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" l'humide, le fec, le froid et le chaud étant les prin"cipes de tout, il faut bien que les couleurs en foient un compofé. "

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C'eft cet abfurde galimatias que des maîtres d'ignorance, payés par le public, ont fait refpecter à la crédulité humaine pendant tant d'années : c'eft ainsi qu'on a raisonné prefque fur tout jufqu'au temps des Galilée et des Defcartes. Long-temps même après eux, ce jargon qui déshonore l'entendement humain, a subsisté dans plufieurs écoles. J'ofe dire que la raifon de l'homme, ainfi obfcurcie, eft bien au-dessous de ces connaissances fi bornées, mais fi sûres, que nous appelons inftinct dans les brutes. Ainfi nous ne pouvons trop nous féliciter d'être nés dans un temps, et chez un peuple où l'on commence à ouvrir les yeux, et à jouir du plus bel apanage de l'humanité, l'ufage de la raifon.

Tous les prétendus philofophes ayant donc devinė au hasard, à travers le voile qui couvrait la nature, Defcartes eft venu, qui a levé un coin de ce grand voile. Il a dit : La lumière eft une matière fine et ", déliée, qui eft répandue par-tout, et qui frappe nos 29 yeux. Les couleurs font les fenfations que DIEU "excite en nous, felon les divers mouvemens qui " portent cette matière à nos organes. " Jufque-là Defcartes a eu raison; il fallait, ou qu'il s'en tînt là, ou qu'en allant plus loin, l'expérience fût fon guide. Mais il était poffédé de l'envie d'établir un fyftême. Cette paffion fit dans ce grand homme ce que font les paffions dans tous les hommes; elles les entraînent au-delà de leurs principes.

Il avait pofé pour premier fondement de la philofophie, qu'il ne fallait rien croire fans évidence; et

cependant,

cependant, au mépris de fa propre règle, il imagine trois élémens formés des cubes prétendus, qu'il suppose avoir été faits par le créateur, et s'être brisés en tournant sur eux-mêmes, lorsqu'ils fortirent des mains de

DIEU.

De ces prétendus dés brifés, atténués également de tous côtés, et enfin arrondis en boules, il lui plaît de faire la lumière qu'il répand gratuitement dans

l'univers.

Plus ce fyftême était ingénieusement imaginé, plus vous fentez qu'il était indigne d'un philofophe; et puifque rien de tout cela n'est prouvé, autant valait adopter le froid, le chaud, le fec et l'humide. Erreur pour erreur, qu'importe laquelle domine?

Selon Defcartes, la lumière ne vient point à nos yeux du foleil; mais c'eft une matière globuleufe répandue par-tout, que le foleil pouffe, et qui presse nos yeux comme un bâton pouffé par un bout preffe à l'inftant à l'autre bout. Il était tellement persuadé de ce fyftême que, dans fa dix-feptième lettre du troifième tome, il dit et répète pofitivement : J'avoue que je ne fais rien en philofophie, fi la lumière du soleil n'eft pas tranfmife à nos yeux en un inftant.

En effet, il faut avouer que tout grand génie qu'il était, il favait encore peu de chose en vraie philofophie; il lui manquait l'expérience du fiècle qui l'a fuivi. Ce fiècle eft autant fupérieur à Defcartes, que Defcartes l'était à l'antiquité.

1. Si la lumière était un fluide toujours répandu dans l'air, nous verrions clair la nuit, puifque le foleil fous l'hémisphère poufferait toujours ce fluide de la lumière en tout fens, et que l'impreffion en viendrait à Phyfique, &c.

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nos yeux; la lumière circulerait comme le fon; nous verrions un objet au-delà d'une montagne; enfin nous n'aurions jamais un fi beau jour que dans une éclipse centrale du foleil; car la lune, en paffant entre nous et cet aftre, prefferait ( au moins felon Descartes ) les globules de la lumière, et ne ferait qu'augmenter leur action.

2. Les rayons qu'on détourne par un prifme, et qu'on force de prendre un nouveau chemin, démontrent que la lumière fe meut effectivement, et n'eft pas un amas de globules fimplement preffés. La lumière fuit trois chemins différens en entrant dans un prifme; fes trois routes dans l'air, dans le prifme et au fortir du prifme, font différentes; bien plus, elle accélère fon mouvement dans le corps du prisme. N'est-il donc pas un peu étrange de dire qu'un corps qui change vifiblement trois fois de place, et qui augmente fon mouvement, ne fe remue point, et cependant il vient de paraître un livre dans lequel on ofe dire que la progreffion de la lumière eft une abfurdité.

3. Si la lumière était un amas de globules, un fluide exiftant dans l'air et en tout lieu, un petit trou qu'on pratique dans une chambre obfcure, devrait l'illuminer toute entière; car la lumière, pouffée alors en tout fens dans ce petit trou, agirait en tout fens, comme des boules d'ivoire rangées en rond ou en quarré s'écarteraient toutes, fi une feule d'elles était fortement preffée : mais il arrive tout le contraire; la lumière reçue par un petit orifice, lequel ne laisse passer qu'un petit cône de rayons, n'éclaire qu'un petit efpace de l'endroit qu'elle frappe.

4. On fait que la lumière qui émane du foleil jusqu'à nous traverse à peu près en huit minutes ce

chemin immense, qu'un boulet de canon confervant fa vîteffe ne ferait pas en vingt-cinq années.

L'auteur du Spectacle de la nature, ouvrage très-eftimable, eft tombé ici dans une méprise qui peut égarer les commençans, pour lefquels fon livre eft fait. Il dit que la lumière vient en fept minutes des étoiles, felon Newton; il a pris les étoiles pour le foleil. La lumière émane des étoiles les plus prochaines en fix mois, felon un certain calcul fondé fur des hypothèses très-prẻcaires. Ce n'eft point Newton, c'eft Huyghens et Hartfocker qui ont fait cette fuppofition. Il dit encore, pour prouver que DIEU créa la lumière avant le foleil, que la lumière est répandue par toute la nature, et qu'elle fe fait fentir quand les aftres lumineux la poussent; mais il eft démontré qu'elle arrive des étoiles fixes en un temps très-long or, fi elle fait ce chemin, elle n'était donc point répandue auparavant. Il eft bon de fe précautionner contre ces erreurs que l'on répète tous les jours dans beaucoup de livres qui font l'écho les uns

des autres.

Voici en peu de mots la fubftance de la démonftration fenfible de Roemer, que la lumière emploie fept à huit minutes dans fon chemin du soleil à la terre.

On observe de la terre en C ce fatellite de Jupiter, (figure 1. *) qui s'éclipse régulièrement une fois en quarante-deux heures et demie. Si la terre était immobile, l'obfervateur en C verrait, en trente fois quarantedeux heures et demie, trente émerfions de ce fatellite ; mais au bout de ce temps, la terre fe trouve en D,

(*) Voyez les planches à la fin de ce volume; les figures y font numé rotées conformément au texte.

alors l'observateur ne voit plus cette émerfion précisément au bout de trente fois quarante-deux heures et demie; mais il faut ajouter le temps que la lumière met à fe mouvoir de C en D, et ce temps eft affez long pour être obfervé avec précifion. Mais cet efpace C D eft encore moins grand que l'espace G H dans ce cercle qui représente le grand orbe que décrit la terre; le foleil eft au milieu ; la lumière, en venant du fatellite de Jupiter, traverse C D en dix minutes, et G H en quinze ou feize minutes. Le foleil eft entre G et H; donc la lumière vient du foleil en sept ou huit minutes.

Cette belle obfervation fut long-temps conteftée ; enfin on a été forcé de convenir de l'expérience, et le préjugé a tâché d'éluder l'expérience même. Elle prouve tout au plus, dit-on, que la matière de la lumière existant dans l'espace, et contiguë du soleil à nos yeux, met fept à huit minutes à nous tranfmettre l'impreffion du soleil; mais ne devrait-on pas voir qu'une telle réponse faite au hafard contredit manifeftement tous les principes mécaniques? Defcartes favait bien, et il avait dit que fi la matière lumineufe était, comme un long bâton, preffée par le foleil à un bout, l'impreffion s'en communiquerait à l'inftant à l'autre bout; donc fi un fatellite de Jupiter preffait une prétendue matière lumineufe confidérée comme un fil de globules, roide, étendu jufqu'à nos yeux, nous ne verrions point l'émerfion de ce fatellite après plufieurs minutes, mais dans l'inftant de l'émerfion même. Si pour dernier fubterfuge on fe retranche à dire que la matière lumineuse doit être regardée, non comme un corps roide, mais comme un fluide, on retombe alors dans l'erreur indigne de tout phyficien, laquelle fuppofe l'ignorance de l'action

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