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de Dieu soit infinie, en ce qu'elle peut produire une créature infiniment parfaite. En produisant cet ètre, il se produirait lui-même; il produirait son verbe, comme dit souvent saint Augustin, et non une créature. Ainsi, à force de vouloir étendre sa fécondité et sa puissance, on la détruirait; car on la mettrait par là dans une vraie impuissance de produire quelque chose hors de lui.

<«< En quoi la puissance de Dieu sera-t-elle donc infinie? où ce sera en ce que Dieu peut produire un certain degré de perfection finie, au delà duquel il ne peut plus rien; ou ce sera en ce qu'il peut choisir librement dans cette étendue de degrés de perfection finie, qui montent et qui descendent toujours à l'infini. Mais oserait-on dire qu'il y a un degré précis et fixe de perfection finie au-dessus duquel Dieu ne puisse rien faire?... S'il y a un degré précis et fixe de perfection finie, au delà duquel Dieu ne puisse rien produire, selon l'ordre, il s'ensuit clairement que sa puissance est absolument bornée à ce degré; qu'il n'en a aucune au delà; et par conséquent que cette puissance ne peut en aucun sens être nommée infinie.

« Que si on a horreur de cette impiété, et qu'on reconnaisse en Dieu la puissance d'ajouter toujours, en montant vers l'infini, de nouveaux degrés de perfection à tout degré déterminé qu'il aura mis dans son ouvrage; voilà la puissance infinie de Dieu

sauvée; mais voilà aussi le principe fondamental de Malebranche miné sans ressource. Car, bien loin que Dieu ne puisse produire que le plus parfait, il s'ensuit qu'il ne peut jamais produire le plus parfait, puisqu'il peut toujours ajouter quelque nouveau degré de perfection à toute perfection déterminée...

« Dans tous les choix que Dieu fait pour agir au dehors ou pour n'agir pas, pour produire le plus ou le moins parfait, il ne faut point chercher d'autre raison que sa supériorité infinie et son domaine souverain sur tout ce qu'il peut faire. Il est si grand qu'une créature ne peut avoir en elle de quoi le déterminer à la préférer à une autre. Elles sont toutes deux bonnes et dignes de lui, mais toutes deux infiniment au-dessous de sa perfection. Voilà sa pure liberté, qui consiste dans la pleine puissance de se déterminer par lui seul, et de choisir sans autre cause de détermination que sa volonté suprême, qui fait bon tout ce qu'il veut. Voilà ce que l'Écriture appelle son bon plaisir, et le décret de sa volonté. Si nous le méditons bien, nous trouverons que la plus haute idée de perfection est celle d'un être qui, dans son élévation infinie au-dessus de tout, ne peut jamais trouver de règle hors de lui, ni être déterminé par l'inégalité des objets qu'il voit; mais qui voit les choses les plus inégales, égalées en quelque façon, c'est-à

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dire également rien, en les comparant à sa hauteur souveraine; et qui trouve dans sa propre volonté la dernière raison de tout ce qu'il a fait. Cette idée est la plus haute et la plus parfaite que nous ayions, et par conséquent c'est celle que Dieu nous a donnée de sa nature. Après cela, dites que Dieu étant infiniment sage, il ne peut rien faire qu'avec une sagesse qui préfère toujours le meilleur.

« La sagesse infinie de Dieu ne peut le déterminer à choisir le meilleur, quand il n'y a aucun objet déterminé qui soit effectivement le meilleur par rapport à sa perfection souveraine, dont les choses les plus parfaites sont toujours infiniment éloignées.

<<< Il est pourtant vrai que dans ce choix pleinement libre, où Dieu n'a d'autre raison de se déterminer que son bon plaisir, sa parfaite sagesse ne l'abandonne jamais. Pour être souverainement indépendant de l'inégalité des objets finis entre eux, il n'en est pas moins sage; il voit cette inégalité de tous les objets entre eux ; il voit leur égalilé par rapport à sa perfection infinie; il voit leur éloignement infini du néant; il voit tous les rapports que chacun d'eux peut avoir à sa gloire, et toutes les raisons de le produire; il voit une raison générale et supérieure à toutes les autres, qui est celle de son indépendance et de l'imperfection de toute créature par rapport à lui; il y trouve son

souverain domaine et sa pleine liberté : il l'exerce, pour faire le bien, à telle mesure qu'il lui plaît. N'y a-t-il pas dans toutes les vues de Dieu, qui agit librement, une science et une sagesse infinies (1)? »

Ajoutons quelques développements aux deux points fondamentaux de cette victorieuse réfutation: savoir qu'il n'y a point d'univers qui soit le meilleur possible, et que tous sont égaux devant Dieu et ne peuvent par eux-mêmes l'incliner à les produire.

Oui, ce maximum tant préconisé n'est qu'une chimère. Je sais ce que c'est que le maximum d'une ligne trigonométrique, de l'ordonnée d'une courbe, de la vitesse d'une planète dans son orbe elliptique, puisque je les vois croître jusqu'à un terme qu'elles ne sauraient dépasser, mais où elles parviennent. J'ignore au contraire ce que c'est que le maximum de ++, etc. Ce n'est pas 1, quoiqu'on ait ++, etc., = 1; 1 ne résulte

1

2

1

+計

4

1

1

1

2

4

1

point de l'addition de ++, etc., mais de la

loi de leur génération; c'est une limite dont ces fractions approchent continuellement et indéfiniment, sans jamais l'atteindre.

Je sais ce que c'est que le maximum dans les productions de l'homme; pour Malebranche, je vois les Entretiens sur la métaphysique, le Traité de

(1) Refutation de Malebranche par Fénelon el Bossuet, ch. vIII.

morale, pour Leibnitz, la Théodicée, le Calcul dif férentiel; mais j'ignore ce que c'est que le maximum dans les productions de Dieu. Soutenir que c'est l'univers, c'est décider ce qui est en question. Je sais ce que c'est que le maximum dans les choses qui appellent un terme, tandis que je l'ignore dans celles qui le repoussent. L'univers se compose d'esprits et de corps. Voit-on que Dieu n'en puisse créer de plus parfaits, ni en plus grand nombre? leur arrangement est-il le mieux? On pourrait le nier: rien ne le prouve; mais je veux qu'il le soit. Comme il dépend de leur qualité et de leur nombre, il n'offre qu'un mieux relatif. Donc, point de maximum dans la création ; y en mettre, c'est exiger qu'elle avoisine Dieu, chose non moins absurde que d'exiger que parmi les nombres naturels, 1, 2, 3, 4, etc., il y en ait un plus grand que tout autre. Qu'à chaque instant de son éternité Dieu jetât des myriades d'univers, il ne diminuerait point l'abîme qui le sépare du moindre atome. En étudiant la formation des choses, Malebranche, après avoir étalé les prodiges du monde physique, s'écrie : « Assurément Dieu est toujours semblable à lui-même, sa sagesse n'est point épuisée par les merveilles qu'il a faites. Il tirera sans doute de la nature spirituelle des beautés qui surpasseront infiniment tout ce qu'il a fait de la matière (1).» Eh bien! pense-t-il qu'après

(1) Eni. mét., XII, introd

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