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dont elle vient. La fonction eo, qui est elle-même sa dérivée, se trouve, comme on veut, individuel ou universel, algébrique ou différentielle. Il en est ainsi des fonctions qu'elle sert à intégrer, et en particulier des différentielles à indice fractionnaire, négatif, traitées par M. Liouville.

Telle est la vraie métaphysique du calcul différentiel, qui a tant occupé les géomètres, et qui, selon d'Alembert, « est encore plus importante et peut-être plus difficile à développer que les règles mêmes de ce calcul. (1) » Oui, elle est difficile si on la cherche, non dans la nature des idées, où elle se trouve, mais dans les principes des opérations mathématiques, où elle ne se trouve pas. D'après cette métaphysique, on pourrait dire, par forme de comparaison, que le Dieu de Spinosa est la différentielle de l'univers, et l'univers l'intégrale du Dieu de Spinosa.

(1) Encyc. meth., art. différentiel.

PARTIE III.

CONSIDERATIONS GÉNÉRALES

PHILOSOPHIQUES, PHYSIQUES, MATHÉMATIQUES.

CHAPITRE PREMIER.

Optimisme.

Après avoir considéré les idées, les substances spirituelles et corporelles, l'union de l'âme et du corps, la révolution survenue en nous dans la chute primitive, les éléments, la terre et les cieux, enfin les choses en particulier et en elles-mêmes, voyons leur ensemble et leur rapport avec Dieu.

Descartes enseigne que Dieu n'a aucune idée

des choses qu'il crée. « Il répugne, dit-il, que la volonté de Dieu n'ait pas été de toute éternité indifférente à toutes les choses qui ont été faites ou qui se feront jamais, n'y ayant aucune idée qui représente le bien ou le vrai, ce qu'il faut croire, ce qu'il faut faire, ce qu'il faut omettre, qu'on puisse feindre avoir été l'objet de l'entendement divin, avant que sa nature ait été constituée telle par la détermination de sa volonté. Et je ne parle pas ici d'une simple priorité de temps, mais bien davantage, je dis qu'il a été impossible qu'une telle idée ait précédé la détermination de la volonté de Dieu par une priorité d'ordre, ou de nature, ou de raison raisonnée, ainsi qu'on la nomme dans l'école, en sorte que cette idée du bien ait porté Dieu à élire l'un plutôt que l'autre. Par exemple, ce n'est pas pour avoir vu qu'il était meilleur que le monde fût créé dans le temps que dans l'éternité, qu'il a voulu le créer dans le temps; et il n'a pas voulu que les trois angles d'un triangle fussent égaux à deux droits, parce qu'il a connu que cela ne se pouvait faire autrement, etc.; mais au contraire, parce qu'il a voulu créer le monde dans le temps, pour cela il est aussi meilleur que s'il eût été créé dès l'éternité; et d'autant qu'il a voulu que les trois angles d'un triangle fussent nécessairement égaux à deux angles droits, pour cela, cela est maintenant vrai, et il ne peut pas être autrement, et ainsi de toutes les au

tres, choses (1). Et ailleurs il n'hésite point à déclarer : « qu'il a été aussi libre à Dieu de faire qu'il ne fût pas vrai que toutes les lignes tirées du centre à la circonférence fussent égales, comme de ne pas créer le monde (2). » Conséquemment il ne veut point qu'on « s'arrête à examiner les fins que Dieu s'est proposées en créant le monde; car nous ne devons pas tant présumer de nous que de croire qu'il nous ait voulu faire part de ses conseils (3). » L'expression faire part de ses conseils est remarquable, signifiant que nous ne pouvons les connaître qu'autant qu'il plaît à Dieu de nous les découvrir. En effet, s'il n'a point en lui une raison qu'il consulte et que nous puissons aller consulter par la nôtre intérieurement et directement, le moyen que nous sachions ce qu'il veut, à moins qu'il ne nous le dise? Mais que devient alors le principe de la véracité divine, sur lequel nous avons vu Descartes appuyer la certitude de nos idées de Dieu et des autres choses, quand elles sont claires et distinctes? Il est renversé. Ce n'est plus seulement à l'égard des corps, mais de tout, qu'il nous faut une révélation, afin d'être certain que Dieu ne peut vouloir nous tromper. L'idée de perfection infinie, qui nous représente Dieu, cesse

(1) OEuv., t. II, p. 348. Méd. rep., obj. 6o.

(2) T. VI, p. 308. Lettres.

(3) Princ., part. 1, art. 28.

d'être une garantie, dès qu'enfermée tout entière dans notre entendement, elle n'est plus contemplée dans l'entendement divin, où elle jouit d'une existence essentielle. Ici Descartes se sape luimême dans son fondement. Si Dieu ne possède point en soi une raison qu'il interroge, il agit arbitrairement, il n'a point de dessein, il n'est qu'une puissance aveugle. Descartes l'avoue touchant la nature physique, bien que, par une de ces inconséquences à lui familières, il assure que notre corps est formé avec un art au-dessus de tout ce qu'on peut imaginer (1), et que Dieu a disposé toutes choses en nombre, poids et mesure (2). « Que Dieu, dit-il, ne crée que la matière et y établisse les lois du mouvement, qu'il en compose même un chaos le plus confus et le plus embrouillé que les poëtes puissent décrire, et ces lois seront suffisantes pour faire que les parties de ce chaos se démêlent d'ellesmêmes, et se disposent en si bon ordre, qu'elles auront la forme d'un monde très-parfait, et dans lequel on pourra voir tout ce qui paraît dans ce vrai monde (3). » Or, ces lois, qui dérivent de l'essence de la matière ou de l'étendue mise en mouvement, ont une nécessité géométrique qu'elles portent dans tout ce qui se fait, puisque, d'après

(1) OEuv.,t. IV, p. 336. De l'Homme. (2) Ibid., p. 263. Le Monde, ch, vn. (3) Ibid., ch. vi, p. 250.

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