Page images
PDF
EPUB

voit rien en ses livres qui lui fasse envie, ni presque rien qu'il voulût avouer pour sien (1). » Ce langage prouve-t-il bien qu'il n'a pas connu la vraie méthode, qui seule peut avancer la physique? M. Biot ne le pense pas toujours; car, suivant lui, « Descartes inventa cette méthode d'examen et de doute, qui est devenue depuis le principe de toutes nos connaissances positives (2), » parmi lesquelles M. Biot place sans doute la physique ; et plus loin : « Descartes ramène avec beaucoup de sagacité la cause des couleurs à un autre phénomène plus simple, celui de la décomposition de la lumière par le prisme, et il montre le rapport intime de ces deux dispersions. Voilà la véritable physique mathématique, celle qui ramène les faits à d'autres faits par le calcul, indépendamment de toute hypothèse, et qui les rattache ainsi les uns aux autres par des nœuds indissolubles. Quel dommage qu'un si grand génie n'ait pas senti, par ses succès mêmes, les avantages d'une pareille méthode, et que dans tout le reste de ses recherches, il se soit presque toujours abandonné à des hypothèses incohérentes et invraisemblables qui doivent surtout frapper d'étonnement ceux qui sont le plus portés à l'admirer(3)!» De l'aveu de M. Biot, Descartes connut donc la vé

[blocks in formation]

ritable méthode, qui seule peut avancer la physique, et l'on doit s'étonner qu'un critique aussi pénétrant ne comprenne pas que l'idée admirable de ramener la cause des couleurs à la décomposition de la lumière par le prisme, idée qu'il admire surtout, parce qu'il la croit exempte d'hypothèse, soit justement chez Descartes le fruit de son hypothèse sur la lumière. Pour songer que la lumière se décompose de la même façon dans le prisme et dans l'arc-en-ciel, d'abord il faut savoir qu'elle est décomposable, ensuite l'avoir décomposée, et enfin savoir encore que cette décomposition est celle du mouvement ordinaire des corps : trois choses qui se rencontrent dans la manière dont Descartes suppose que la lumière se produit, et qu'il n'aurait pas imaginées sans cette supposition.

Avant M. Biot, Montucla avait aussi gémi sur le penchant incurable de Descartes aux hypothèses. « Nous ne doutons, dit-il, en aucune manière qu'il n'eût parfaitement réussi à démêler les vraies lois de la communication du mouvement, s'il n'eût été préoccupé de l'idée de les faire cadrer avec son système général. » Fort bien; mais pour démêler ces véritables lois, il fallait comprendre qu'il y avait des lois : l'aurait-il fait sans son système ? « On ne peut trop regretter, poursuit Montucla, qu'il ait embrassé un plan aussi vaste. S'il se fût adonné

uniquement à perfectionner les diverses branches de la physique, il n'en est aucune dans laquelle il n'eût porté une lumière éclatante, car l'unique source de ses erreurs est l'esprit systématique, auquel il se livra avec trop de confiance, et sans consulter assez l'expérience (1). » Quel dommage, s'écriait plus haut M. Biot, que Descartes n'ait pas senti, par ses succès mêmes, les avantages de la méthode expérimentale! C'est comme si l'un et l'autre disaient: Combien il est déplorable que Descartes ait consumé son temps à créer des systèmes, au lieu de se livrer à des recherches expérimentales dont il n'aurait jamais eu l'idée sans ses systèmes, lesquels, du reste, ont provoqué les recherches de ses successeurs et élevé l'esprit humain aux conceptions des grandes lois de la nature et des grands procédés dans les mathématiques et dans toutes les sciences! Pour nous, nous trouvons que Descartes a trop fait d'expériences; que les dissections anatomiques, par exemple, lui ont dévoré un temps précieux, et même la vie, car c'est probablement dans l'idée de soumettre au scalpel une ménagerie entière, qu'il s'est déterminé à aller en Suède. Sur la fin de son Discours sur la Méthode (2), il fait appel aux expérimentateurs,

(1) Hist. des Math., t. II, p. 213, 455.

(2) OEur., t. I, p. 194.

mais il montre en même temps la difficulté d'obtenir de bonnes expériences (1).

Laplace éprouve cette répugnance pour les conceptions a priori. « Les philosophes de l'antiquité, selon lui, se plaçant à la source de tout, imaginèrent des causes générales pour tout expliquer. Leur méthode, qui n'avait enfanté que de vains systèmes, n'eut pas plus de succès entre les mains de Descartes. Leibnitz, Malebranche et d'autres philosophes. l'employèrent avec aussi peu d'avantages (2). » Que conclure, sinon que l'auteur, très-capable de penser par lui-même, se laisse aller à répéter les vieilles et ineptes déclamations de Voltaire dans ses prétendus Éléments de la philosophie newlonienne. Du reste, Laplace, comme s'il ne portait aucune attention à ses paroles, attribue, dans le même ouvrage, la vraie idée du système du monde à Pythagore, qui, certes, ne la devait pas à l'expérience, et dit que c'est à ses analogies mystérieuses sur les nombres, que Képler fut redevable d'une de ses plus belles lois. Il ajoute : « Impatient de connaître la cause des phénomènes, le savant, doué d'une imagination vive, l'entrevoit souvent avant que les observations aient pu l'y conduire. Sans doute il est plus sûr de remonter des phénomènes aux causes, mais l'histoire

(1) Ibid., p. 205.

(2) Expos. du syst, du monde, t. II, p. 407,

des sciences nous montre que cette marche lente et pénible n'a pas toujours été celle des inventeurs (1). » Ainsi l'auteur avoue que l'histoire est contraire à ses préjugés.

[ocr errors]

Malgré soi, on est tenté de sourire, lorsqu'à la fin du livre des Principes, on entend. Newton s'écrier d'un ton magistralement dédaigneux pour Descartes Moi, je ne fais pas d'hypothèses, non fingo hypotheses. Et le moyen qu'il en fît dans ce problème mathématique auquel les efforts de ses prédécesseurs ont ramené le système du monde, et que le dernier venu d'entre eux le sollicite à résoudre, pendant qu'il n'y songe pas (2)? Hooke, persuadé que les mouvements planétaires résul– tent d'une force agissant en raison inverse du carré de la distance, pense que le mouvement des projectiles autour de la terre doit être elliptique, puisque celui des planètes l'est, d'après les observations; il désire que Newton l'examine par le calcul. Newton trouve qu'en effet la trajectoire est une section conique, et il ne reste que l'application aux phénomènes célestes. Vraiment, il serait curieux qu'il fit là des hypothèses! Mais s'il ne lui est point possible d'en mettre dans le calcul, il en forge en dehors, et elles sont étranges. Je me trompe : il

(1) Ibid., liv. V, ch. iv.

(2) Vie de Newt. Opusc., t. I, p. 25.

« PreviousContinue »