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ou des idées dont elles sont dépendantes; et sans lui, il n'y aurait aucune réalité dans les possibilités; et rien non-seulement n'existerait, mais encore ne serait possible. Car s'il y a eu quelque réalité dans les essences, ou les possibilités, ou plutôt les vérités éternelles, cette réalité n'a pu être fondée que dans une chose existante et actuelle; et conséquemment dans l'existence d'un être nécessaire dont l'essence renferme l'existence, ou à qui il suffit d'ètre possible pour être actuel. Ainsi Dieu seul ou l'être nécessaire a ce privilége qu'il existe nécessairement, s'il est possible; et comme rien ne s'oppose à sa possibilité, puisque étant sans limites, il n'est susceptible d'aucune négation, et conséquemment d'aucune contradiction, cela seul est suffisant pour démontrer a priori l'existence de Dieu. Nous l'avons aussi démontrée par là réalité des vérités éternelles, mais nous la démontrerons encore a posteriori, parce qu'il existe des êtres contingents qui ne peuvent avoir la raison dernière et suffisante de leur existence, que dans un être nécessaire qui ait en lui-même la raison de sa propre existence (1).

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Avant d'aller plus loin, remarquons ces paroles que Dieu ou l'être nécessaire existe, s'il est possible. Elles ne sont pas là sans dessein. Leibnitz a

(1) Princ. phil. Op., t. II, part. 1, p. 24.

l'intention de compléter la preuve de l'existence de Dieu donnée par Descartes; il veut qu'elle suppose tacitement que Dieu, l'être parfait, est possible, et que cela puisse être nié (1). Comment donc ne voit-il pas que Dieu n'est possible que parce qu'il existe? Que l'être absolu, incréé, ne soit pas, et rien ne sera possible. Est-ce donc du néant ou de l'impossibilité même que l'être tirerait sa possibilité? Mais quelqu'un niera cette possibilité. Eh bien! il se contredira, il niera l'être avec l'être mème. Vous pensez lui démontrer, de manière à le réduire au silence, que Dieu est possible, en disant que rien ne s'oppose à sa possibilité? Et qui l'empêchera de vous demander sur quoi elle se fonde, ce qui en fait la réalité? que pourrez-vous répondre, sinon que c'est l'existence elle-même? Du reste, Leibnitz ne fait ici que reproduire une difficulté de Spinosa (2).

Mais reprenons le cours des idées. Leibnitz frappe partout Descartes: il rétablit les vérités nécessaires, par le principe de contradiction, qui les affranchit de la volonté divine; il rétablit les vérités contingentes, par le principe de raison suffisante, qui les rapporte à une cause intel

(1) Op., t. II, part. 1, p. 254 et ailleurs.

(2) « Si nulla ratio, nec causa dari possit, quæ impedit quo minus Deus existat, vel quæ ejus existentiam tollat, omnino concludendum est, eumdem necessario existere, etc. » Eth, part. 1, prop. 11.

ligente, ruinant à la fois le hasard et la nécessité, dont le hasard n'est que le masque. Comme application particulière de ce dernier principe, on peut lire, entre autres pièces, la Profession de foi contre l'athéisme (1). On y verra que pour rendre une raison suffisante de la figure, de la grandeur, du mouvement des corps, on est invinciblement conduit à Dieu. Mais ce que ces deux principes expriment est si clair, et ce que signifie le dernier, si vulgaire, que pour comprendre l'importance que Leibnitz leur attribue et pourquoi il les rappele sans cesse, il faut savoir qu'il a en vue le principe subversif de Descartes, quoiqu'il ne le dise pas toujours. Au lieu de la raison suffisante, Malebranche parle de l'ordre, qui embrasse les rapports de convenance, règle les choses, et décèle en tout l'intelligence souveraine, dont il est l'invariable loi. Évidemment cela revient au même.

Nous voilà encore ramenés à conclure qu'il est impossible que les vérités éternelles ne soient pas indépendantes de la volonté divine. Les lui soumettre, c'est aller droit au néant, d'où l'on ne sort qu'en les lui enlevant. Reste donc à examiner si elles l'asservissent, si elles l'obligent à choisir le meilleur. Malebranche et Leibnitz, triomphants contre Descartes, succombent ici à leur tour. Ce

(1) Op., t. I, p. 6.

maximum du bien dans l'univers, qu'ils prétendent imposer à Dieu et qui l'anéantirait, n'est qu'une illusion.

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Représentons nous, selon la belle image de saint Augustin (1), tout l'ouvrage de Dieu comme étant dans une espèce de milieu entre l'Étre-Suprême et le néant, qui sont comme ses deux extrémités. De quelque côté que la créature se tourne elle aperçoit un espace infini : l'être borné, en tant que borné, est infiniment distant de l'être infini; en tant qu'être, quoique borné, il est infiniment distant du néant; la distance infinie qui est entre la créature et le néant, est en elle la marque de la perfection infinie de celui qui l'a fait passer du néant à l'être. Par là tout degré d'être est bon et digne de Dieu par là le moindre degré d'être porte en lui le carctère de l'infinie perfection du Créateur.

<< Il faut donc se représenter toutes les perfections que Dieu peut donner à son ouvrage, comme une suite de degrés d'une hauteur et d'une profondeur sans bornes. Ces degrés, d'un côté montent, et de l'autre, descendent toujours à l'infini. Dieu voit tous ces degrés; mais, comme ils sont infinis, il n'en voit aucun de déterminé, au-dessus duquel li n'en voie encore d'autres qui sont possibles; il

(1) Contra epistol. Manich, quam vocant fundamentum.

n'en voit même aucun de déterminé qui ne soit fini et qui par conséquent n'en ait encore d'infinis audessous de lui.

<«< Dieu n'a point de liberté par rapport à luimême. La liberté est une puissance de choisir. Qui dit choisir, dit prendre une chose plutôt qu'une autre. Celui donc qui trouve tout dans un seul objet indivisible, et qui ne peut jamais s'empêcher de le vouloir, n'a rien à choisir de ce côté-là. Mais du côté de ses ouvrages tout s'offre à Dieu, et tout est digne de son choix. Il ne peut rien faire que de bon; par conséquent tout ce qui est possible, s'il est vraiment possible, et si ce n'est point un jeu de mots que de lui donner ce nom de possible, est bon et conforme à l'ordre. Si on prend pour l'ordre la sagesse immuable de Dieu, qui est son essence même, il faut donc que l'ordre, qui dans ce sens est la nature divine, s'accommode de tous les divers degrés de perfection auxquels Dieu peut borner son ouvrage.

Ajoutons que Dieu ne peut faire une créature qui rassemble en elle tous les degrés de perfection possibles. Car cette créature, ou serait infiniment parfaite, auquel cas elle serait Dieu même, ou n'aurait qu'un degré fini de perfection, et par conséquent il y aurait encore d'autres degrés de perfection possibles au dessus de ceux qu'elle posséderait. Il ne faut donc pas s'imaginer que la puissance

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