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pas remarqué (1), » celui-ci lui répond : « J'avoue que ce calcul a beaucoup de rapport avec ce que vous, Fermat et d'autres aviez déjà trouvé, et qui n'était pas inconnu à Archimède lui-même. Peutètre cependant que ce qui existe aujourd'hui constitue un progrès assez considérable, puisque déjà l'on peut arriver à ce qui auparavant était inaccessible aux plus éminents géomètres, comme Huyghens même le reconnaît. Il en est peut-être de ce calcul comme du calcul analytique appliqué aux lignes coniques ou plus élevées. Qui ne sait qu'Apollonius et d'autres anciens avaient des théorèmes qui fournissent la base des équations par lesquelles Descartes désigna plus tard ces lignes? ce n'est cependant que par la méthode de Descartes que la chose est ramenée au calcul, de façon qu'on fait commodément et sans peine ce qui auparavant exigeait un grand travail de réflexion et d'imagination. C'est ainsi que mon calcul différentiel soumet à l'analyse même les quantités transcendantes auxquelles précédemment Descartes lui-même n'avait pu l'appliquer... De sorte que ce n'est pas sans raison que j'ai avancé, qu'au moyen de cette méthode, la géométrie dépasse infiniment les limites posées par Viète et par Descartes (2).

(1) « Calculus differentialis non est tam res nova quam nova loquendi formula, utut tu id forte non animadverteris. » Op. Leib., p. 124.

(2)« Fateor multa ei esse communia cum iis quæ et tibi, et Fermatio

«Il faut rendre cette justice à M. Newton, à qui la. géométrie, l'optique et l'astronomie ont de grandes obligations, qu'encore en ceci il a eu quelque chose de semblable de son chef, suivant ce qu'on a su depuis. Il est vrai qu'il se sert d'autres caractères : mais comme la caractéristique même est, pour ainsi dire, une grande part de l'art d'inventer, je crois que les nôtres donnent plus d'ouverture (1).» Tout en reconnaissant sans peine ce que son invention a de commun avec celle de Fermat, de Barrow, de Newton, Leibnitz marque la différence énorme qui l'en sépare.

La supériorité de ce calcul échappe d'abord à Huyghens. Sans lui, il avait trouvé la théorie du pendule, celles des développées; sans lui, il résolvait les problèmes de la courbe isochrone, de la chaînette, que les autres résolvaient avec lui; enfin

aliisque, imo jam ipsi Archimedi erant explorata; fortasse tamen res nunc multo longius provecta est, ut jam effici possint quæ antea summis geometris clausa videbantur, Hugenio ipso id agnoscente. Perinde fere se res habet ac in calculo analytico ad lineas conicas altioresve applicato : quis non videt Apollonium, et veteres alios habuisse theoremata quæ materiam præbent æquationibus, quibus Cartesius postea lineas designare voluit? Interim methodo Cartesii res ad calculum reducta est, ut jam commode ac nullo negotio fiant, quæ antea multo meditationis et imaginatiohis labore indigebant. Eodem modo calculo nostro differentiali etiam transcendentia analyticis operationibus subjiciuntur, quæ inde antea excluserat ipse Cartesius... Adeo ut videar non vane asseruisse geometriam hac methodo ultra terminos a Vieta et Cartesio positos in immensum promoveri.» Ibid., p. 127 et 191.

(1) Ibid., p. 301.

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sans lui, ayant, pendant plus de trente ans, étonné l'Europe par ses admirables inventions, on s'explique pourquoi il est quelque temps sans le regarder, et ne l'apprécie que lorsqu'il est comme ébloui de ses merveiles. Six ans après qu'il eut été publié, «j'ai vu de temps en temps, écrit-il à Leibnitz, quelque chose de votre nouveau calcul algébraïque dans les Actes de Leipsic, mais y trouvant de l'obscurité je ne l'ai pas assez étudié pour l'entendre, comme aussi parce que je croyais avoir quelque méthode équivalente, tant à trouver les tangentes des lignes courbes, où les règles ordinaires ne servent pas, qu'en plusieurs autres recherches. Mais sur ce que vous me dites maintenant de l'usage de votre analyse et algorithme dans les lignes que Descartes excluait, j'ai envie de l'étudier à fond, si je puis, en cherchant tout ce que vous en avez donné dans lesdits Actes. Je vois qu'entre autres utilités de votre méthode, vous comptez Mehodus tangentium inversa, qui serait encore de grande importance, si vous l'aviez telle que, la propriété de la tangente étant donnée, vous en puissiez déduire la propriété de la courbe. » Là il propose deux valeurs de sous-tangentes que nous supprimons, parce qu'il faudrait rapporter les intégrales que Leibnitz donne, et les explications dont il les accompagne; puis il ajoute : « Si votre méthode sert ici et aux autres choses que vous dites, vous

pouvez être sûr quel sera mon jugement, et vous m'obligerez fort et tous les autres géomètres en l'expliquant le plus clairement que vous le pourrez dans un traité exprès (1). » Cette lettre est du 24 août 1690. Le 10 octobre de la même année : « J'ai tâché, depuis ma dernière, d'entendre votre calculus differentialis, et j'ai tant fait que j'entends maintenant les exemples que vous en avez donnés, l'un dans la cycloïde, qui est dans votre lettre, l'autre dans la recherche du théorème de M. Fermat, qui est dans le journal de Leipsic de 1684. Et j'ai même reconnu les fondements de ce calcul et de toute votre méthode, que j'estime être très-bonne et très-utile (2). Cependant Huyghens dit encore qu'il croit avoir quelque chose d'équivalent dans cette méthode dont il a déjà parlé, laquelle sert aux tangentes et à d'autres recherches, et qui, nous le croyons, n'est que celle de Fermat abrégée, comme il semble résulter de deux morceaux du premier volume des œuvres complètes de Huyghens (3). Le 5 février 1692: « Ce que vous dites de votre calculus differentialis dans la recherche de la cycloïde, sans presque de méditation, me paraît incroyable. Vous apportez une nouvelle facilité au

(1) Christiani Hugenii aliorumque seculi xvII virorum celebrium exer – citationes mathematicæ et philosophicæ, 1833, p. 28.

(2) Ibid., p. 29.

(3) P. 490 et 498.

calcul, mais point l'invention qu'il faut dans les problèmes extraordinaires, non plus que Viète par l'algèbre (1). » Enfin le langage change: Huyghens, qui reconnaît au calcul différentiel l'avantage de la facilité, va bientôt lui reconnaître celui de l'invention. Le 22 octobre 1692 il avoue, dans une lettre à l'Hôpital, que le calcul différentiel «nous fait apercevoir souvent des vérités et des conséquences qui ne se présenteraient pas sans cela (2).» Dans une autre de la même époque, il lui dit, au rapport de Fontenelle, « qu'il voit avec surprise et avec admiration l'étendue et la fécondité de cet art; que, de quelque côté qu'il tourne sa vue, il en découvre de nouveaux usages; qu'enfin il y conçoit un progrès et une spéculation infinis (3). » Voilà ce qui fait dire à Leibnitz, dans l'endroit cité de sa réponse à Wallis, sur la prééminence du calcul différentiel, que Huyghens même la reconnaît, Hugenio ipso id agnoscente. On doit déplorer que Huyghens soit mort à l'heure où son esprit. s'ouvrait ainsi à la lumière, 1695; et il eût été curieux de voir ce qu'un homme qui avait tant tiré des méthodes antérieures aurait obtenu de celle-là.

La nature des différentielles excite des contes

(1) Exercit., p. 120.

(2) Ibid., p 239.

(3) Éloge de l'Hôpital.

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