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s'y trouvait-elle déjà. Il est à désirer, dans l'intérêt de l'histoire, que cet ouvrage ne soit pas entièrement perdu (1). »

Jusqu'alors les mathématiques se bornaient à la géométrie élémentaire, à quelques propriétés simples des sections coniques et de trois ou quatre autres courbes, la spirale, la conchoïde, la cissoïde, la quadratrice, aux équations des quatre premiers degrés; encore celles du troisième et du quatrième ne sont résolues qu'au milieu du même siècle, par Tartaglia, Cardan et Ferrari. Avec Viète commence la théorie générale des équations. Il enseigne à chasser les fractions, les radicaux, à augmenter, diminuer, multiplier, diviser les racines, à faire disparaître le second terme; il réussit quelquefois à les résoudre, et donne une méthode d'approximation; il entrevoit les rapports qui existent entre les racines et les coefficients; aperçu qui est ensuite développé par Harriot.

Malgré cet essor, l'algèbre n'a pu s'élever entièrement au-dessus de l'étendue matérielle, et rompre les liens qu'elle fut forcée de contracter avec elle en naissant. Descartes les brise et l'affranchit. « La notation que l'on employait, dit

(1) Extrait d'une note de M. Chasles, Comptes rendus de l'Académie des Sciences, t. XII, no 18, 5 mai 1841, p. 751.

M. Biot, était encore grossière et affectée des rapports matériels par lesquels on liait l'algèbre à des idées de longueur, de superficie et de solidité. Or, l'algèbre est une langue qui a pour objet spécial et pour utilité principale d'exprimer purement les rapports 'abstraits des quantités. Il fallait donc, pour l'étendre, commencer par la dégager des considérations étrangères qui la limitaient : ce fut le premier service que lui rendit Descartes; et la métaphysique de son esprit... lui fut singulièrement utile dans cette circonstance. Selon cette ancienne limitation de l'algèbre, les produits successifs d'une même quantité étaient représentés dans les trois premières dimensions de l'étendue par un carré et par un cube en perspective, quelquefois par la lettre initiale Q ou C mise en haut de la quantité, quelquefois enfin par la répétition même de la lettre au moyen de laquelle la quantité était désignée. A toutes ces notations embarrassantes et qui retardaient la pensée, Descartes en substitua une claire, simple, générale et surtout calculable. I imagina de mettre un chiffre audessus de la quantité, et par les différentes valeurs de ce chiffre il désigna ses diverses puissances. Pour sentir toute l'importance de cette découverte, il ne faut que jeter les yeux sur les anciennes formules, et comparer leur embarras extrême avec la forme simple, et, pour ainsi dire, saisissable,

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que l'emploi des exposants leur a donnée (1). Oui, comme le dit M. Biot, l'esprit métaphysique de Descartes lui fut singulièrement utile dans cette circonstance. Quoique avant lui les exposants ne fussent pas tout à fait inconnus, on ne voit aucun analyste supérieur qui s'eu soit servi, ni qu'ils aient été utiles à l'avancement de la science. Pour la simplicité et la facilité, le symbole ne laisse rien à désirer, et, appliqué dans toute son extension, il est d'un usage si grand, qu'il entre dans presque tous les calculs. Bientôt Newton en fait la base d'une formule, le binome, qui contient en effet presque toutes les relations de la quantité. Il parvient à cette formule en voulant interpoler une série, afin d'obtenir la quadrature du cercle. On peut voir, dans ses Opuscules (2), la marche qu'il suit, retracée par lui-même.

Descartes reconnaît que les racines négatives, qu'on rejetait antérieurement comme fausses, ne diffèrent des racines positives qu'en ce qu'elles sont prises dans un sens contraire de celles-ci. Il donne une règle pour juger, par le seul aspect des signes, du nombre des unes et des autres, dans une équation qui n'en a que de réelles. « Il peut y en avoir, dit-il, autant de vraies que les signes ets'y trouvent de fois changés, et autant de

+et

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fausses qu'il s'y trouve deux signes ou deux signes qui s'entre-suivent. Comme en x* 4x3-19x16x1200, à cause qu'après +x* il y a -4x3, qui est un changement du signe +en et après 19x' il y a + 16x, et après +16x il y a 120, qui sont encore deux changements, on connaît qu'il y a trois vraies racines et une fausse, à cause que les deux signes — de 4x3 et 19x s'entre-suivent (1). » Fermat prend le change et lui reproche d'avancer faussement qu'il y a autant de racines vraies ou positives que de variations de signes, et de racines négatives que de permanences. Descartes le nie avec force : « J'ai dit seulement, répondit-il, qu'il y en peut autant avoir, et j'ai montré expressément quand c'est qu'il n'y en a pas tant, à savoir, quand quelquesunes de ces vraies racines sont imaginaires (2). ». En effet, il suffit d'ouvrir les yeux pour s'en convaincre. La même objection est renouvelée par Rolle (3). Six ans après, il est vrai, dans son traité d'algèbre (4), il déclare, avec une bonne foi digne d'éloge, qu'il n'attaquait point Descartes, mais ceux qui croyaient sa règle générale, et que s'il avait connu sa réponse à Fermat, il n'aurait pas

(1) T. V, p. 390.

(2) T. X, p. 357.

(3) Journal des Savants, 1684, p. 251.

(4) P. 270, an. 1690.

manqué de la citer pour autoriser les observations que lui, Rolle, avait faites dans le dessein de justifier Descartes. Cette objection est aussi reproduite par Wallis en 1685 (1), et par d'autres qui peut-être n'ont pas vu la réponse de Descartes, quoiqu'elle fût publiée depuis 1667, et qui sont aussi distraits que Fermat. Là même, Wallis gratifie Harriot de cette règle; mais plus loin (2) il la restitue à son véritable auteur. « Je reconnais que cette règle ne se trouve pas dans Harriot; elle est bien de Descartes (3). » Cependant, pour se dédommager de cette justice, il ajoute : « Mais elle est fausse (4). » Quoiqu'elle ne soit générale que dans le cas où l'équation ne renferme que des racines réelles, elle sert souvent à découvrir les racines imaginaires. « Ainsi dans l'équation x3+px2+3p2x-q=0, les signes indiquent une racine positive et deux racines négatives. Supposez que x=2p, ou x- -2p=0, et multipliez la première équation par x- 2p=0, de cette manière, l'équation résultante devra contenir une racine positive de plus que la première, et il viendra x — px3+p2x2· (6p2+q) x+2pq = 0, équa

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(1) P. 171 de son Algèbre, dans ses OEuvres complètes.

(2) P. 215.

(3) « Hanc regulam agnosco in Harriotto non haberi. Cartesianum hoc utique est. >>

(4) «Sed falsum est. >>

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