Page images
PDF
EPUB

qu'alors DIEU produit une idée dans notre ame; que réciproquement l'homme produit un acte de volonté, et DIEU agit immédiatement fur le corps en conféquence de cette volonté : ainfi l'homme n'agit et ne pense que dans DIEU; ce qui ne peut, me femble, recevoir un fens clair, qu'en difant que DIEU seul agit et pense pour nous. On eft accablé fous le poids des difficultés qui naiffent de cette hypothèse; car comment dans ce fyftême l'homme peut-il vouloir lui-même, et ne peut-il pas penser lui-même? Si DIEU ne nous a pas donné la faculté de produire du mouvement et des idées, fi c'est lui feul qui agit et pense, c'est lui feul qui veut. Non-feulement nous ne fommes plus libres, mais nous ne fommes rien, ou bien nous fommes des modifications de DIEU même. En ce cas il n'y a plus un ame, une intelligence dans l'homme, et ce n'eft pas la peine d'expliquer l'union du corps et de l'ame, puifqu'elle n'existe pas, et que DIEU feul exifte.

Le quatrième fentiment eft celui de l'harmonie préétablie de Leibnitz. Dans fon hypothèse l'ame n'a aucun commerce avec fon corps; ce font deux horloges que DIEU a faites, qui ont chacune un reffort, et qui vont un certain temps dans une correspondance parfaite ; l'une montre les heures, l'autre fonne. L'horloge qui montre l'heure ne la montre pas parce que l'autre fonne; mais DIEU a établi leur mouvement de façon que l'aiguille et la fonnerie fe rapportent continuellement. Ainfi l'ame de Virgile produifait l'Enéide, et sa main écrivait l'Enéide, fans que cette main obéît en aucune façon à l'intention de l'auteur; mais DIEU avait réglé de tout temps que l'ame de Virgile ferait des vers, et qu'une main attachée au corps de Virgile les mettrait

par écrit. Sans parler de l'extrême embarras qu'on a encore à concilier la liberté avec cette harmonie préétablie, il y a une objection bien forte à faire, c'est que fi, felon Leibnitz, rien ne fe fait fans une raison fuffifante, prise du fond des chofes, quelle raison a eu DIEU d'unir ensemble deux êtres incommenfurables, deux êtres auffi hétérogènes, auffi infiniment différens que l'ame et le corps et dont l'un n'influe en rien fur l'autre? Autant valait placer mon ame dans Saturne que dans mon corps. L'union de l'ame et du corps eft ici une chofe très-fuperflue. Mais le refte du fyflême de Leibnitz eft bien plus extraordinaire; on en peut voir les fondemens dans le Supplément aux actes de Leipfick, tome VII; et on peut confulter les commentaires que plufieurs allemands en ont faits amplement avec une méthode toute géométrique.

Selon Leibnitz, il y a quatre fortes d'êtres fimples, qu'il nomme monades, comme on le verra au chapitre IX. On ne parle ici que de l'espèce de monade qu'on appelle notre ame. L'ame, dit-il, eft une concentration, un miroir vivant de tout l'univers, qui a en foi toutes les idées confufes de toutes les modifications de ce monde, préfentes, paffées et futures. Newton, Locke et Clarke, quand ils entendirent parler d'une telle opinion, marquèrent pour elle un auffi grand mépris que fi Leibnitz n'en avait pas été l'auteur. Mais puifque de très-grands philofophes allemands fe font fait gloire d'expliquer ce qu'aucun anglais n'a jamais voulu entendre, je fuis obligé d'exposer avec clarté cette hypothèse du fameux Leibnitz, devenue pour moi plus refpectable depuis que vous en avez fait l'objet de vos recherches.

Tout être fimple, créé, dit-il, est sujet au changement,

fans quoi il ferait DIEU. L'ame eft un être fimple, créé, elle ne peut donc refter dans un même état; mais les corps étant composés ne peuvent faire aucune altération dans un être fimple; il faut donc que fes changemens prennent leur fource dans fa propre nature. Ses changemens font donc des idées fucceffives des chofes de cet univers; elle en a quelques-unes de claires; mais toutes les chofes de cet univers, dit Leibnitz, font tellement dépendantes l'une de l'autre, tellement liées entre elles à jamais, que fi l'ame a une idée claire d'une de ces chofes, elle a néceffairement des idées confufes et obfcures de tout le refte. On pourrait, pour éclaircir cette opinion, apporter l'exemple d'un homme qui a une idée claire d'un jeu ; il a en même temps plufieurs idées confufes de plufieurs combinaisons de ce jeu. Un homme qui a actuellement une idée claire d'un triangle, a une idée de plufieurs propriétés du triangle, lesquelles peuvent se présenter à leur tour plus clairement à son esprit. Voilà en quel fens la monade de l'homme eft un miroir vivant de cet univers.

Il eft aifé de répondre à une telle hypothèse, que fi DIEU a fait de l'ame un miroir, il en a fait un miroir bien terne, et que fi on n'a d'autres raifons pour avancer des fuppofitions fi étranges, que cette liaison prétendue indispensable de toutes les chofes de ce monde, on bâtit cet édifice hardi fur des fondemens qu'on n'aperçoit guère; car quand nous avons une idée claire du triangle, c'eft que nous avons une connaiffance des propriétés effentielles du triangle; et fi les idées de toutes ces propriétés ne s'offrent pas tout d'un coup lumineufement à notre esprit, elles Y font renfermées dans cette idée claire, parce qu'elles ont un rapport néceffaire

l'une avec l'autre. Mais tout l'assemblage de l'univers eft-il dans ce cas? Si vous ôtez une propriété au triangle, vous lui ôtez tout; mais fi vous ôtez à l'univers un grain de fable, le refte fera-t-il tout changé? Si de cent millions d'êtres qui fe fuivent deux à deux, les deux premiers changent entre eux de place, les autres en changent-ils néceffairement? ne confervent-ils pas entre eux les mêmes rapports? De plus, les idées d'un homme ont-elles entre elles la même chaîne qu'on fuppofe dans les chofes de ce monde? Quelle liaison, quel milieu néceffaire y a-t-il entre l'idée de la nuit et des objets inconnus que je vois en m'éveillant ? Quelle chaîne y a-t-il entre la mort paffagère de l'ame dans un profond fommeil, ou dans un évanouiffement, et les idées que l'on reçoit en reprenant fes efprits?

Tout être dans cet univers tient à l'univers fans doute; mais toute action de tout être n'est pas cause des événemens du monde. La mère de Brutus en accouchant de lui fut une des caufes de la mort de Cefar; mais qu'elle ait craché à droite ou à gauche, cela n'a rien fait à Rome. Il y a des événemens qui font effet et caufe à la fois. Il y a mille actions qui ne font que des effets fans fuite. Les aîles d'un moulin tournent et font brifer le grain qui nourrit l'homme; voilà un effet \qui eft cause : un peu de pouffière s'en écarte; voilà un effet qui ne produit rien. Une pierre jetée dans la mer Baltique ne produit aucun événement dans la mer des Indes. Il y a mille effets qui s'anéantiffent comme le mouvement dans les fluides.

Quand même il ferait poffible que DIEU eût fait tout ce que Leibnitz imagine, faudrait-il le croire fur une fimple poffibilité? Qu'a-t-il prouvé par tous ces

nouveaux efforts? qu'il avait un très-grand génie : mais s'eft-il éclairé, et a-t-il éclairé les autres? Chose étrange, nous ne favons pas comment la terre produit un brin d'herbe, comment une femme fait un enfant, et on croit favoir comment nous fefons des idées!

Si on veut favoir ce que Newton penfait fur l'ame et fur la manière dont elle opère, et lequel de tous ces fentimens il embraffait, je répondrai qu'il n'en fuivait aucun. Que favait donc fur cette matière celui qui avait foumis l'infini au calcul, et qui avait découvert les lois de la pefanteur ? il savait douter.

CHAPITRE

VIII.

DES PREMIERS PRINCIPES DE LA MATIERE.

Examen de la matière première. Méprife de Newton. Il n'y a point de tranfmutations véritables. Newton admet des atomes.

Il ne s'agit pas ici d'examiner quel fyftême était plus

ridicule, ou celui qui fefait l'eau principe de tout, ou celui qui attribuait tout au feu, ou celui qui suppose des dés mis fans intervalle les uns auprès des autres, et tournant je ne fais comment fur eux-mêmes.

Le fyftême le plus plaufible a toujours été qu'il y a une matière première indifférente à tout, uniforme et capable de toutes les formes, laquelle différemment combinée conftitue cet univers. Les élémens de cette matière font les mêmes; elle fe modifie felon les différens moules où elle paffe, comme un métal en fufion

devient

« PreviousContinue »