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froissées, leurs angles s'émoussent. Les débris forment une poussière qui, bien que plus agitée que les parties dont elle vient, a, par son extrême petitesse, moins de puissance qu'elles, pour aller vers les bords des tourbillons; elle reflue donc au centre, où elle s'accumule et produit les astres lumineux que nous appelons soleil, étoiles. Il est inutile de reproduire ici l'exposition des tourbillons. Par eux s'engendrent et se conservent tous les êtres inorganisés ou organisés. Par conséquent tout dans l'univers résulte à sa manière de la composition ou de la décomposition, comme on voudra, du mouvement circulaire, c'est-à-dire, de la force centrifuge et de la force centripète, qui sont l'âme, l'essence des tourbillons. On peut facilement d'ailleurs s'en assurer, en suivant cette formation dans ses détails. Par exemple, dans celle du foetus, qu'ébauche Descartes, le tourbillon paraît au premier phénomène.

Quelle inconcevable inadvertance de Bailly! « Descartes, dit-il, vit la force centrifuge naître du mouvement circulaire, sans avoir l'idée de le décomposer et de chercher les forces qui conspirent à le produire. Nous apercevons ici les bornes de l'esprit humain. » Pas du tout : nous n'y apercevons, nous, que les bornes de l'attention de celui qui parle. «<Descartes, poursuit-il, dans la pierre lancée par la fronde, dans la pierre qui circule at

tachée à une corde, a bien reconnu la force centrifuge, qui tend à l'éloigner du centre; mais il n'a point vu la puissance qui la retient, qui balance et détruit cette force centrifuge. On peut dire de même que par ces corpuscules, mus de leur propre mouvement autour d'un centre, il a rappelé dans la physique les mouvements primitivement et naturellement circulaires, ces mouvements adoptés si longtemps par l'antiquité, que Képler avait combattus et détruits (1). »

Où Bailly a-t-il aperçu dans Descartes ces corpuscules mus de leur propre mouvement autour d'un centre? La seconde règle fondamentale du mouvement que Descartes pose n'est-elle pas que «< chaque partie de la matière, en son particulier, ne tend jamais à continuer de se mouvoir suivant des lignes courbes, mais suivant des lignes droites, bien que plusieurs de ces parties soient souvent contraintes de se détourner, parce qu'elles entencontrent d'autres en leur chemin, et que, lorsqu'un corps se meut, il se fait toujours un cercle ou anneau de toute la matière qui est mue ensemble (2). Lorsqu'un corps se meut, encore que son mouvement se fasse le plus souvent en ligne courbe, et qu'il ne s'en puisse jamais faire

(1) Hist. de l'astron. moderne, t. II, p. 185.

(2) Princ., part. 11, art. 39.

aucun qui ne soit en quelque façon circulaire, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, toutefois, chacune de ses parties en particulier tend toujours à continuer le sien en ligne droite (1). » A cause qu'il n'y a point de vide entre les parties de la matière, quelque ténues qu'elles soient, et qu'elles ne peuvent se remuer, sans être forcées mutuellement de se détourner de leur direction, elles vont en ligne courbe; mais leur tendance essentielle, leur mouvement propre, est le droit. Par là, Descartes prouve que tout mouvement circulaire vient d'un mouvement droit qui ne peut s'accomplir, et en tout il déracine le mouvement circulaire essentiel, que Képler avait combattu, mais non détruit, si ce n'est dans la figure des orbes planétaires. C'est pour avoir montré la décomposition du mouvement, s'effectuant ainsi d'elle-même dans les choses, que seul, Descartes a introduit l'idée réelle de la mécanique du monde dans l'esprit humain, renversé l'antique barrière d'ignorance et de préjugés, élevée autour de lui, et contre laquelle se brisaient depuis plus de vingt siècles les efforts de la science et du génie.

Ah! cessons, cessons enfin de crier que le système des tourbillons n'est point le véritable. Les figures de carton avec lesquelles on représente

(1) OEuv., t. IV. Le Monde, ch. vn, p. 260.

les os, les muscles, les nerfs, les veines, les artères, enfin les diverses parties du corps humain, et leur disposition, offrent-elles le corps vivant ou mort? Cependant elles conduisent à l'idée vraie de son organisme, parce qu'elles portent la pensée de l'art à la nature. Eh bien! voyons dans les tourbillons, non pas seulement la figure de notre corps, mais de tous les corps, et le grand automate de l'univers, dans la constitution duquel il fait pénétrer l'intelligence. Mais ces tourbillons sont pris au sérieux par leur auteur et par plusieurs de ses plus éminents disciples, et ils arrêtent l'esprit humain sur des erreurs ! Il faut bien qu'ils soient jugés véritables afin de captiver l'attention et de familiariser avec les idées nouvelles qu'ils excitent. Seraitil possible qu'une conception de cette force sortit, surtout avec ses développements si travaillés, d'une tête non convaincue? A la voix de Descartes, la création semble sortir une seconde fois du chaos, et il se produit un éblouissement et un enthousiasme universels. Que sont pour une telle révolution, et après une si longue attente, vingt deux années, 1644 à 1666, que dure la séduction, avant de laisser discerner les premiers traits de la vérité? Et encore, à quoi s'en prendre de cet imperceptible retard, qu'au manque d'un homme supérieur dans l'astronomie physique?

Delambre parle de l'opposition de Gassendi,

lequel déclare ne voir personne qui ait le courage de lire jusqu'à la fin les Principes de philosophie; que rien n'est plus ennuyeux; qu'ils tuent leur lecteur; qu'on s'étonne que des fadaises aient tant coûté à celui qui les a inventées; qu'on doil être surpris qu'un aussi excellent géomètre que l'auteur, ait osé débiter tant de songes et de chimères pour des démonstrations certaines (1). Delambre se croit obligé de relever l'étrange assertion que les Principes n'avaient pas de lecteurs, et d'avouer que non-seulement on les lisail, mais que les jeunes professeurs de philosophie embrassaient avidement les opinions de l'auteur (2). Or, Gassendi qui n'a pas la force de lire les Principes, où il n'aperçoit que des fadaises et des chimères, au lieu d'aller en avant et de chercher mieux, s'accroche à l'âme de Kepler, à « cette âme très-noble et trèspuissante qui est dans le soleil et qui le meut de telle manière, que, le faisant tourner à l'entour de son propre essieu, il fait tourner à l'entour de soi toutes les planètes par les rayons qu'il leur envoie, et dont il les frappe et les fouette pour ainsi dire continuellement (3); » et il trouve cette théorie des mouvements cosmiques très - vraisemblable. De vrai, une âme postée dans le soleil comme un

(1) Hist. de l'astr. moderne, t. II, p. 193.

(2) Ibid., p. 194.

(3) Abrége de la philosophie de Gassendi, par Bernier, t. IV, p. 391.

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