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quel la puissance engendre l'intelligence, et avec l'intelligence, produit la volonté ? qui la sollicite, sinon la nature de Dieu? Dieu, en effet, serait privé de la partie intelligente et voulante de sa nature, ou plutôt de sa nature entière, qui est indivisible, si l'intelligence n'émanait éternellement de la puissance, et la volonté de toutes les deux. Or, en serait-il également privé, s'il n'eût pas fait les divers êtres qui composent l'univers? Lorsqu'il les a créés, est-il passé tout entier en eux comme il passe tout entier dans son intelligence et dans sa volonté en les produisant? L'infini absolu de l'ètre, du vrai, du bien, respire-t-il dans la pierre, dans la plante, dans la brute, dans le globe de la terre, dans celui du soleil? respire-t-il dans l'homme, dans les esprits célestes? Il le faut néanmoins, si l'on prétend que Dieu a été forcé par sa nature de les créer. Mais si les plus accomplis d'entre eux n'offrent qu'une image infiniment imparfaite de Dieu, il est souverainement libre, et il ne cessera de l'être qu'on ne l'ait déraciné de lui-même, qu'on ne l'ait dissous et dispersé parmi les ouvrages de ses mains. Arnauld a aussi combattu l'optimisme; mais outre qu'il semble quelquefois pencher vers l'opinion de Descartes, il est d'une fatigante prolixité (1).

(1) Refl. phil. et théol.

Nous allons essayer de réduire à sa plus simple expression ce long examen de la question, si Dieu a suivi la raison dans la création du monde.

1o Descartes ne veut point qu'il l'ait suivie, parce qu'elle l'aurait forcé de choisir le meilleur et par là détruit sa liberté. 2° Malebranche et Leibnitz prétendent que, s'il ne l'avait point suivie, il ne serait qu'une puissance aveugle, produisant tout machinalement. 3o C'est ce que Spinosa enseigne sans détour. 4o Malebranche et Leibnitz, aux yeux de qui Dieu a suivi la raison, soutiennent qu'il a été obligé de former le meilleur univers possible. 5o Fénelon et Bossuet leur prouvent qu'ils détruisent sa liberté et établissent la fatalité; que Dieu, bien qu'il suive la raison, n'est point déterminé à préférer la création la plus parfaite, et que l'idée même d'une telle création n'est qu'une chimère. Seuls donc, dans l'école cartésienne, ils ont sauvé la raison et la liberté divine, relevé et maintenu les causes finales, que le chef de cette école avait renversées.

CHAPITRE IL

Partir de sol, restant en soi, et partir de Dieu.

9

Descartes était parti de soi pour rendre raison des choses. Il n'avait trouvé le fondement de la certitude que dans la vue ou perception immédiate de l'existence des idées qui forment le fond de la pensée. C'est d'après cette perception parfaitement claire et distincte, ou évidente, qu'il voulait que les perceptions de ce qui entre dans ces idées, fussent appréciées; en sorte que lorsque la même évidence ne paraissait pas, il fallait suspendre son jugement. Ainsi nous voyons clairement et distinctement que nous avons en nous l'idée de perfection infinie, et dans cette idée l'existence d'un être infiniment parfait qui lui répond; mais nous sommes fort loin de voir aussi

bien tout ce qu'il est, d'embrasser l'étendue de sa puissance, de sa sagesse, de sa volonté et de ses autres attributs. « C'est pourquoi, dit Descartes, nous ne devons point trouver étrange qu'il y ait en sa nature, qui est immense, et en ce qu'il a fait, beaucoup de choses qui surpassent la capacité de notre esprit (1)», telles, par exemple, que l'accord de la Providence et de la liberté. Cependant il n'en trouve point de ce genre dans les corps; là tout est ou peut être connu. Avec la notion de l'étendue et celle du mouvement, il prétend expliquer le monde physique, et montrer de point en point comment il a été formé. « J'avoue franchement, dit-il, que je ne connais point d'autre matière des choses corporelles que celle qui peut être divisée, figurée et mue en toutes sortes de façons, c'est-à-dire celle que les géomètres nomment la quantité et qu'ils prennent pour l'objet de leurs démonstrations; et que je ne considère en cette matière que ses divisions, ses figures et ses mouvements; enfin que touchant cela, je ne veux rien recevoir pour vrai, sinon ce qui en sera déduit avec tant d'évidence qu'il pourra tenir lieu d'une démonstration mathématique, et d'autant que par ce moyen on peut rendre raison de tous les phénomènes de la nature, comme on pourra voir par

(1) Princ. de la phil., part 1, art. 25.

ce qui suit, je ne pense pas qu'on doive recevoir d'autres principes en physique, ni même qu'on doive en souhaiter d'autres que ceux qui sont ici expliqués (1). » Quoique dans le livre des Principes, il ne s'agisse que des corps inorganisés, il entend parler aussi des autres; les traités de l'Homme, de la Formation du fœtus, les Premières pensées sur la génération des animaux, ne permettent point d'en douter. De là ces paroles qu'on lui prête si souvent et qui, en effet, lui appartiennent, sauf le tour: qu'on me donne de l'étendue et du mouvement, el je fais un monde (2).

Malebranche ne voit non plus que de l'étendue et du mouvement dans le monde physique. Cependant, il ne pense point, comme Descartes, qu'on en puisse expliquer la formation, même de la partie inorganique, par les lois seules du mouvement, sans une action particulière de Dieu (3). Mais il est persuadé que les notions de cause efficiente, de causes occasionnelles, de lois générales, suffisent pour rendre raison de ce qui s'y passe et de ce qui se passe dans le monde spirituel. « Dieu, dit-il, communique avec joie tout ce qu'il possède en qualité de sagesse éternelle (4). » Leibnitz s'étonne que

(1) Ibid., part. 11, art. 64.
(2) Le Monde, ch. vi et vii.
(3) Médit. chrét., VII, art. 9.
(4) Médit., x1, art. 2.

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