Page images
PDF
EPUB

Descartes, tout résulte d'elles, sans qu'il soit besoin d'une intervention particulière de Dieu. Que telle soit sa pensée, écoutons. Après quelques suppositions sur la grandeur et le mouvement que Dieu aurait donnés aux parties de l'étendue, il ajoute : <<< II importe fort peu de quelle façon je suppose ici que la matière ait été disposée aucommencement, puisque sa disposition doit par après être changée suivant les lois de la nature, et qu'à peine en saurait-on imaginer aucune de laquelle on ne puisse prouver que par ces lois elle doit continuellement se changer, jusqu'à ce qu'enfin elle compose un monde entièrement semblable à celui-ci, bien que peut-être cela serait plus long à déduire d'une supposition que d'une autre. Car ces lois étant cause que la matière doit prendre successivement toutes les formes dont elle est capable, si on considère par ordre toutes ces formes, on pourra enfin parvenir à celle qui se trouve à présent en ce monde. Ce que je mets ici expressément, afin qu'on remarque, qu'encore que je parle de suppositions, je n'en fais néanmoins aucune dont la fausseté, quoique connue, puisse donner occasion de douter de la vérité des conclusions qui en seront tirées (1).»

Newton dit vrai : « C'est à celui qui a créé les

(1) Princ., part. 1, art. 47.

particules de la matière qu'il appartenait de les mettre en ordre. Et s'il l'a fait, ce n'est pas agir en philosophie que de rechercher aucune autre origine du monde, ou de prétendre que les simples lois de la nature aient pu tirer le monde du chaos, quoique étant une fois fait, il puisse continuer plusieurs siècles par le secours de ces lois. Car, tandis que les planètes se meuvent en tous sens dans des orbes extrêmement excentriques, un destin aveugle ne saurait jamais faire mouvoir toutes les planètes en un même sens dans des orbes concentriques, à quelques irrégularités près de nulle impor_tance, lesquelles peuvent provenir de l'action mutuelle entre les comètes et les planètes, et qui seront sujettes à auginenter, jusqu'à ce que ce système ait besoin d'être réformé. Une uniformité si merveilleuse dans le système planétaire doit être nécessairement regardée comme l'effet du choix. Il en est de même de l'uniformité qui paraît dans les corps des animaux; car, en général, les animaux ont deux côtés, l'un droit, l'autre gauche, formés de la même manière; et sur ces deux côtés, deux jambes par derrière, et deux bras, ou deux jambes, ou deux ailes, par devant, sur leurs épaules; et entre leurs épaules un cou qui tient par en bas à l'épine du dos avec une tête par-dessus, où il y a deux oreilles, deux yeux, un nez, une bouche et une langue, dans une égale si

tuation. Si après cela, vous considérez à part la première formation de ces mêmes parties dont la structure est si exquise, comme celle des yeux, des oreilles, du cerveau, des muscles, du cœur, des poumons, du diaphragme, des glandes, du larynx, des mains, des ailes, de la vessie d'air qui soutient les poissons dans l'eau, des membranes pellucides dont certains animaux se couvrent les yeux à leur gré et qui leur tiennent lieu de lunettes naturelles, et la formation des autres organes des sens et du mouvement; si vous joignez à ces considérations celle de l'instinct des brutes et des insectes, vous conviendrez que tout cet artifice ne peut être que l'effet de la sagesse et de l'intelligence d'un agent tout-puissant, toujours vivant et présent partout (1). » Quoique vulgaires et uniquement prises dans la physique et l'histoire naturelle, ces considérations ne manquent pas de force contre le passage de Descartes. En présentant le mouvement des planètes dans un même sens, comme une preuve de la Providence, Newton a plus raison qu'il ne croit lui-même, puisque ce mouvement fait que les variations séculaires des excentricités et des inclinaisons des orbites, sont renfermées dans d'étroites limites. S'il avait songé à l'incommensurabilité des moyens mouvements, qui ne permet

(1) Op., quest. 31. Scolie à la fin du livre des Principes.

[ocr errors]

aux grands axes que des variations périodiques, il aurait eu les deux conditions de la stabilité du système du monde, qui, par conséquent, est affranchi du besoin d'être réformé.

Mais c'est à Leibnitz qu'il appartenait de combattre l'opinion de Descartes par des réflexions puisées dans un ordre supérieur. « Après avoir, dit-il, détourné les philosophes de la recherche des causes finales, ou, ce qui est la même chose, de la considération de la sagesse divine dans l'ordre des choses, qui, à mon avis, doit être le plus grand but de la philosophie, Descartes en fait entrevoir la raison dans un endroit de ses Principes, où, voulant s'excuser de ce qu'il semble avoir attribué arbitrairement à la matière certaines figures et certains mouvements, il dit qu'il a eu droit de le faire, parce que la matière prend successivement toutes les formes possibles, et qu'ainsi il a fallu qu'elle soit enfin venue à celles qu'il a supposées. Mais si ce qu'il dit est vrai, si tout possible doit arriver, et s'il n'y a point de fiction, quelque indigne et absurde qu'elle soit, qui n'arrive en quelque temps, ou en quelque lieu de l'univers, il s'ensuit qu'il n'y a ni choix ni Providence: que ce qui n'arrive point est impossible, et que ce qui arrive est nécessaire. Justement comme Hobbes et Spinosa le disent en termes plus clairs. Aussi peut-on dire que Spinosa n'a fait

que cul

tiver certaines semences de la philosophie de M. Descartes (1).» Nul doute, établir la fatalité dans le monde des corps, c'est l'établir dans le monde des esprits, c'est l'établir en Dieu; c'est supposer que les choses sortent de lui par un mouvement brute, comme l'eau d'une source. Si Dieu est intelligent et libre, rien n'existe où n'éclate l'intelligence et la liberté, c'est-à-dire, la prévoyance et le choix; et si on prétend que la prévoyance et le choix manquent quelque part, Dieu n'est point intelligent et libre; car embrassant tout, il se montre partout selon ce qu'il est. Par la fatalité dans la formation et l'arrangement des corps, comme par leur inactivité, Descartes tend donc au panthéisme.

Croit-on que cette doctrine appartienne au même homme, qui, avec l'idée de perfection infinie, considérée comme constituant le fond de la pensée, a prouvé l'existence de Dieu avec une vigueur de raisonnement dont on n'avait peut-être pas encore vu d'exemple, et qui, à la fin, « s'arrête à la contemplation de ce Dieu tout parfait, considère, admire, adore l'incomparable beauté de cette immense lumière, au moins autant que la force de son esprit, qui en demeure en quelque sorte ébloui, le lui pourra permettre, » et qui compare cette

(1) Op., t. II, p. 245.

« PreviousContinue »