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hymne, comme s'il avait déployé une sagacité surhumaine. Est-ce lui qui, par une explication de la lumière, faisant consister la vision dans une sensation pure, a détruit l'erreur antique et invétérée des couleurs vraies et des couleurs fausses, et rendu manifeste que les couleurs du prisme ne different point des couleurs de l'arc-en-ciel, ni de celles d'aucun autre objet? Descartes ne s'arrête point, il est vrai, à calculer la déviation de chaque rayon, à les soumettre au prisme, pour savoir s'ils continuent de produire la même sensation de couleur, à les réunir par une lentille et à les combiner de diverses manières; mais il cherche par quels mouvements ou, comme on dirait aujourd'hui, par quelles vibrations des molécules, l'un cause le phénomène du violet, l'autre celui du rouge, un troisième celui du bleu. Voilà la partie spéculative de la décomposition, celle qui exige l'intelligence haute et inventrice. L'autre est empirique. On doit croire que Newton fut au moins conduit par la réflexion à traiter celle-ci. Eh bien! selon M. Biot, c'est en faisant, par amusement et par hasard, des expériences sur la réfraction de la lumière à travers le prisme (1). Son optique offre, si l'on veut, un rare travail, mais auquel, après tout, s'applique la remarque de Lagrange (2) sur Galilée, relative

(1) Biog. univ., art. Newton, t. XXXI, p. 137.

(2) Mécan. analyt., part. 11, sect. 1.

ment à la découverte des satellites de Jupiter, des phases de Vénus, des taches du soleil; il ne fallait que des instruments, de l'assiduité et de la dextérité. «J'ai, dit Fresnel, pour les travaux de Newton et de M. de Laplace, l'admiration la plus vive et la plus sincère mais je n'admire pas également tout ce qu'ils ont fait, et je ne pense point, par exemple, comme beaucoup de personnes, que l'Optique de Newton soit un de ses plus beaux titres de gloire : elle renferme plusieurs graves erreurs, et les vérités qu'elle contient étaient bien moins difficiles à trouver que l'explication mécanique des mouvements célestes (1). » D'ailleurs Newton, comme Galilée, avait une aptitude et un goût naturel et précoce pour la mécanique (2). Nous avons vu le développement de l'analyse transcendante avorter entre ses mains, sa tâche dans le système du monde se réduire au calcul. Quoiqu'il se croie un géant, parce qu'il prétend ne pas faire d'hypothèses, on voit qu'il est d'une taille assez ordinaire, parmi les hommes supérieurs. Que ceux donc qui, terrassés devant la réputation de ce plus grand génie de son temps et de tous les siècles, seraient tentés de renoncer à l'usage de la pensée, reprennent couil n'a rien qui passe les forces de la nature.

rage,

(1) Fresnel, Acad. des Sciences, t. VII, p. 50. 1827.

(2) Biog. univ., art. Newton, t. XXXI, p. 128.

Lorsqu'il essaie pour la première fois, sans doute en 1666, de vérifier la loi de l'attraction, il trouve

faux pour la lune, c'est-à-dire de trop, parce He qu'il emploie une valeur inexacte du méridien; et quoiqu'il rencontre vrai pour les planètes, il n'en abandonne pas moins, à cause de cette légère discordance, l'idée que la loi du carré réciproque aux distances, est universelle. On a voulu lui en faire un prodigieux mérite, et Montucla le qualifie à ce sujet d'homme incomparable (1). Que l'astronomie et Newton lui-même sont heureux que Képler, par exemple, se soit montré incomparable d'une autre maniêre. Voyez-le au milieu des tribulations d'une vie errante et misérable, étendu sur ses tables presque un demi-siècle, faisant et refaisant des volumes de calculs. Le rapport du cube des distances au carré des temps périodiques, lui coûte dix-huit ans. A force de supputations et de travaux, il arrive à reconnaître que l'orbe de Mars n'est pas circulaire; il le juge ovale, et il se croit au but. Tout à coup, des légions de chiffres se dressent menaçantes. Déchiré de regret, mais transporté d'espérance, il s'écrie : « Tandis que je triomphe de Mars, que je lui prépare les prisons des tables et les chaînes des équations de l'excentrique, on m'annonce de divers côtés que ma victoire est

(1) Hist. des malh., t. II, p. 604.

inutile, que la guerre recommence, que l'ennemi a rompu ses chaînes et brisé les portes de sa prison; et peu s'en faut que dans sa fuite, il n'aille se joindre aux autres rebelles et ne me plonge dans le désespoir. Cependant, averti par sa diligence à s'échapper, je remplace aussitôt mes anciennes troupes battues, par des troupes nouvelles; je me mets à sa poursuite et je le ramène enfin soumis (1). » C'est-à-dire qu'il l'enferme dans un orbe elliptique, qui est un ovale particulier. Quant à l'incomparable Newton, il ne s'occupe de sa loi que par hasard et aux sollicitations de Hooke. Est-ce ainsi que marche le génie inventeur? Guidé et comme porté par les instruments et par les formules, Newton attrape quelques grandes vérités d'expérience, ou de calcul, mais point de celles qui tiennent à la contemplation, et qui anticipent sur le calcul comme sur l'expérience. Il se peint luimême en disant que « si ses recherches ont pro

(1) « Dum in hunc modum de Martis motibus triumpho, eique ut plane devicto, tabularum carceres, et æquationum eccentri compedes necto, diversis nunciatur locis, futilem victoriam, et bellum tota mole recrudescere. Nam domi quidem hostis, ut captivus, contemptus, rupit omnia æquationum vincula, carceresque tabularum effregit... Jamque parum abfuit, quin hostis fugitivus sese cum rebellibus suis conjungeret, meque in desperationem adigeret: nisi raptim nova rationum physicarum subsidia, 、fusis et palantibus veteribus, submisissem; et qua sese captivus proripuisset, omni diligentia edoctus, vestigiis nulla mora interposita inhæsissem.» Stella Martis, cap. LI, p. 246.

duit quelques résultats, ils ne sont dus qu'au travail et à une pensée patiente (1). » Il cesse de s'occuper de sciences à quarante-cinq ans, c'est-à-dire dans l'âge de la force, et il emploie le reste de sa longue vie aux affaires. Une pareille abstinence serait-elle possible à qui brûlerait du feu du génie? Képler en fut consumé. Il ne lui manqua sans doute que de se porter à la métaphysique pour prévenir Descartes. Seul peut-être entre les modernes, il marche environné de découvertes dont ni le soupçon ni le germe ne se trouvent chez les anciens. « Tycho lui conseille de renoncer à ces vaines recherches pour se livrer au calcul des observations. Quel dommage que Képler ait suivi ce conseil en apparence si sage! » dit Delambre, qui s'avise une fois en sa vie d'ouvrir un œil philosophique (2). Son nom, écrit avec les astres dans l'immensité de l'espace, resplendit de leur éclat à travers les âges, ne pouvant pâlir qu'avec eux, et disparaître qu'avec les lois de l'univers, tandis que l'inexorable justice de la postérité, qui s'ouvre maintenant pour Newton, lui enlèvera force rayons d'une gloire usurpée, pour les attacher au front de Descartes.

(1) Biog. univ., art. Newton, t. XXXI, p.156.

(2) Hist. de l'ast. mod., t. I, p. 350.

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