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ouvrage sera-ce que le temple du vrai Salomon, qui ne sera construit qu'avec des intelligences? C'est le choc des corps qui détermine l'efficace des lois naturelles; et cette cause occasionnelle, tout aveugle et simple qu'elle est, produit, par la sagesse de la providence du Créateur, une infinité d'ouvrages admirables. Quelle sera donc la beauté de la maison de Dieu, puisque c'est une nature intelligente, éclairée de la sagesse éternelle et subsistant dans cette même sagesse, puisque c'est JésusChrist qui détermine l'efficace des lois surnaturelles par lesquelles Dieu exécute ce grand ouvrage? Que ce temple du vrai Salomon sera magnifique! Ne serait-il point d'autant plus parfait que cet univers, que les esprits sont plus nobles que les corps, et que la cause occasionnelle de l'ordre de la grâce est plus excellente que celle qui détermine l'efficace des lois naturelles? Assurément, Dieu est toujours semblable à lui-même. Sa sagesse n'est point épuisée par les merveilles qu'il a faites. Il tirera sans doute de la nature spirituelle des beautés qui surpasseront infiniment tout ce qu'il a fait de la matière (1). »

Toutes les fois que l'occasion se présente, Malebranche insiste sur l'impossibilité que les corps organisés, et même les autres, résultent des lois seules

(1) Ibid., XII, introd.

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du mouvement. « On ne comprend pas, selon lui, qu'une machine composée d'une infinité d'organes différents, parfaitement bien accordés ensemble et ordonnés à diverses fins, ne soit qu'un effet de cette loi si simple et si naturelle, que tout corps doit se mouvoir du côté qu'il est le plus poussé ; car cette loi est bien plus propre à détruire cette machine qu'à la former... On ne comprendra jamais que les lois du mouvement puissent construire des corps composés d'une infinité d'organes. On a assez de peine à concevoir que ces lois puissent peu à peu les faire croître. Ce que l'on conçoit bien, c'est qu'elles peuvent les détruire en mille manières... On dit que M. Descartes avait commencé un Traité de la formation du foetus, dans lequel il prétendait expliquer comment un animal se peut former du mélange des particules de la matière... Cette ébauche peut nous aider à comprendre comment les lois du mouvement suffisent pour faire croître peu à peu les parties de l'animal. Mais que ces lois puissent les former et les lier toutes ensemble, c'est ce que personne ne prouvera jamais. Apparemment M. Descartes l'a bien reconnu luimême, car il n'a pas poussé fort avant ses conjectures ingénieuses. L'entreprise d'expliquer la génération des plantes ne lui aurait pas été moins impossible que celle des animaux (1). » Cette dou

(1) Entret., XI, 8.

ble impossibilité, Malebranche l'a développée par de longues considérations. « Mais, suivant lui, tout le reste de ce monde visible aurait pu se former précisément tel qu'il est par les lois générales de la communication des mouvements; supposé que les premières impressions du mouvement eussent eu certaines déterminations et certaine quantité de force que Dieu seul connaît (1). »

Comme pour Malebranche, ce fut pour Leibnitz une des grandes affaires de sa vie de combattre cette doctrine de Descartes, et de relever la sagesse de Dieu dans l'univers. « Il faut que la cause du monde, dit-il, soit intelligente; car ce monde qui existe étant contingent, et une infinité d'autres mondes étant également possibles et également prétendants à l'existence, pour ainsi dire, aussi bien que lui, il faut que la cause du monde ait eu égard ou relation à tous ces mondes possibles pour en déterminer un. Et cet égard ou rapport d'une substance existante à de simples possibilités, ne peut être autre chose que l'entendement qui en a les idées; et en déterminer une, ne peut être autre chose que l'acte de la volonté qui choisit. Et c'est la puissance de cette substance, qui en rend la volonté efficace. La puissance va à l'être, la sagesse ou l'entendement au vrai, et la volonté au

(1) Méd., VII, 9.

bien. Et cette cause intelligente doit être infinie de toutes les manières, et absolument parfaite en puissance, en sagesse et en bonté, puisqu'elle va à tout ce qui est possible (1). »

« C'est l'unité ou monade primitive, la substance simple, féconde, qui a produit toutes les autres. L'influence d'une monade créée sur une monade créée n'est qu'idéale, et ne peut avoir d'effet que par l'intervention de Dieu, en tant que, dans les idées de Dieu, une monade demande avec raison que Dieu, combinant toutes les autres monades dans l'origine des choses, tienne compte d'elle. Cette adaptation de toutes à chacune d'entre elles, et de chacune d'entre elles à toutes, fait que chaque substance simple a des rapports qui expriment toutes les autres, et devient par conséquent un miroir vivant et perpétuel de l'univers. Or, comme la même ville, aperçue de différents lieux, ne paraît pas la même, et se multiplie, pour ainsi dire, avec les différents points de vue, il arrive aussi qu'à cause de la multitude infinie des substances simples, il existe en quelque manière autant d'univers différents qui ne sont pourtant que des représentations scénographiques du même univers, suivant les différents points de vue de chaque monade. Quoique chaque monade créée

(1) Théod., art. 7.

représente tout l'univers, elle représente cependant beaucoup plus distinctement le corps auquel elle est unie d'une façon particulière, et dont elle est l'âme; et parce que ce corps représente tout l'univers par la connexion qu'ont entre elles toutes les parties de la matière dans le plein, l'âme représente aussi tout l'univers, en représentant le corps auquel elle tient d'une manière spéciale. Le corps, toujours organique, est une espèce de machine divine ou d'automate naturel, qui surpasse d'une infinité de manières les automates artificiels; parce qu'une machine faite. par l'art des hommes n'est pas machine dans chacune de ses parties par exemple, les dents d'une roue ont des parties ou des morceaux qui ne sont point l'ouvrage de l'art, et n'ont rien qui soit machine, relativement à l'usage auquel la roue est destinée. Mais les machines de la nature, c'està-dire les corps vivants, sont encore machines dans les plus petites parties, la division fût-elle poussée à l'infini; et c'est en cela que consiste la différence entre la nature et l'art, c'est-à-dire entre l'art de Dieu et l'art des hommes. Rien ne pouvait empêcher l'auteur de la nature de mettre en œuvre cet admirable et divin artifice, parce que chaque partie de matière non-seulement est divisible à l'infini, vérité que les anciens ont reconnue, mais encore actuellement subdivisée à l'infini,

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