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recherches dans l'art combinatoire, c'est-à-dire, par ses spéculations dans le genre des cabalistes. M. Biot a dû remarquer encore l'influence de la métaphysique en lui touchant la force vive. Telle que Huyghens l'avait trouvée dans la solution du problème des centres d'oscillation, elle n'était regardée, et Lagrange en fait la remarque (1), que comme un simple théorème de mécanique. C'est Leibnitz qui dévoile en elle une loi générale de la nature. Quoique dans la Courte démonstration d'une erreur mémorable de Descartes sur la conservation de la même quantité de mouvement, il se serve, comme Huyghens, des espaces proportionnels aux carrés des vitesses, de Galilée, il est clair que cette loi est à ses yeux la conséquence de l'activité essentielle qu'il attribue aux corps, d'après laquelle il distingue la force d'avec le mouvement, la puissance d'agir d'avec l'action. Or, la puissance d'agir est la différentielle de la fonction dont le mouvement ou la vitesse est l'intégrale.

M. Biot, après Montucla (2) et d'autres écrivains, se confond d'étonnement « de ce que Descartes ne sentit jamais le mérite de Galilée; et cela seul prouverait, ajoute-t-il, qu'admirable dans la géométrie, il n'a pas connu la véritable méthode qui

(1) Mécan analyt., édit. 1o, p. 183.

(2) Hist. des ma'h., t. II, p. 192.

peut seule avancer la physique (1). » Examinons ces reproches. Mais d'abord il faut voir comment Descartes parle de Galilée. « Je trouve en général, dit-il, qu'il philosophe beaucoup mieux que le vulgaire, en ce qu'il quitte le plus qu'il peut les erreurs de l'école, et tâche à examiner les matières physiques par des raisons mathématiques. En cela je m'accorde entièrement avec lui, et je tiens qu'il n'y a point d'autre moyen pour trouver la vérité. Mais il me semble qu'il manque beaucoup, en ce qu'il ne fait que des digressions, et ne s'arrête point à expliquer suffisamment aucunes matières; ce qui montre qu'il ne les a point toutes examinées par ordre, et que, sans avoir considéré les premières causes de la nature, il a seulement cherché les raisons de quelques effets particuliers, et ainsi qu'il a bâti sans fondement. Or, d'autant que sa façon de philosopher est plus proche de la vraie, d'autant peut-on plus aisément connaître ses fautes, ainsi qu'on peut mieux dire quand s'égarent ceux qui suivent quelquefois le droit chemin, que quand s'égarent ceux qui n'y entrent jamais (2). » Aux yeux de ceux qui connaissent un peu Galilée, il n'est pas trop mal apprécié dans ce jugement général. Il est certain qu'il tâche d'exa

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miner les matières physiques par des raisons mathématiques, mais que, n'ayant point considéré les premières causes de la nature, c'est-à-dire, selon Descartes, son mécanisme entier, et s'étant borné à chercher les raisons de quelques effets particuliers, c'est-à-dire quelque portion de ce mécanisme, il a bâti sans fondement, ce que Descartes montre par des exemples.

La découverte capitale de Galilée dans ces matières, celle dont les autres ne sont que des conséquences, c'est la loi du mouvement uniformément accéléré. Cette loi, qui est l'âme de la dynamique et sert à déterminer la loi du mouvement varié, bien qu'il n'en soit qu'un cas particulier, cette loi si importante aujourd'hui que la science du mouvement est formée, n'avait alors de prix que par rapport à la chute des graves, avec laquelle elle s'identifiait dans l'esprit de Galilée et de Descartes. Or, à cet égard elle est fausse, ayant été établie sur l'hypothèse que la pesanteur est constante, non pas seulement, comme le suppose Montucla (1), à de très-petites distances de la terre, mais à toutes, puisque Galilée calcule, d'après cette loi, le temps qu'un globe de fer mettrait pour venir de la lune au centre de la terre (2). Voilà pourquoi Des

(1) Hist. des mach, t. II, p. 192.

(2) Dialogus de systemate mundi, 1641, p. 164.

cartes la désapprouve. « Galilée, dit-il, suppose que la vitesse des poids qui descendent s'augmente toujours également, ce que j'ai autrefois cru comme lui; mais je crois maintenant savoir par démonstration qu'il n'est pas vrai (1). » L'entendez-vous? il a cru autrefois comme lui; mais maintenant il lui est démontré que ce n'est point vrai. Effectivement, d'après les tourbillons comme d'après la nature, la pesanteur varie. Ainsi Descartes avait trouvé la loi du mouvement uniformément accéléré (2), pendant qu'il était dans l'erreur de Galilée; mais parce qu'il a reconnu cette erreur, il condamne la loi. Qui blâmerons-nous? per

sonne.

Sans l'hypothèse que la gravité est constante, la loi ne serait point démêlée. Il faut supprimer la croyance à la variation qui complique trop la question, tout comme il a fallu que Descartes supprimât l'activité dans l'univers, pour démêler le mé–

(1) OEuv., t. VII, p. 441.

(2) Cette découverte de Galilée ayant été le prétexte de tant de déclamations contre Descartes, comme s'il ne l'eût pas aussi faite de son côté, nous allons citer en entier le passage qui établit ses droits. « Le sieur Beecman, écrit-il à Mersenne, vint ici samedi soir, qui me prêta le livre de Galilée, et il l'a remporté ce matin, en sorte que je ne l'ai eu entre les mains que trente heures. Je n'ai pas laissé de le feuilleter tout entier, et je trouve qu'il philosophe assez bien du mouvement, non pas toutefois que j'approuve que fort peu de ce qu'il en dit ; mais, autant que j'en ai pu voir, il manque plus en ce où il suit les opinions déjà reçues, qu'en ce où il s'en éloigne... Je n'ai pas laissé d'y remarquer par-ci, par-là quelques-unes de mes pen

canisme qu'elle dérobait à notre faible intelligence. Dans la solution de ces solennels problèmes, l'esprit humain fait à son insu, ce qu'il fait sciemment pour des questions ordinaires de mathématiques, dans lesquelles il omet une ou plusieurs circonstances afin de simplifier, puis il les introduit dans les formules trouvées, qu'il modifie en conséquence.

Dès qu'il était presque immanquable que, pour obtenir la loi, on se tromperait, n'imputons point à Galilée son erreur, réjouissons nous plutôt qu'il l'ait commise; mais pourrions-nous reprocher à Descartes de l'avoir aperçue? Regrettons seulement qu'il ne l'ait point séparée du fait de la chute des graves. Pour cela il aurait fallu qu'il en vît l'usage ailleurs, ou plutôt qu'il créât la dynamique rationnelle.

Maintenant y a-t-il donc lieu de se tant étonner que Descartes dise, en parlant de Galilée, qu'il «ne

sées, comme entre autres, deux que je crois vous avoir écrites, à savoir que les espaces que parcourent les corps pesants qui descendent, sont l'un à l'autre comme les carrés des temps qu'ils emploient à descendre... ce n'est jamais entièrement vrai, comme il pense le démontrer. La seconde est, que les tours et retours d'une même corde se font tous à peu près en pareil temps, encore qu'ils puissent être beaucoup plus grands les uns que les autres. » T. VI, p. 248.

Cette lettre est du 14 août 1634, par conséquent quatre ans avant la publication de l'ouvrage de Galilée, qui ne parut qu'en 1638. Mais on sait qu'il courait un manuscrit, et ce n'est qu'un manuscrit que Descartes a pu feuilleter. On voit qu'il avait aussi aperçu l'isochronisme des oscillations du pendule.

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