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chose admirable, et aussitôt universellement étudiée et accueillie. Ainsi, dans cette supposition même, assurément la plus favorable aux partisans exagérés de la méthode newtonienne, celle de Leibnitz eût été encore une amélioration capitale qu'il leur eût fallu nécessairement apprendre. Cette réflexion, qui réduit la question à un point dont tout le monde peut être aujourd'hui juge, puisqu'il est indépendant de toute controverse fondée sur des titres littéraires, anéantit complétement la question de priorité élevée entre Newton et Leibnitz, puisqu'il en résulte une différence entière el capitale dans le résultat de leurs découvertes (1)........ Barrow, le maître de Newton, avait déjà donné depuis longtemps l'exemple de considérer la génération des lignes et des surfaces par le mouvement, et même par des mouvements composés de différentes vitesses, ce que l'on conçoit bien avoir pu naturellement porter Newton à considérer aussi en général les accroissements infiniment petits des quantités dans leurs rapports avec le mouvement; tandis que, par une succession d'idées également continue, mais tout à fait distincte, et peut-être plus philosophique, parce qu'elle était plus abstraite, et comme telle d'une application plus facile, Leibnitz a toujours été porté à considérer des diffé

(1) Ibid., art. Leibnitz, t. XXIII, p. 638.

rences, dans la génération desquelles il a ensuite découvert le véritable type qui distingue entre eux les résultats finis. Cette série d'idées séparément. propres à chacun de ces grands génies, et suivie par chacun d'eux depuis ses premiers pas jusqu'au terme de ses découvertes, nous semble offrir un caractère d'individualité qui suffirait pour qu'on dût attribuer à l'un comme à l'autre l'honneur d'ètre arrivé au calcul infinitésimal par ses propres vues et par une route indépendante, si les preuves matérielles qui peuvent établir ce fait littéraire étaient perdues; mais il n'y a plus lieu de douter, lorsque la discussion des titres authentiques, c'est-à-dire de ceux que la publicité donne, conduit à la même conséquence (1). » Nous renvoyons à cette discussion faite par Montucla (2), par Bossut (3) et par M. Biot, discussion trop étendue pour être rapportée ici, et assez bien présentée pour que nous ne songions point à en faire une autre. A ces considérations de M. Biot nous joindrons une remarque de M. Lacroix, qui les confirme.

« Les géomètres du continent ne négligèrent point non plus l'emploi des suites; mais ils n'allèrent pas jusqu'à en abuser, comme firent les géo

(1) Ibid., art. Leibnitz. t. XXIII, p. 631.

(2) Hist. des math., t. III, p. 102.

(3) Hist. des math., t. II, p. 62.

mètres anglais du second ordre, qui les appliquèrent souvent à des problèmes dont on pouvait avoir la solution par des équations finies, ainsi que le leur fit voir Jean Bernoulli; il eut même à cet égard un reproche fondé à faire à Newton, qui parut méconnaître la vraie difficulté d'un problème (celui des trajections orthogonales) proposé par Leibnitz aux géomètres anglais, après qu'ils lui eurent contesté ses droits à la découverte du calcul différentiel. Ce n'était point dans la recherche de l'équation différentielle de laquelle dépendait ce problème, mais dans son intégration générale que consistait le mérite de la solution. Newton, possédant des méthodes pour résoudre par les séries, soit les équations algébriques, soit les équations contenant des fluxions, c'est-à-dire des équations différentielles, crut en avoir fait assez en in diquant la manière de trouver celle qui résultait du problème de Leibnitz; et c'est sur quoi Jean Bernoulli, profondément affecté de l'injustice des Anglais envers ce dernier, se récria beaucoup.

« L'école de Newton proposa à son tour un pro blème à résoudre aux disciples de Leibnitz le choix de la question donne lieu à des remarques qui semblent avoir échappé aux historiens des nouveaux calculs, et qui jettent cependant quelque lumière sur le point qu'ils ont eu à débattre. Quand on fait attention au soin que Newton avait mis dans

la composition de son immortel ouvrage des Principes, pour le porter aussi en avant qu'il était possible de l'état de la science au moment où il écrivait, qu'il y a même inséré des résultats dont il n'a pas donné de démonstration, on doit être étonné de la manière incomplète dont il y traite le mouvement des projectiles dans les milieux résistants, comme le carré de la vitesse, cas le plus conforme à ce qui se passe dans la nature. Il n'ose attaquer la question directe; et pour la première fois appelant à son secours l'analyse algébrique, il quitte la synthèse qu'il regardait cependant comme la seule voie par laquelle il fût convenable de présenter une proposition nouvelle (1).

« Lors donc qu'on voit Keill faire de cette question directe le sujet d'un défi qu'il porte aux geomètres du continent, n'est-on pas en droit de conclure que non-seulement il la regardait comme un problème des plus difficiles, mais qu'en cela il était guidé par l'opinion qu'en avait conçue Newton luimême ? Quelle apparence que le promoteur de la querelle qui divisait les deux écoles eût osé s'aventurer contre Bernoulli, sans prendre ses sûretés? Il est bien évident néanmoins que le problème n'est pas le plus difficile de ceux qui ont été

(1) « Ut theorema fiat concinnum et elegans, ac lumen publicum sustinere valeat. Opuscul., t. I, p. 170.

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proposés et résolus à la naissance du calcul différentiel; mais, pour le traiter avec succès, il fallait le ramener à une équation différentielle, car la méthode des séries n'y apporte pas la facilité qu'elle donne pour beaucoup d'autres, et c'est par cette raison que Newton n'en vint pas à bout. Quant à Keill, il ne pensait pas appareniment qu'une chose qui avait échappé à l'auteur du livre des Principes fût possible; et il se trouva couvert de ridicule, lorsque Jean Bernoulli le somma de justifier sa provocation, en produisant la solution du problème qu'il avait proposé.

« On objectait en vain que, sous le rapport de l'application à la pratique, la solution de Bernoulli est à peu près inutile; elle était trop remarquable du côté analytique et géométrique, pour que Newton eût négligé de s'en faire honneur, s'il avait pu y atteindre par sa méthode. Son défaut de succès à cet égard et l'exposition de ses tentatives prouvent, ce me semble, que c'était uniquement par le développement en séries qu'il était arrivé aux nouveaux calculs, à peu près comme il l'indique lui-même dans la proposition X du livre H de ses Principes, et que cette voie ne lui donnait point un accès aussi facile à l'emploi des équations différentielles, que la considération immédiate des accroissements en eux-mêmes, à laquelle s'était attaché Leibnitz. Ainsi plus on rapproche toutes

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