Page images
PDF
EPUB

dent impossible tout ce qui n'est pas dans leur sphère (1). >>

Voici d'autres conséquences: «Ou vous croyez, dit Fénelon à Malebranche, qu'il était plus parfait de créer le monde que de ne le créer pas, ou vous croyez que ces deux choses étaient d'une égale perfection. Si vous croyez qu'il était plus parfait de créer le monde, Dieu était donc invinciblement déterminé par l'ordre à le créer, et il n'avait aucune liberté pour ne le créer pas si vous dites que ces deux choses étaient d'une égale perfection, vous supposez que le néant est aussi bon que l'ouvrage le plus parfait ; ce qui est une opinion mons

trueuse. >>

« Ne m'imposez pas, répondra peut-être l'auteur : je soutiens seulement qu'il est également bon à Dieu de faire ou de ne pas faire son ouvrage, parce qu'il peut s'en passer; quoique j'avoue en même temps que si on compare ces deux choses entre elles, on trouvera que l'ouvrage le plus parfait est meilleur que le néant. Si donc on regarde ces deux choses par rapport à l'infinie perfection de Dieu, faire le monde ou ne pas le faire, elles sont égales, parce qu'elles sont toutes deux infiniment inférieures à Dieu; qu'il peut se passer également de l'une et de l'autre; et qu'ainsi aucune

(1) Ch. CLI, p. 813.

n'est capable de le déterminer invinciblement. Mais si on les compare entre elles, l'être, et surtout l'être le plus parfait que Dieu puisse créer, vaut mieux que le néant.

<< Mais cette réponse, qui est l'unique refuge que l'auteur puisse chercher, va mettre en pleine évidence ce que je dois prouver contre lui. Pourquoi, lui dirai-je, prétendez-vous que Dieu est déterminé invinciblement à faire toujours le plus parfait? C'est, me répondra-t-il, que l'ordre, qui est pour lui une loi inviolable, demande qu'il préfère toujours le plus parfait au moins parfait. Mais quoi, répondrai-je, le plus parfait et le moins parfait sont-ils aux yeux de Dieu plus inégaux que le plus parfait et le néant? Non, sans doute, car le moins parfait a quelque degré de perfection; et le néant, qui n'en a aucun, est infiniment audessous, il est l'imperfection souveraine. Mais Dieu, répondra encore l'auteur, ne compare pas le néant et l'être le plus parfait entre eux : s'il les comparait ainsi, il préférerait nécessairement la création au néant; il les voit seulement dans une espèce d'égalité par rapport à sa souveraine perfection, parce qu'il peut également se passer de l'un et de l'autre. Hé bien, continuerai-je, pourquoi ne voulez-vous pas aussi que Dieu regarde avec la mème indifférence le plus parfait et le moins parfait, comme étant tous deux dans une espèce d'é

galité par rapport à sa souveraine perfection, parce qu'il peut également se passer de l'un et de l'autre, et qu'ils lui sont tous les deux infiniment inférieurs, en sorte qu'aucun d'eux ne le puisse déterminer invinciblement?

:

« Choisissez ou supposez que Dieu ne compare point les choses entre elles, et qu'il regarde les plus inégales comme étant égales par rapport à lui, parce qu'il peut se passer également de toutes; ou supposez qu'il les compare entre elles. Si vous supposez qu'il ne les compare point entre elles, mais seulement qu'il les regarde dans une sorte d'égalité, comme lui étant infiniment inférieures, dès ce moment vous reconnaissez Dieu aussi libre pour choisir entre le plus parfait et le moins parfait, que pour choisir entre faire le monde et ne faire rien. Que si vous supposez au contraire que Dieu compare les choses entre elles, et que c'est par rapport à cette comparaison qu'il se détermine, n'avouerez-vous pas que, comme l'ordre le détermine au plus parfait, en le comparant avec le moins parfait, il doit aussi le déterminer à la création du monde, en comparant le monde, qui est - l'ouvrage le plus parfait selon vous, avec le néant, qui est l'imperfection souveraine?... Quoi donc! quand Dieu choisit entre deux desseins de son ouvrage, un seul degré de perfection dans l'un plus que dans l'autre emporte la balance, détermine

Dieu invinciblement, et lui ôte toute sa liberté : mais quand Dieu choisit entre faire le monde et ne le faire pas, c'est-à-dire entre l'être le plus parfait et le néant, tous les degrés de perfection possibles rassemblés ne peuvent déterminer Dieu et l'emporter sur le néant.

«Mais encore ce grand choix, ce profond conseil de Dieu, qui se détermine à créer le monde, devrait être sans doute le plus grand effet de sa sagesse. Cependant, selon vous, c'est une action indélibérée, une action sans raison. Souvenezvous que vous dites souvent que Dieu agirait sans raison, et d'une manière indigne de son infinie sagesse, toutes les fois qu'il agirait sans être déterminé par l'ordre à choisir le plus parfait. S'il n'est point plus parfait à Dieu de créer le monde que de ne le créer pas, Dieu l'a donc créé sans raison et d'une manière indigne de sa sagesse. Si, au contraire, il lui est plus parfait de le créer que de ne le créer pas, je reviens toujours à conclure qu'il l'a donc créé nécessairement, et qu'il n'a eu aucune liberté à l'égard de son ouvrage (1). »

« S'il a été nécessaire, comme nous venons de le montrer par les principes de l'auteur, que Dieu créat le monde, parce qu'il était plus parfait de le

(1) Refulation du système du P. Malebranche sur la Nature et la Gráce, ch. vi. OEuv. de Fénel.. t. III. Lebel; Versailles, 1820.

créer que de ne le créer pas; il a été nécessaire aussi que Dieu le créât dès l'éternité : toutes choses étant égales d'ailleurs, sans doute, ce qui est éternel est plus parfait en soi que ce qui est temporel (1). >>

L'ordre exigeant donc que le monde fût créé, « le monde a été nécessaire à Dieu pour l'accomplissement de son ordre inviolable, c'està-dire pour la conservation de sa nature infiniment parfaite... Ainsi l'infinie perfection de Dieu dépend de la création éternelle du monde; en sorte que Dieu ne peut non plus se passer de créer le monde, que d'engendrer son Verbe. Si cela est, l'essence divine n'est point un être absolu et indépendant; car on ne peut point la concevoir, sans concevoir l'ordre, et on ne peut concevoir l'ordre sans concevoir aussi le monde existant, comme un être qui est hors de Dieu, et qui lui est pourtant nécessaire... Or, ce serait à la créature une souveraine perfection, d'avoir non-seulement une existence nécessaire, mais nécessaire à Dieu même; et ce serait à Dieu une souveraine imperfection, de ne pouvoir être parfait, en un mot, de ne pouvoir être Dieu même sans l'existence actuelle de sa créature (2). » Fénelon oublie d'observer que le

(1) Ibid., ch. ví, p. 44.

(2) Ibid., p. 50.

« PreviousContinue »