Page images
PDF
EPUB

cocher, et qui fait marcher les planètes comme des chevaux, à coups de fouet, est une idée infiniment philosophique, et digne de celui qui vouait son admiration aux œuvres d'Épicure et de Hobbes. Sa critique des Méditations de Descartes, a juste la même portée que son système du monde. Je ne faillis point au respect dû à Képler, qui ne parle ni de fouetter, ni de frapper les planètes, mais d'une lutte, c'est-à-dire d'une résistance des planètes, qu'il suppose naturellement portées au repos, et d'un effort de la puissance solaire pour les entraîner, puissance dont l'effet est en raison inverse de leur densité (1). Ensuite Képler, écrivant avant Descartes, pouvait sans ridicule admettre une âme mouvante dans le soleil, puisque tel était l'esprit ancien, encore régnant. Delambre, qui, en haine de l'auteur des tourbillons, désirerait probablement faire de Gassendi un petit grand homme, est obligé d'avouer «qu'après qu'on a lu attentivement ses ouvrages, on les trouve un peu au-dessous de la réputation qu'il a laissée (2); » il se l'explique, en songeant qu'il était homme du monde et qu'il avait beaucoup de

(1) « Necesse est igitur ut planetariorum globorum natura sit materiata, ex adhærente proprietate, inde a rerum principio prona ad quietem seu ad privationem motus. Quarum rerum contentione cum nascatur pugna; superat igitur plus ille planeta, qui in virtute imbecilliore consistit, eaque tardius movetur; minus ille, qui soli propior. » Stella martis, p. 174. (2) Hist. de l'astr. moderne, t. II. p. 355.

savoir et d'esprit ce qui revient à dire que par le prestige de qualités brillantes plutôt que solides, il parvint à usurper une place considérable dans l'opinion. Cette fois nous partageons l'avis du nouvel et savant historien de l'astronomie.

Sur les tourbillons, il faut entendre d'Alembert. « Si on les juge sans partialité, on conviendra, j'ose le dire, qu'on ne pouvait alors imaginer mieux : les observations astronomiques qui ont servi à les détruire, étaient encore imparfaites, ou peu constatées; rien n'était plus naturel que de supposer un fluide qui transportât les planètes; il n'y avait qu'une longue suite de phénomènes, de raisonnements et de calculs, et par conséquent une longue suite d'années, qui pût faire renoncer à une théorie si séduisante. Elle avait d'ailleurs l'avantage singulier de rendre raison de la gravitation des corps par la force centrifuge du tourbillon même et je ne crains point d'avancer que cette explication de la pesanteur est une des plus belles et des plus ingénieuses hypothèses que la philosophie ait jamais imaginées. Aussi a-t-il fallu pour l'abandonner, que les physiciens aient été entraînés comme malgré eux par la théorie des forces centrales, et par des expériences faites longtemps après. Reconnaissons donc que Descartes, forcé de créer une physique toute nouvelle, n'a pu la créer meilleure; qu'il a fallu, pour ainsi

dire, passer par les tourbillons pour arriver au vrai système du monde; et que s'il s'est trompé sur les lois du mouvement, il a du moins deviné le premier qu'il devait y en avoir (1). » Or, celui qui parle ainsi, a le premier démontré sans retour l'impossibilité des tourbillons.

Huyghens pouvait anticiper sur Borelli, et même sur Newton. Son goût pour les inventions mécaniques fit, je pense, qu'au lieu de donner l'essor à ses méditations, il s'occupa de l'art de tailler et de polir les verres des grandes lunettes, et qu'ayant réussi à en construire une de 23 pieds, il se contenta d'avoir, par ce moyen, découvert un satellite de Saturne et l'anneau de cette planète. Ce ne fut qu'à l'apparition du livre des Principes mathématiques de Newton, qu'il se livra à l'étude de la physique céleste; et, chose singulière! ni Malebranche, ni Leibnitz non plus, ne s'y étaient point encore livrés, quoique l'un eût déjà quarante-sept ans, et l'autre quarante-un. Ils étaient absorbés par la métaphysique et la théologie, et Leibnitz en outre par les recherches de mathématiques, de droit et d'histoire. Tous deux se trouvaient trop jeunes. pour devancer Borelli. Malebranche n'aurait point remplacé Newton, n'étant pas assez versé dans la géométrie. Mais Leibnitz, qui l'était autant que

(1) Disc. prélim. de l'Encyclop., p. 44.

Newton, et qui avait plus de génie, aurait vraisemblablement produit une œuvre supérieure aux Principes mathématiques, si ses réflexions se fussent tournées de ce côté.

Pourquoi est-ce en Italie que nous retrouvons le premier interprète de Descartes? Sprengel, je crois, nous l'apprend. « Après le long règne de la barbarie, ce pays fut le premier où l'on vit renaître les sciences et la liberté de penser. Il fut aussi le berceau de l'histoire naturelle ce fut également là que les sciences commencèrent à être cultivées d'après les lois sévères des mathématiques.. Galilée, auquel elles sont toutes redevables, les peignit à ses compatriotes sous des couleurs trop attrayantes pour qu'ils ne s'y consacrassent pas bientôt avec tout l'enthousiasme propre à leur nation. L'exemple de cet homme extraordinaire, la multitude de ses disciples, l'éclat de ses grandes découvertes dans la physique, la mécanique, l'astronomie, l'architecture et plusieurs autres sciences encore, et enfin, la couronne des martyrs qu'il ceignit pour avoir fait connaître une importante vérité physique, toutes ces circonstances engagèrent les Italiens à se livrer avec ardeur à l'étude de la physique. Vers le milieu du dix-septième siècle, il se forma dans la ville de Florence une société des disciples de Galilée, qui cherchaient à développer sa philosophie,

:

à cultiver la physique expérimentale, et à en faire l'application à la nature entière. Cette société, favorisée par Léopold, prince de Toscane, fut organisée régulièrement en 1657 sous le nom d'académie del cimento. Il est vrai qu'elle ne fleurit pas au delà de dix années, et que l'histoire ne nomme que neuf de ses membres; mais ces noms sont le meilleur panégyrique qu'on puisse faire de l'académie Benoît Castelli, Jean-Alphonse Borelli, François Rédi, Paul et Candide del Buono, Vincent Viviani, le comte Laurent Magalotti, le comte Charles Renaldini et Antoine Uliva; tels sont les respectables noms dont cette société se glorifie. C'est dans son sein que se forma le fondateur de l'école iatromathématique, Jean-Alphonse Borelli; c'est là qu'il apprit à unir les mathématiques et la physique expérimentale avec l'art de guérir (1). »

Nous ne saurions admettre que Borelli ait été formé dans l'académie del cimento, ni dans la société qui l'a précédée; l'homme supérieur n'est formé qu'en lui-même. La retraite et l'indépendance, voilà son élément. C'est dans les efforts de sa pensée solitaire qu'il germe, qu'il fructifie, et l'influence de ses contemporains ne le favorise qu'autant qu'il s'isole d'eux par la méditation. Cependant il peut recevoir des académies

(1) Hist. de la médecine, t. V, p. 133, trad. de M. Jourdan.

« PreviousContinue »