Page images
PDF
EPUB

figure et de la direction des parties de l'étendue, de ne se perdre dans aucune, et de révéler ainsi lui-même ses lois. On doit penser que le mouvement ne périt jamais dans le choc, que lorsqu'il paraît le faire, il se transforme. La troisième loi de Newton, que la réaction est toujours égale et contraire à l'action, n'a point d'autre base.

Êtes-vous curieux de retrouver dans l'antiquité ce puissant a priori mécanique? Adressez-vous, non à Leucippe, Démocrite et Epicure, mais à Pythagore et à Platon, qui lui doivent plusieurs des vérités fondamentales de l'astronomie et de la physique. On a soutenu qu'ils les avaient prises dans l'Égypte et dans l'Orient. En ce cas, d'où vient qu'ils n'y auraient pas pris les connaissances géométriques dont elles sont inséparables, et qu'on voit Thalès créer les plus simples, les communiquer aux prêtres égyptiens, être transporté de joie en remarquant que les angles inscrits dans la demi-circonférence sont droits, et, dans son enthousiasme, immoler un bœuf à Jupiter (1)?

Pour arriver à la loi générale de l'union de l'âme et du corps, il fallait passer à la fois par l'inertie de l'une et de l'autre, seul moyen efficace de dé– truire l'opinion des spiritualistes, que l'âme communiquait de la force au corps, et l'opinion des

(1) Laerce, liv. I.

matérialistes que le corps en communiquait à l'âme, et de comprendre que l'âme se borne à exciter la force du corps, et le corps, celle de l'âme. Descartes, tout en laissant quelque activité à l'âme, niait qu'elle en donnât au corps; il la croyait seulement capable de changer la direction du mouvement que celui-ci recevait continuellement de Dieu. Cependant il concluait cette impuissance, moins peut-être de la nature de l'âme, que du principe établi par lui, que la même quantité de mouvement se conserve dans le monde. Malebranche, qui supposait l'âme entièrement passive, enseigne qu'elle ne peut rien sur le corps, non plus que le corps sur elle, et que Dieu, à l'occasion des pensées de l'âme, produit les mouvements dans le corps, et à l'occasion des mouvements du corps, les pensées dans l'âme. Voilà donc l'ancienne erreur de la communication des forces détruite. Il ne s'agit, que de parvenir à la doctrine de l'excitation. Leibnitz rend l'activité à l'âme et au corps, mais il les sépare l'un de l'autre, et ne rencontre qu'une partie de la vérité. Le reste peut-être est l'ouvrage de Wolff, qui énonce la loi générale de cette union sous le nom d'harmonie de l'âme et du corps, mais qui l'explique assez obscurément. Elle entraîne une loi générale analogue parmi les corps. Malebranche prétend que Dieu fait tout dans l'âme, parce qu'il la juge passive; qu'on la recon

.naisse active, et il suivra, non que c'est elle, à son tour, qui fait tout, car elle n'est point cause première, mais qu'elle concourt en tout avec Dieu, et que si elle voit tout en lui, selon Malebranche, elle voit tout en lui et tout en elle, selon la vérité. Telle est la conséquence que tire Leibnitz; elle donne la loi générale de l'union de l'âme avec Dieu, loi qui est le fond de la doctrine platonicienne des idées. Leibnitz est loin cependant de l'avoir clairement exposée, plus loin encore d'en avoir saisi les grandes applications dans leur ensemble. C'est pour l'ignorer que les fabricateurs de systèmes religieux et sociaux, qui depuis cinquante ans ont paru en Europe, sont tombés dans tant d'erreurs et quelquefois d'extravagances.

Aux lois générales dont nous avons parlé jusqu'ici et qui appartiennent à l'ordre physique et à l'ordre moral de la nature, Malebranche joint les lois générales de l'ordre surnaturel de la grâce. Elles président à la réparation de l'homme déchu, et règlent l'action intérieure et immédiate de JésusChrist sur lui pour le purifier et le fortifier, et l'action extérieure et médiate qu'il exerce dans le même but, au moyen du sacerdoce. Il est évident que Malebranche ne devait point les admettre d'après son principe que Dieu fait tout en nous, principe qui abolit la différence du naturel et du surnaturel, et que c'est une heureuse inconsé

quence qui le porte à compléter le système des lois. générales qui gouvernent la terre et le ciel, le temps et l'éternité. Il aime à montrer que de leur accomplissement vient toute la perfection, toute la beauté par laquelle la sagesse divine s'étale dans la création, et que l'ordre universel résulte de la plus admirable combinaison de l'ordre physique avec l'ordre moral de la nature, et de l'un et de l'autre avec l'ordre surnaturel de la grâce.

A la place d'ordre physique, Leibnitz met: règne des causes efficientes; à la place d'ordre moral: règne des causes finales; à la place d'ordre de la grâce: règne de la grâce, et à la place de causes occasionnelles et de combinaisons : harmonie préétablie; en sorte qu'au-dessus de l'harmonie préétablie entre l'âme et le corps, s'élève l'harmonie préétablie entre le règne naturel des causes efficientes et le règne naturel des causes finales; et au-dessus de celle-ci, l'harmonie préétablie entre le règne naturel des causes efficientes et des causes finales et le règne de la grâce, triple harmonie dans ce triple règne, dont l'idée, suivant Leibnitz, exalte mieux que nulle autre la sagesse du Créateur (1). Que Malebranche avouât l'activité

(1) Si Leibnitz ne parle point du règne des causes finales ou de l'ordre moral dans l'harmonie préétablie entre le règne de la nature et celui de la grâce, si par règne de la natu e il n'entend que l'ordre physique (Op., t. II, p. 27, art. 15; p. 31, art. 90, 91, 92), c'est une inconséquence.

.

des créatures, Leibnitz et lui, l'influence effective qu'elles exercent les unes sur les autres, particulièrement l'âme sur le corps et le corps sur l'âme; qu'ils se garantissent de l'optimisme, et leurs théories seraient aussi pleines de vérité que de grandeur; seulement Malebranche aurait le mérite de la priorité, et il faudrait rapporter à Descartes celui de les avoir lancés tous deux, et l'un par l'autre, dans ces contemplations ineffables. Cependant il leur a manqué de les étendre à la société, où la combinaison de ces trois ordres, l'harmonie de ces trois règnes, est bien plus sensible qu'ailleurs pour qui sait l'y voir, et de démêler la loi générale par laquelle marchent les choses humaines.

Continuons de voir les effets de l'a priori et des lois générales. En même temps que Descartes, Fermat découvre l'application de l'algèbre à la géométrie, mais si informe que, pour exister réellement, elle demanderait un second inventeur. Les équations de la ligne droite, du cercle, de l'ellipse, de la parabole, de l'hyperbole qu'il donne, les expressions des points d'intersection du cercle et de la parabole, de la parabole et de l'hyperbole, qu'il indique, ne sont que des résultats bruts, sans liaison, sans discussion propre à guider celui qui désirerait aller plus loin, enfin sans aucun procédé indépendant de ces cas particuliers. Descartes, au

« PreviousContinue »