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boles, n'ayant surpris le continu que dans la génération du cercle, de l'ellipse, de la parabole et de l'hyperbole, réservèrent exclusivement à ces courbes le nom de géométriques, et appelèrent mécaniques les autres qu'ils envisagèrent, savoir: la conchoïde, la cissoïde, la quadratrice et la spirale, dont ils n'obtenaient les points que un à un. Or, Descartes admet bien au rang des géométriques la conchoïde et la cissoïde, « parce qu'on peut les imaginer décrites par un mouvement conlinu, ou par plusieurs qui s'entre-suivent et dont les derniers sont entièrement réglés par ceux qui les précèdent, car par ce moyen on peut toujours avoir une connaissance exacte de leur mesure; >> mais il renvoie « la quadratrice et la spirale parmi les mécaniques, à cause qu'on les imagine décrites par deux mouvements séparés, et qui n'ont entre eux aucun rapport qu'on puisse mesurer exactement (1). » En effet, dans leurs équations, qui renferment la circonférence et des parties de la circonférence, le rayon et des parties du rayon, il entre un rapport incommensurable, je dis incommensurable, dans le degré de généralisation où Descartes le considère, et exprimé par les symboles dont il se sert, les chiffres, ou les lettres, qui représentent seulement des lignes droites.

(1) T. V, p. 335.

Mais s'ensuit-il que ce rapport ne puisse être mesuré d'aucune manière, ou considéré dans une plus haute généralité et exprimé par d'autres symboles? L'arc et le sinus, algébriquement incommensurables, ne cessent-ils pas de l'être à la limite ou dans l'ordre différentiel, puisque alors leur rapport est l'unité, et qu'ils peuvent être pris l'un pour l'autre?

Je remarque que le symbole de la quantité continue, dû à Descartes, ne représente point, par exemple, la circonférence en soi, mais telle ou telle circonférence. Dans x2+y'-R=0, je puis attribuer à x, y, R, une infinité de valeurs indifféremment; néanmoins je suis obligé de leur en attribuer toujours une, je veux dire une valeur déterminée, par conséquent d'exprimer une certaine circonférence, et non la circonférence même. Il en est ainsi pour les équations de toutes les courbes, et enfin pour une fonction variable quelconque, nom que l'on donne à la quantité continue et à son symbole. C'est l'individuel de la courbe ou de la fonction, qui est représenté, et non point l'universel, lequel, d'après cela, reste privé de symbole, et qui n'a point été envisagé mathématiquement par Descartes. Il s'est arrêté à moitié chemin, et n'a vu qu'une partie de ce qu'il fallait voir. Leibnitz a poursuivi et vu le tout. Il s'est-emparé de l'universel et lui a adapté un symbole, ce

qui forme le calcul différentiel, dont l'objet est de dégager l'universel dans les fonctions. Appliqué à y2 + x2 — R2 = 0, il donne ydy + xdx=0, équation qui n'exprime aucune circonférence particu– lière, mais la circonférence générale, dx, dy, étant indépendants de toute grandeur déterminée ou

finie. Quant à leur rapport

dy

dx

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y

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il représente

bien une grandeur déterminée, mais c'est la tangente trigonométrique de l'angle que la tangente à la circonférence fait avec l'axe des abscisses. Si dans ydy + xdx = 0, il se rencontre encore les grandeurs finies y, x, c'est que dans la quantité, non plus que dans la substance, l'universel ne peut s'isoler totalement et former un être à part. Il emporte toujours par quelque côté l'individuel avec lui, tout comme l'individuel emporte l'universel, qu'il comprend implicitement, et qu'il cache, ce qui n'empêche pas qu'on puisse s'occuper de l'un ou de l'autre séparément. L'individuel est-il donné immédiatement? la fonction ne contientelle que le symbole cartésien ou algébrique? on s'élève à l'universel par le calcul différentiel, qui le met en évidence, le rend explicite, en éliminant la partie de l'individuel dont il était couvert. Est-ce l'universel qui est immédiatement donné? la fonction contient-elle le symbole leibnitzien ou transcendant? On descend à l'individuel

par le calcul intégral, qui lui restitue la partie éliminée ou supposée telle, et rétablit la fonction dans son intégrité (1).

Les substances ont, dans leur universel, un point commun, une mesure exacte, quoique non calculable, qui est une mesure de perfection. L'universel des esprits, c'est d'être intelligents et voulants; celui des esprits et des corps, c'est simplement d'être. Les lignes droites et courbes, et plus généralement les fonctions, ont dans leur universel un point commun et une mesure exacte, qui est une mesure de quantité; leur universel, c'est d'être continues. Si les substances et les fonctions ne se formaient que d'universel, elles seraient toutes et entièrement commensurables, en sorte que, de substance à substance et de fonction à fonction, il n'y aurait que du plus au moins; mais comme elles se composent aussi d'individuel, il arrive que nulle substance ne se peut complétement mesurer, et qu'un nombre fort restreint de fonctions le peuvent. Pour l'arc d'une courbe quelconque on a l'expression transcendante exacte en lignes droites, dz=V dy2+dx2, z étant l'arc, y, x, des coordonnées rectilignes; quant à l'expression algébrique, elle est rarement possible. Il nous

(1) Pour de plus amples développements sur les principes ou la métaphysique du calcul différentiel, voir, à la fin de l'ouvrage, la théorie de l'infini.

suffit ici que toutes les fonctions soient commensurables dans l'une de leurs parties, pour conclure avec Leibnitz (1) contre Descartes, que toutes les courbes appartiennent à la géométrie et tombent sous le calcul. « Descartes admet dans la géométrie toutes les courbes dont la nature peut être exprimée par quelque équation algébrique, c'està-dire d'un degré déterminé. Il a raison jusque-là; mais, tout comme les anciens, il pèche en ceci, qu'il exclut de la géométrie une infinité de courbes qui peuvent cependant se décrire exactement, et les appelle mécaniques, parce qu'il ne peut pas les ramener à des équations et les traiter d'après ses règles. Mais il faut remarquer que ces courbes, comme la cycloïde, la logarithmique et autres de cette espèce, qui sont du plus grand usage, euvent aussi bien être exprimées par le calcul, et même par des équations finies, mais non pas algébriques, c'est-à-dire d'un degré déterminé, mais bien d'un degré indéterminé ou transcendant, et qu'ainsi, elles peuvent être soumises au calcul tout comme les autres. Il est vrai que ce calcul est d'une autre nature que celui qui est vulgairement employé (2). » L'erreur de Descartes venait de ce

(1) Op., t. V, p. 396.

(2) << Cartesius omnes curvas in geometriam recipit, quarum natura æquatione aliqua algebraica, seu certi alicujus gradus exprimi possit. Recte quidem, sed in eo peccavit non minus quam veteres, quod alias infinitas,

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