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là qu'il est corrompu. Il faut bien que l'ordre immuable, que nous voyons en partie, soit la loi de Dieu même, écrite dans sa substance en caractères éternels et divins, puisque nous ne craignons point de juger de sa conduite par la connaissance que nous avons de cette loi. Nous assurons hardiment que l'homme n'est point tel que Dieu l'a fait; que sa nature est corrompue; que Dieu n'a pu, en le créant, assujettir l'esprit au corps. Sommes-nous des impies ou des téméraires, de juger ainsi de ce que Dieu doit faire ou ne faire. pas? nullement. Nous serions plutôt ou des impies ou des aveugles, si nous suspendions sur cela notre jugement. C'est que nous ne jugeons point de Dieu par notre autorité, mais par l'autorité souveraine de la loi divine (1) » que nous contemplons directement en lui.

Bayle se plaît à remonter les idées éternelles dans leur indépendance et leur souveraineté essentielle. « C'est une chose certaine, dit-il, que l'existence de Dieu n'est pas un effet de sa volonté. Il n'existe point parce qu'il veut exister, mais par la nécessité de sa nature infinie. Sa puissance et sa science existent par la même nécessité. Il n'est pas tout-puissant, il ne connaît pas toutes choses. parce qu'il le veut ainsi, mais parce que ce sont

(1) Entret., 1x, art. 13.

des attributs nécessairement identifiés avec luimême. L'empire de sa volonté ne regarde que l'exercice de sa puissance, il ne produit hors de lui actuellement que ce qu'il veut, et il laisse tout le reste dans la pure possibilité. De là vient que cet empire ne s'étend que sur l'existence des créatures, il ne s'étend point aussi sur leurs essences. Dieu a pu créer la matière, un homme, un cercle, ou les laisser dans le néant; mais il n'a pu les produire sans leur donner leurs propriétés essentielles. Il a fallu nécessairement qu'il fît l'homme un animal raisonnable, et qu'il donnât à un cercle la figure ronde, puisque selon ses idées éternelles et indépendantes des décrets libres de sa volonté, l'essence de l'homme consistait dans les attributs d'animal et de raisonnable, et que l'essence du cercle consistait dans une circonférence également éloignée du centre, quant à toutes ses parties... Cela ne se doit pas seulement entendre des premiers principes théorétiques, mais aussi des premiers principes pratiques, et de toutes les propositions qui contiennent la véritable définition des créatures. Ces essences, ces vérités, émanent de la même nécessité de la nature, que la science de Dieu. Comme donc c'est par la nature des choses que Dieu existe, qu'il est tout-puissant et qu'il connaît tout en perfection; c'est aussi par la nature des choses que la matière, que le triangle, que

l'homme, que certaines actions de l'homme, etc., ont tels et tels attributs essentiellement. Dieu a vu, de toute éternité et de toute nécessité, les rapports essentiels des nombres et l'identité de l'attribut et du sujet des propositions qui contiennent l'essence de chaque chose. Il a vu de la même manière que le terme juste est enfermé dans ceux ci: estimer ce qui est estimable, avoir de la gratitude pour son bienfaiteur, accomplir les conventions d'un contrat, et ainsi de plusieurs autres propositions de morale (1). >>

Le propre des vérités ou idées éternelles, c'est qu'elles ne sauraient être le contraire de ce qu'elles sont. De là le principe de la contradiction, établi pour les discerner. Sans examiner le principe en soi, Descartes soutient que les contradictoires peuvent exister ensemble (2). Malebranche cherche, principalement dans la 4o Méditation chrétienne, à rendre évident qu'ils ne le peuvent point, et que cette impossibilité constitue l'immuable certitude des vérités éternelles. Leibnitz s'attache au principe et lui en associe un autre de son invention, relatif aux vérités contingentes. C'est le principe de la raison suffisante, d'après lequel rien ne se fait sans une raison qui en

(1) Continuation des Pensées diverses, ch. CLII, p. 410. (2) T. IX, p. 171.

donne le pourquoi, à qui saurait la pénétrer. << Nos raisonnements, dit-il, sont fondés sur deux grands principes: le premier est le principe de la contradiction, en vertu duquel nous jugeons faux ce qui implique contradiction; et véritable ce qui est opposé au faux ou qui le contredit. Le second est le principe de la raison suffisante, en vertu duquel nous voyons qu'aucun fait, aucune énonciation ne peuvent être véritables, à moins qu'il n'y ait une raison suffisante pourquoi la chose est ainsi et non autrement, quoique ces raisons puissent le plus souvent nous être inconnues.

« Quand une vérité est nécessaire, on peut en découvrir la raison par l'analyse, c'est-à-dire en la décomposant en idées et en vérités plus simples, jusqu'à ce qu'on soit parvenu à des vérités primitives. C'est ainsi que chez les mathématiciens les théorèmes de spéculation et les règles de pratique se réduisent par l'analyse à des définitions, des axiomes, des demandes. Il est enfin des idées simples dont il n'est pas possible de donner de définition. Il est aussi des axiomes, des demandes, en un mot, des premiers principes qui ne peuvent être prouvés, et n'ont pas aussi besoin de preuves, puisqu'ils ne sont en effet que des énonciations identiques.

<< Mais l'on doit encore trouver une raison suffisante dans les vérités contingentes ou les vérités

de fait, c'est-à-dire dans la suite des choses qui composent l'univers des créatures, et où la décomposition en raisons particulières, pourrait être poussée à l'infini, à cause de l'immense variété des choses naturelles et de la division des corps à l'infini. Il y a une infinité de figures et de mouvements, présents et passés, qui entrent dans la cause efficiente de mon écriture actuelle, et une infinité de petites inclinations et de dispositions de mon âme, présentes et passées, qui entrent dans sa cause finale. Et comme toute cette suite n'enveloppe que d'autres contingents antérieurs, dont chacun exige une semblable analyse, il est évident que lorsqu'il s'agira de rendre raison de cette suite, en suivant cette route, on n'arrivera jamais au bout. Il est donc nécessaire que cette raison suffisante ou dernière, se trouve hors de la suite des contingents, quelque infinie qu'on suppose cette suite. C'est aussi pourquoi la dernière raison des choses doit être contenue dans quelque substance nécessaire qui ne renferme qu'éminemment, comme dans sa source, la suite de tous ces changements, et cette substance est l'être que nous appelons Dieu. Il est la source non-seulement des existences, mais aussi des essences, en tant qu'elles sont réelles, ou, ce qui revient au même, la source de ce qu'il y a de réel dans leur possibilité. Voilà pourquoi l'entendement divin est la région des vérités éternelles

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