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la rigueur me femble n'être autre chose qu'une contradiction dans les termes. Pour que les parties primitives de fel fe changent en parties primitives d'or, il faut, je crois, deux chofes, anéantir ces élémens du fel, et créer des élémens de l'or; voilà au fond ce que c'est que ces prétendues métamorphofes d'une matière homogène et uniforme, admises jufqu'ici par tant de philofophes; et voici ma preuve.

Il eft impoffible de concevoir l'immutabilité des efpèces, fans qu'elles foient compofées de principes inaltérables. Pour que ces principes, ces premières parties conftituantes ne changent point, il faut qu'elles foient parfaitement folides, et par conféquent toujours de la même figure. Si elles font telles, elles ne peuvent pas devenir d'autres élémens; car il faudrait qu'elles reçuffent d'autres figures: donc il eft impoffible que, dans la conftitution préfente de cet univers, l'élément qui fert à faire du fel foit changé en l'élément du mercure. Je ne fais comment Newton, qui admettait des atomes, n'en avait pas tiré cette induction fi naturelle. Il connaiffait de vrais atomes, des corps indivisibles, comme Gaffendi; mais il était arrivé à cette affertion par fes mathématiques; en même temps il croyait que ces atomes, ces élémens indivifés, se changeaient continuellement les uns en les autres. Newton était homme; il pouvait se tromper comme nous.

On demandera ici, fans doute, comment les germes des chofes étant durs et indivifés, ils peuvent s'accroître et s'étendre; ils ne s'accroiffent probablement que par affemblage, par contiguité; plufieurs atomes d'eau forment une goutte, et ainsi du reste.

Il restera à savoir comment cette contiguité s'opère,

comment les parties des corps font liés entre elles. Peutêtre eft-ce un des fecrets du Créateur, lequel fera inconnu à jamais aux hommes. Pour favoir comment les parties conftituantes de l'or forment un morceau d'or, il femble qu'il faudrait voir ces parties.

S'il était permis de dire que l'attraction eft probablement cause de cette adhésion et de cette contiguité de la matière, c'est ce qu'on pourrait avancer de plus vraisemblable: car en vérité, s'il eft démontré, comme nous le verrons, que toutes les parties de la matière gravitent les unes fur les autres, quelle qu'en foit la cause, peut-on rien penser de plus naturel, finon que les corps qui fe touchent en plus de points, font les plus unis ensemble par la force de cette gravitation? Mais ce n'eft pas ici le lieu d'entrer dans ce détail phyfique. (7)

(7) Si cette question d'une matière première n'est pas insoluble pour l'espèce humaine, elle l'eft certainement pour les philofophes de notre fiècle. Les chimiftes font obligés de reconnaître dans les corps un trèsgrand nombre d'élémens, les uns fimples et inaltérables dans nos expériences, les autres compofés et destructibles, mais dont les principes font encore peu connus. C'eft à bien reconnaître les principes fimples, à analyfer les principes compofés, à tâcher de réduire les premiers à un moindre nombre, à chercher à deviner le fecret de la combinaison des autres, dont la nature s'eft réservé jufqu'ici les moyens, que s'applique fur-tout la chimie théorique, depuis que cette science s'eft foumise comme les autres à la marche analytique; mais il y a loin de ce que nous favons à la connaissance d'une matière première, ou même d'un petit nombre de principes primitifs fimples et invariables.

CHAPITRE

I X.

DE LA NATURE DES ELEMENS DE LA MATIERE, OU DES MONADES.

Sentiment de Newton. Sentiment de Leibnitz.

c'eft dans

Si l'on a jamais dû dire, audax Japeti genus, la recherche que les hommes ont ofé faire de ces premiers élémens, qui femblent être placés à une diftance infinie de la fphère de nos connaissances. Peut-être n'y a-t-il rien de plus modeste que l'opinion de Newton, qui s'eft borné à croire que les élémens de la matière font de la matière, c'eft-à-dire un être étendu et impénétrable, dans la nature intime duquel l'entendement ne peut fouiller; que DIEU peut le divifer à l'infini, comme il peut l'anéantir, mais qu'il ne le fait pourtant pas, et qu'il tient fes parties étendues et infécables pour fervir de base à toutes les productions de l'univers.

Peut-être, d'un autre côté, n'y a-t-il rien de plus hardi que l'effor qu'a pris Leibnitz en partant de fon principe de la raison fuffifante, pour pénétrer, s'il fe peut, jufque dans le fein des caufes, et dans la nature inexplicable de ces élémens. Tout corps, dit-il, eft compofé de parties étendues: mais ces parties étendues, de quoi font-elles compofées ? Elles font actuellement, continue-t-il, divifibles et divifées à l'infini; vous ne trouvez donc jamais que de l'étendue. Or, dire que l'étendue eft la raifon fuffifante de l'étendue, c'eft

faire un cercle vicieux, c'eft ne rien dire; il faut donc trouver la raifon, la caufe des êtres étendus, dans des êtres qui ne le font pas, dans des êtres fimples, dans des monades la matière n'eft donc rien qu'un affemblage d'êtres fimples. On a vu, au chapitre de l'ame, que, selon Leibnitz, chaque être fimple est sujet au changement; mais ces altérations, ces déterminations fucceffives qu'il reçoit, ne peuvent venir du dehors, par la raison que cet être eft fimple, intangible et n'occupé point de place; il a donc la source de tous fes changemens en lui-même, à l'occasion des objets extérieurs : il a donc des idées : mais il a un rapport nécessaire avec toutes les parties de l'univers; il a donc des idées relatives à tout l'univers. Les élémens du plus vil excrément ont donc un nombre infini d'idées. Leurs idées, à la vérité, ne font pas bien claires; elles n'ont pas l'apperception, comme dit Leibnitz, elles n'ont pas en elles le témoignage intime de leurs pensées ; mais elles ont des perceptions confufes du préfent, du paffé et de l'avenir. Il admet quatre espèces de monades: 1. les élémens de la matière qui n'ont aucune pensée claire : 2. les monades des bêtes qui ont quelques idées claires et aucune distincte; 3. les monades des efprits finis qui ont des idées confufes, des claires, des diftinctes: 4. enfin la monade de DIEU qui n'a que des idées adéquates.

Les philofophes anglais, je l'ai déjà dit, qui ne refpectent point les noms, ont répondu à tout cela en riant; mais il ne m'eft permis de réfuter Leibnitz qu'en raifonnant. Il me femble que je prendrais la liberté de dire à ceux qui ont accrédité de telles opinions: Tout le monde convient avec vous du principe de la raison

fuffifante; mais en tirez-vous ici une conféquence bien jufte? 1. Vous admettez la matière actuellement divifible à l'infini; la plus petite partie n'eft donc pas poffible à trouver. Il n'y en a point qui n'ait des côtés, qui n'occupe un lieu, qui n'ait une figure; comment donc voulez-vous qu'elle ne foit formée que d'êtres fans figure, fans lieu et fans côtés ? Ne heurtez-vous pas le grand principe de la contradiction en voulant fuivre celui de la raison fuffifante?

2. Eft-il bien fuffifamment raifonnable qu'un compofé n'ait rien de femblable à ce qui le compofe? Que dis-je, rien de femblable? il y a l'infini entre un être fimple et un être étendu ; et vous voulez que l'un foit fait de l'autre ? Celui qui dirait que plufieurs élémens de fer forment de l'or, que les parties conftituantes du fucre font de la coloquinte, dirait-il quelque chofe de plus révoltant?

3. Pouvez-vous bien avancer qu'une goutte d'urine foit une infinité de monades, et que chacune d'elles ait les idées, quoiqu'obscures, de l'univers entier ; et cela parce que, felon vous, tout eft plein, parce que dans le plein tout eft lié, parce que tout étant lié ensemble, et une monade ayant nécessairement des idées, elle ne peut avoir une perception qui ne tienne à tout ce qui eft dans le monde ?

Voilà pourtant les chofes qu'on a cru expliquer par lemmes, théorèmes et corollaires. Qu'a-t-on prouvé parlà ? ce que Cicéron a dit, qu'il n'y a rien de fi étrange qui ne foit foutenu par les philofophes. O métaphyfique nous fommes auffi avancés que du temps des premiers druides.

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