Page images
PDF
EPUB

logiens, ces philosophes sont Arnauld et les jansénistes. Nous regrettons que notre plan ne nous permette pas d'amener ici, sous les regards des lecteurs, cette fameuse discussion sur la prédestination et sur la grâce, qui eut un si prodigieux retentissement au dix-septième siècle, mais dont le nom seul fait aujourd'hui sourire de pitié, quoiqu'elle soit suspendue aux plus hauts principes de la métaphysique, et qu'elle déploie les plus vastes et les plus intéressants rapports qui existent entre les esprits.

Il est clair que l'ordre qui défend à Dieu de sauver tous les hommes, doit lui interdire aussi d'empêcher les autres maux, tels que les intempéries, les pestes, les famines, le triomphe du vice, l'opprobre de la vertu, puisqu'ils résultent également des lois générales que l'ordre lui prescrit de suivre.

Malebranche admet, dans quelques cas rares, des lois particulières pour suppléer l'insuffisance des lois générales. « Cependant, dit-il, Dieu agit quelquefois par des volontés particulières; mais il ne le fait, et ne trouble jamais l'uniformité de sa conduite, que lorsque l'ordre immuable de ses attributs le demande ainsi, c'est-à-dire que lorsque ce qu'il doit à quelques-uns de ses attributs, comme par exemple à sa justice, à sa fidélité dans ses promesses, est de plus grande considération que çe

qu'il doit à ceux qui expriment la providence générale (1). » Fort bien, mais si l'ordre immuable non-seulement permet, mais demande des volontés ou lois particulières pour que Dieu mette en accord ses attributs qui n'expriment point la providence générale, c'est-à-dire tous ses attributs, hormis sa sagesse et sa puissance, nous ne devons plus voir entièrement dans les lois générales, la cause des désordres. Si Dieu peut agir par des volontés particulières pour satisfaire à sa bonté, comment dire que l'ordre ne lui permet point de se soucier qu'il y ait des désordres dans l'enfer? Peut-être en est-il de ces lois particulières comme de la liberté, que Malebranche défend tout en l'anéantissant. «Quoique Dieu, continuet-il, agisse rarement par des volontés particulières, il pourvoit suffisamment aux besoins de ses créatures en général, mais exactement aux besoins des particuliers qui l'invoquent et le servent comme ils doivent; et cela par les causes secondes qu'il a établies, après avoir et prévu et voulu les secours qu'elles nous donneraient, en conséquence de leur puissance, telle qu'elle puisse être (2). » Quoi! ces lois y pourvoient suffisamment, lorsque, pour ne parler que du plus grand des maux, la majorité des hommes se perd éternellement! Quant

(1) Ibid., t. IV, p. 268.

(2) Ibid.

à ceux qui l'invoquent, l'invocation ne doit-elle pas être principalement inspirée de Dieu ?

Mais enfin, que Dieu agisse seulement par des . lois générales; Malebranche est conduit aux plus révoltantes conséquences. Que Dieu agisse aussi par des volontés particulières; Malebranche ne donne point la raison première du mal, elle reste cachée dans les profondeurs des conseils divins.

Il est presque superflu d'observer qu'avec sa cause efficiente, unique, il annule le christianisme dans sa partie surnaturelle. Les créatures n'ayant aucune force propre, Dieu faisant tout en elles, il n'y a plus de pouvoir naturel, ou, pour mieux dire, il n'y a qu'une sorte de pouvoir, qu'il est loisible à chacun d'appeler naturel ou surnaturel. C'est sur ce principe que de nos jours l'école théocratique, ou soi-disant catholique, a bâti son système, avec la seule différence que Dieu, au lieu d'opérer intérieurement et directement dans les âmes, opère extérieurement par le moyen du sacerdoce, et du gouvernement, émanation du sacerdoce, qui sont les causes occasionnelles. La Législation primitive et l'Essai sur l'indifférence, et même l'ouvrage du Pape, ne sont qu'un système de déisme. Cependant ils sont reçus comme des oracles par le clergé! ô Eglise gallicane! dans quel aveuglement tu es descendue!

Leibnitz ne subordonne point l'ouvrage aux voies

comme Malebranche; il soutient que, tout considéré, Dieu a produit le plus de perfection possible (1). Cette perfection entraîne les désordres du monde; un monde où il ne se trouverait pas, serait moins parfait. Il écarte ainsi les difficultés terribles que Malebranche se crée par la distinction des voies et de l'ouvrage. Néanmoins c'est dire, comme lui, que Dieu ne pouvait mieux faire; seulement c'est professer un optimisme plus achevé. Or, il n'y a point de monde qui soit le plus parfait, et on peut nier que celui qui serait exempt des défauts que laisse voir le monde existant, lui fût inférieur.

Tels sont les succès des explicateurs de la constitution primitive, essentielle des choses, et de la conduite de la Providence dans le gouvernement de l'univers. Ce n'est pas que Leibnitz et Malebranche ne reconnaissent souvent eux-mêmes, qu'il nous est impossible de pénétrer pleinement ces secrets; mais ils agissent comme s'ils ne les trouvaient point impénétrables.

Tandis que Descartes croit pouvoir expliquer le monde physique, Spinosa, Malebranche, Leibnitz, expliquer aussi le monde moral, Locke croit ne pouvoir rien expliquer. «Nos sens, dit-il, étant frappés par certains objets extérieurs, font entrer dans notre âme plusieurs perceptions distinctes des cho

(1) Theod., art. 208.

ses, selon les diverses manières dont ces objets agissent sur nos sens. C'est ainsi que nous acquérons les idées que nous avons du blanc, du jaune, du chaud, du froid, du dur, du mou, du doux, de l'amer, et de tout ce que nous appelons qualités sensibles. Telle est la première source de nos idées. La seconde, c'est la perception des opérations de notre âme sur les idées qu'elle a reçues par les sens, opérations qui, devenant l'objet des réflexions de l'âme, produisent dans l'entendement une autre espèce d'idées, que les objets extérieurs n'auraient pu lui fournir; telles sont les idées de ce qu'on appelle apercevoir, penser, douter, croire, raisonnér, connaître, vouloir, et toutes les différentes actions de notre âme... Nous ne paraissons avoir absolument aucune idée qui ne nous vienne de ces deux sources (1). »

Ainsi, d'après Locke, dans les idées que l'âme trouve en soi, comme dans celles qu'elle reçoit du dehors, il ne s'agit que du pur fait, ou, selon le langage du jour, que du phénomène, c'est-à-dire, de l'extérieur des choses. C'est pourquoi il le nomme expérience (2), et assure que « c'est là le fondement de toutes nos connaissances. >> D'où l'on voit que si Descartes, Spinosa, Malebranche,

(1) Essai sur l'entendement, liv. II, ch. 1, art. 3, 4, 5. (2) Art. 2.

« PreviousContinue »