne sont dans l'entendement qu'une simple faculté de les percevoir, erreur qui mène à l'erreur plus grande de les tirer des sens, suivie par Locke. Concentrant l'activité de l'âme dans la volonté, réduisant les corps à l'inertie, supposant que Dieu opère directement en eux tous leurs mouvements, et dans l'âme tout ce qui ne vient pas de l'activité de

la volonté, Descartes va d'un autre côté à établir que Dieu fait tout dans les créatures, erreur que suivent et que complètent Malebranche et Spinosa. Contre cette triple erreur, Leibnitz défend la vé– rité, qu'il montre plus nettement qu'on eût encore fait. Bossuet la proclame sans se mêler à la polémique. Ainsi, sous ce rapport, la théorie des idées, qui est renouvelée dans l'école cartésienne, en sort pure d'erreur et dans un nouveau jour. Quant à la différence entre les idées de perfection et les idées de grandeur, à leur fondement respectif, à la constitution de la substance, Malebranche seul a quelques vues; mais il ne considère que Dieu. Les autres confondent et dénaturent tout. Cette théorie qui était encore à faire, je l'ai faite.

Descartes assigne les degrés de certitude que comporte l'existence des corps; mais il s'appuie faussement sur l'idée de véracité divine et sur l'idée d'étendue. L'idée de véracité divine induit Malebranche à s'appuyer, non moins faussement, sur la révélation. L'idée d'étendue induit Régis à se persuader, non moins faussement, que la certitude de l'existence des corps est absolument rigoureuse. Leibnitz et surtout Locke enseignent la vérité.

Quoique depuis Socrate et Platon, l'esprit humain se connût dans son fond, il ne s'était point encore distingué du corps avec précision. Il s'attribuait les fonctions sensitives et les fonctious orga

niques, qui n'appartiennent qu'à celui-ci. Dans l'école cartésienne, il ne lui reconnaît que les fonctions organiques; mais il est mis sur la voie de lui reconnaître les fonctions sensitives, par Leibnitz, qui rend les corps actifs, bien que ce soit d'une activité qui n'affecte point l'ordre sensible ou matériel. Cependant l'influence de l'âme sur le corps et celle du corps sur l'âme, ne sont point saisies. Descartes nie l'influence du corps sur l'âme. Avant lui on avait exagéré celle de l'âme sur le corps il la réduit à y changer la direction des mouvements volontaires. Malebranche rejette entièrement l'une et l'autre, ainsi que Spinosa. Leibnitz isole l'âme et le corps. Locke paraît croire qu'ils s'influencent mutuellement, mais il ne songe point à déterminer dans quelle mesure. Néanmoins, comme les fonctions propres au corps lui sont en partie avouées, qu'elles se trouvent sur le point de l'être tout à fait, l'influence véritable sera bientôt aperçue. Donc, dans le rapport de l'âme et du corps, l'école cartésienne restitue au corps les fonctions organiques, offre en perspective la restitution prochaine des fonctions sensitives, avec l'influence naturelle de l'âme sur le corps et celle du corps sur l'âme.

En tant que philosophes, Descartes, Régis, Arnauld, ne cherchent aucune cause d'ignorance et de malice dans la chute primitive. Locke n'y voit que la cause de la mort du corps. Spinosa nie cette

chute. Malebranche voit en elle, non-seulement une cause d'ignorance et de malice, mais une nécessité pour la perfection du monde, et même pour sa création, Dieu ne s'étant déterminé à le produire que dans le dessein de l'ennoblir avec l'incarnation du verbe éternel, incarnation amenée par la chute primitive. Bossuet, Fénelon, Leibnitz, Pascal, redressent ces diverses erreurs, et laissent sans reproche l'école cartésienne. Bossuet et Fénelon lui rendent le même service à l'égard de l'optimisme professé par Malebranche et Leibnitz, et qui n'est que la fatalité déguisée; mais par le moyen duquel cependant Malebranche et Leibnitz ont montré la sagesse divine et approfondi ses vues dans la formation et dans le gouvernement de l'univers, dont Descartes semblait l'exclure.

Si Malebranche, qui traite philosophiquement de la grâce, tombe à la fois dans le pélagianisme et dans le jansénisme, Bossuet, Fénelon, Leibnitz le corrigent.

L'erreur de Fénelon sur l'amour de Dieu est dissipée par Bossuet, Malebranche, Leibnitz.

Avant Descartes on employait des âmes pour conduire et pour soutenir le monde physique. Descartes s'élève à l'idée qu'il marche et qu'il se maintient par des lois générales. Ses tourbillons n'ont point de fondements. Mais ils mènent Borelli et Hooke à purger de l'animisme l'attraction képlé--

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