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n'en fait point, il les pille, un lambeau à droite, un lambeau à gauche, et les rattache entre elles, ou à des vérités démontrées, de la plus bizarre façon.

Il prend à Épicure le vide et les atomes, qu'il associe à l'existence de Dieu, faisant du vide ou de l'espace son sensorium. «Tout l'artifice de l'univers ne peut être que l'effet de la sagesse et de l'intelligence d'un agent puissant et toujours vivant, qui, présent partout, est plus capable de mouvoir les corps dans son sensorium uniforme et infini, omnia in infinito uniformi suo sensorio movere, et par ce moyen de former et reformer les parties de l'univers, que nous ne le sommes par notre volonté de mettre en mouvement les parties de notre corps (1). » Il fallait à Leibnitz tout son flegme allemand, pour combattre sérieusement une pareille imagination. A part ce sensorium si risible, ce cerveau de Dieu, où Dieu loge et remue les corps, le vide est ici une absurdité gratuite. Il se conçoit chez Épicure, Démocrite et Leucippe. Otez Dieu, et si vous ne pouvez consentir avec Gorgias qu'il n'y ait rien, ou avec Protagoras qu'il n'y ait que des apparences, alors un espace, un vide éternel, infini, est ce qui vous repose le mieux la pensée, dont, quoi qu'on fasse, on ne saurait entièrement extir

(1) Optique, t. II, p. 578; trad. de Coste, 1720, Amsterdam. lat. de Clarke, 1740, p. 328, quest. 31.

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per la notion d'éternel, d'infini, d'inengendré. Admettez-vous Dieu, vous trouverez en lui l'éternel, l'infini, l'incréé véritables. Mais où mettre l'espace vide? Selon Clarke parlant pour Newton, « l'espace n'est pas une substance, un être éternel, infini, mais une propriété, ou une suite de l'existence d'un être infini et éternel. L'espace infini est l'immensité; mais l'immensité n'est pas Dieu; donc l'espace infini n'est pas Dieu (1). » N'étant ni Dieu, ni un être, une substance qui n'est pas Dieu, qu'est-il donc? Si vous distinguiez avec Malebranche deux espaces ou étendues, l'une intelligible, l'autre matérielle, si vous nous disiez avec lui, que l'étendue intelligible est éternelle, immense, nécessaire, que c'est l'immensité de l'ètre divin, en tant que représentatif d'une matière, c'est-à-dire, en tant qu'il est l'idée intelligible d'une infinité de mondes possibles; et que l'espace ou l'étendue matérielle est créée, contingente, qu'elle a des bornes, que c'est d'elle que le monde est formé (2), on vous comprendrait. Mais que deviendrait votre espace, qui n'est rien de semblable?

Newton croit les atomes nécessaires, afin de rendre la nature des êtres corporels, stable, et d'empêcher qu'elle ne s'altère. Par exemple, «l'eau

(1) Op. Leib., t. II, p. 125, art. 3:

(2) Médit. 1x, art. 9 et 10. - Ent. mét., VIII, 8.

et la terre, composées de vieilles particules usées et de fragments de ces particules, ne seraient pas à présent de la même nature et contexture que l'eau et la terre qui auraient été composées au commencement de particules entières (1). » C'est effectivement dans le but de prévenir la corruption et l'anéantissement des choses que les molécules infrangibles furent imaginées, et Descartes n'y avait point assez pourvu par la supposition que la figure, la grosseur et le mouvement des particules élémentaires, se trouvent dans une dépendance telle qu'ils doivent rester dans le même état. Mais où découvrir les atomes pour arrêter la dissolution? Qui m'assure que les parties des corps, c'est-à-dire de l'étendue, divisibles jusqu'à un degré, cessent tout d'un coup de l'être; qu'il n'y a plus composition dans les corps, et que la nature finit à nos pieds? Le contraire n'est-il pas certain? Pourquoi recourir à cette absurdité pour corriger Descartes ? Pourquoi, à l'exemple de Leibnitz, ne pas sortir du pur mécanisme, en attribuant l'activité aux corps? Alors divisez les, subdivisez-les autant que vous voudrez, la forme et les propriétés essentielles subsisteront dans chaque partie, en vertu de l'énergie qui s'y trouvera toujours pour les retenir. Cette division, qui ne pourrait s'effectuer dans les

(1) Optique, t. II, p 574, quest. 31.

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corps organisés sans les détruire, y sera cependant, parce que chacun en renfermera d'autres plus petits à l'infini.

D'après Newton, la lumière ne consiste point dans une simple pression, mais dans un mouvement actuel (1). Soit. Huyghens, qui modifie un peu Descartes, la présente en effet comme le résultat d'un mouvement; et voilà le système des ondes. Pour Newton, ce progrès est trop fort. Il prend chez Épicure l'émission, dont Euler a fait une si éclatante justice (2); il prend en même temps à Descartes sa matière subtile, à laquelle il donne le nom d'éther, et peu d'accord avec soi, il enseigne, tantôt que la vision est produite par les vibrations que les émanations excitent dans ce fluide (3), tantôt par les émanations mêmes (4).

Il emploie le même éther à expliquer l'attraction; mais, ne lui attribuant sous ce rapport que la fonction de pousser les planètes vers le soleil, et les satellites vers leurs planètes, il faut de plus une force d'impulsion primitive, comme si Dieu, ainsi qu'un joueur de boules, avait des deux mains lancé les corps célestes dans l'espace. Que devient l'admirable unité des tourbillons, dans lesquels, de l'im

(1) Ibid., p. 512, quest. 28.

(2) Lettres à une princesse d'Allemagne, sur différentes questions de physique et de philosophie, lett. 17 et suiv.

(3) Opt., p. 499, quést. 23.

(4) Ibid., p. 485, quest. 12.

pulsion communiquée à l'origine par le Créateur, naît le mouvement curviligne, et de ce mouvement la force centrifuge et la force centripète?

Ce qui précède suffit pour prouver que Newton n'est pas aussi ennemi des hypothèses qu'il veut le laisser croire, qu'il en débite d'étranges, et combien pourtant il a raison de dire qu'il n'en fait pas. Avec ce dédain affecté pour les hypothèses, il imagine se placer au-dessus de tout ce qu'il y a d'éminent dans le monde, créer le plus bel ouvrage qui soit sorti de la main d'un homme, comme parle Bailly (1), et paraître le plus grand génie de son temps et de tous les siècles, comme l'appelle M. Biot (2); lorsqu'au contraire le haut génie, créateur, ou rénovateur des connaissances, a toujours éclaté par la féconde audace des hypothèses. Le propre du génie, c'est de découvrir, et il ne se découvre rien d'essentiel dans la nature, qui ne soit le fruit de l'hypothèse, ni dans aucune science, qui ne soit le fruit du génie hypothétique. L'hypothèse, j'entends celle qui porte dans son sein de puissantes vérités, l'hypothèse n'est que l'élancement du génie vers les principes. Qui a décomposé la lumière? On dit, ou plutôt on préconise que c'est Newton, car c'est une acclamation, une

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