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ticulière de Dieu, par une espèce de transcréation (1). » Il ne s'explique point sur la monade qui doit prendre l'organisme de l'animal, ni sur celle qui doit prendre l'organisme de la plante. Peutètre pensait-il que la première porte en germe la sensibilité, et la seconde la végétation. Alors il n'aurait point à prouver que la même force produit les êtres des trois règnes. Mais il serait toujours obligé de dire ce qui fait que la force a telle propriété dans le minéral, telle autre dans la plante, telle autre dans l'animal, telle autre dans l'individu pensant. Est-ce sérieusement qu'il veut expliquer l'union de l'âme avec le corps ou en général les rapports des créatures, l'action des unes sur les autres, par l'harmonie préalable, qui rompt toute communication, tout lien entre elles, et les établit dans une indépendance et une séparation complètes, « chacune agissant comme si, par impossible, les autres n'existaient point (2)? »

Malebranche est sûr de dissiper les mystères avec ses lois générales. « 1° Lois générales de la communication des mouvements, desquelles lois le choc des corps est la cause occasionnelle ou naturelle. C'est par l'établissement de ces lois que Dieu a communiqué au soleil la puissance d'éclairer, au

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(1) Théod., art. 91 et 397.

(2) Op., t. II, pars 1, p. 29, art. 84.

feu celle de brûler, et ainsi des autres vertus qu'ont les corps pour agir les uns sur les autres; et c'est en obéissant à ses propres lois que Dieu fait tout ce que font les causes secondes.

«< 2° Lois de l'union de l'âme et du corps, dont les modalités sont réciproquement causes occasionnelles de leurs changements. C'est par ces lois que nous avons la puissance de parler, de marcher, de sentir, d'imaginer et le reste, et que les objets ont par nos organes le pouvoir de nous toucher et de nous ébranler. C'est par ces lois que Dieu nous unit à tous ses ouvrages.

«< 3o Lois de l'union de l'âme avec Dieu, avec la substance intelligible de la raison universelle, desquelles lois notre attention est la cause occasionnelle. C'est par ces lois que l'esprit a le pouvoir de penser à ce qu'il veut et de découvrir la vérité (1). »

Qu'on nous interroge maintenant sur ces grandes questions, nous voilà en mesure de répondre. Par quoi le soleil peut-il éclairer et le feu brûler? par la loi générale de la communication des mouvements, en vertu de laquelle Dieu éclaire dans le soleil et brûle dans le feu. Par quoi pouvonsnous marcher, parler, sentir, imaginer, et pourquoi les objets peuveut-ils nous toucher et nous

(1) Entret. XIII, 9.-Rép. à Arn., t. III, p. 155.

ébranler? par la loi générale de l'union de l'âme et du corps, en vertu de laquelle Dieu marche, parle, sent, imagine en nous, nous touche et nous ébranle dans les objets. Par quoi avons-nous la puissance de penser et de découvrir la vérité? par la loi générale de l'union de l'âme avec Dieu, la substance intelligible de la raison universelle, en vertu de laquelle loi Dieu pense en nous et découvre en nous la vérité. En d'autres termes, pourquoi les choses se passent-elles ainsi? parce que Dieu fait ainsi les-choses. Ce qui revient à dire que la lumière est lumière, le feu feu, l'esprit esprit. C'est la nature naturante et la nature naturée de Spinosa, par lesquelles il croit expliquer la création, ou comment, dans les substances, l'universel s'unit à l'individuel pour les former, comment les substances viennent des idées qui les représentent en Dieu.

Avec ces trois lois générales, les seules, suivant lui, que la raison et l'expérience nous apprennent, et les deux suivantes, qui nous sont découvertes par l'Écriture, Malebranche prétend lever certaines difficultés qui se rencontrent dans le gouvernement de l'univers par la Providence.

« 1o Les lois générales qui donnent aux anges bons et mauvais pouvoir sur les corps, substances inférieures à leur nature. C'est par l'efficace de ces lois que les anges ont gouverné le peuple juif,

qu'ils ont puni et récompensé par des biens et des manx temporels. C'est par l'efficace de ces lois que les démons ont encore le pouvoir de nous tenter, et que nos anges tutélaires ont celui de nous défendre. Les causes occasionnelles de ces lois sont leurs désirs pratiques.

« 2o Les lois par lesquelles Jésus-Christ a reçu la souveraine puissance dans le ciel et sur la terre; non-seulement sur les corps, mais sur les esprits; non-seulement pour distribuer des biens temporels, comme les anges à la synagogue, mais pour répandre dans les cœurs la grâce intérieure qui nous fait enfants de Dieu et qui nous donne droit aux biens éternels. Les causes occasionnelles de ces lois sont les divers mouvements de l'âme sainte de Jésus-Christ.

«Voilà, poursuit l'auteur, les lois les plus générales de la nature et de la grâce, que Dieu suit dans le cours ordinaire de sa Providence (1). Souvenez-vous qu'il ne peut agir que selon ce qu'il est, que dune manière qui porte le caractère de ses attributs; qu'ainsi il ne forme point ses desseins indépendamment des voies de les exécuter, mais qu'il choisit et l'ouvrage et les voies, qui tout ensemble expriment davantage les perfections qu'il se glorifie de posséder, que tout autre ouvrage par

(1) Ibid.

toute autre voie. Souvenez-vous que plus il y a de simplicité, d'uniformité, de généralité dans la Providence, y ayant égalité dans le reste, plus elle porte le caractère de la divinité; qu'ainsi Dieu gouverne le monde par des lois générales, pour faire éclater sa sagesse dans l'enchaînement des causes (1). »

Si donc il pleut dans les déserts et ne pleut point dans les terres en culture, dont les fruits périssent de sécheresse; si la grâce est donnée à des gens qui la dédaignent et refusée aux nations infidèles, chez lesquelles sans doute beaucoup de personnes en profiteraient; s'il naît des enfants monstrueux; si la peste moissonne les bons comme les méchants; si le puissant et le riche oppriment et spolient le pauvre et le faible, au lieu de le protéger et de le secourir; si la vertu se traîne dans les tribulations et les misères, tandis que le vice et le crime se jouent au sein de l'abondance et de la tranquillité; si tant d'âmes se perdent éternellement : c'est, aux yeux de Malebranche, une suite des lois générales déterminées par les causes occasionnelles. Dieu eût pu éviter ces déréglements et ces maux, en agissant par des lois particulières; mais il eût manqué à la simplicité, à l'uniformité qu'il se doit à lui-même d'observer. Agir par des lois particulières, c'est

(1) Entret. xIII, art. 8.

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