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Il faut, felon Newton, penfer de la durée comme de l'efpace, que c'eft une chofe très-réelle; car fi la durée n'était qu'un ordre de fucceffion entre les créatures, il s'enfuivrait que ce qui fe fesait aujourd'hui, et ce qui fe fit il y a des milliers d'années, feraient réellement faits dans le même inftant; ce qui eft encore contradictoire. Enfin, l'efpace et la durée font des quantités; c'eft donc quelque chofe de trèspofitif.

Il eft bon de faire attention à cet ancien argument, auquel on n'a jamais répondu : Qu'un homme aux bornes de l'univers étende fon bras, ce bras doit être dans l'espace pur; car il n'eft pas dans le rien: et fi l'on répond qu'il eft encore dans la matière, le monde, en ce cas, eft donc réellement infini; le monde eft donc DIEU en ce fens.

L'efpace pur, le vide exifte donc, auffi-bien que la matière, et il exifte même néceffairement; au lieu que la matière, felon Clarke, n'exifte que par la libre volonté du créateur.

Mais, dit-on, vous admettez un espace immenfe, infini; pourquoi n'en ferez-vous pas autant de la matière, comme tant d'anciens philofophes? Clarke répond: L'efpace existe néceffairement, parce que DIE U exifte néceffairement; il eft immenfe ; il eft, comme la durée, un mode, une propriété infinie d'un être néceffaire infini. La matière n'eft rien de tout cela, elle n'existe point néceffairement; et fi cette fubftance était infinie, elle ferait, ou une propriété effentielle de DIEU, ou DIEU même; or elle n'eft ni l'un ni l'autre ; elle n'eft donc pas infinie, et ne faurait l'être.

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On peut répondre à Clarke: La matière exifte néceffairement, fans être pour cela infinie, fans être DIEU; elle exifte, parce qu'elle exifte; elle est éternelle, parce qu'elle exifte aujourd'hui. Il n'appartient pas à un philofophe d'admettre ce qu'il ne peut concevoir.. Or vous ne pouvez concevoir la matière ni créée ni anéantie : elle peut très-bien être éternelle par fa nature; et DIE U peut très-bien, par sa nature, avoir le pouvoir immense de la modifier, et non pas celui de la tirer du néant : car tirer l'être du néant eft une contradiction; mais il n'y a point de contradiction à croire la matière néceffaire et éternelle, et DIEU néceffaire et éternel. Si l'espace exifte par néceffité, la matière exifte de même par néceffité. Vous devriez donc admettre trois êtres; l'espace dont l'existence ferait réelle, quand même il n'y aurait ni matière ni DIEU; la matière, qui, ne pouvant avoir été formée de rien, eft néceffairement dans l'efpace; et DIEU, fans lequel la matière ne pourrait être organisée et animée.

Newton lui-même, à la fin de fon optique, a femblé prévenir ces difficultés. Il foutient que l'efpace eft une fuite néceffaire de l'exiftence de DIEU. DIEU n'eft, à proprement parler, ni dans l'espace, ni dans un lieu ; mais DIEU étant néceffairement par-tout, conftitue par cela feul l'efpace immenfe et le lieu. De même la durée, la permanence éternelle est une fuite indispensable de l'exiftence de DIEU. Il n'eft ni dans la durée infinie, ni dans un temps, mais exiftant éternellement ; il conftitue par-là l'éternité et le temps. Voilà comme Newton s'explique; mais il n'a point du tout résolu le problême; il femble qu'il n'ait ofé convenir que DIEU eft dans l'efpace; il a craint les difputes.

L'espace immense, étendu, inféparable, peut être conçu en plufieurs portions; par exemple, l'espace où eft Saturne n'eft pas l'efpace où eft Jupiter; mais on ne peut féparer ces parties conçues; on ne peut mettre l'une à la place de l'autre comme on peut mettre un corps à la place d'un autre. De même la durée infinie, inféparable et fans parties, peut être conçue en plufieurs portions, fans que jamais on puiffe concevoir une portion de durée mife à la place d'une autre. Les êtres exiftent dans une certaine portion de la durée, qu'on nomme temps, et peuvent exister dans tout autre temps; mais une partie conçue de la durée, un temps quelconque ne peut être ailleurs qu'où il eft; le paffé ne peut être avenir.

L'efpace et la durée font donc, felon Newton, deux attributs néceffaires, immuables, de l'Etre éternel et immense. DIEU feul peut connaître tout l'efpace; DIEU feul peut connaître toute la durée. Nous mefurons quelques parties improprement dites de l'efpace, par le moyen des corps étendus que nous touchons. Nous mefurons des parties proprement dites de la durée, par moyen des mouvemens que nous apercevons.

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On n'entre point ici dans le détail des preuves phyfiques réservées pour d'autres chapitres; il fuffit de remarquer qu'en tout ce qui regarde l'efpace, la durée les bornes du monde, Newton, fuivait les anciennes opinions de Démocrite, d'Epicure, et d'une foule de philofophes rectifiés par notre célèbre Gaffendi. Newton a dit plufieurs fois à quelques français qui vivent encore, qu'il regardait Gaffendi comme un efprit très-jufte et très-fage, et qu'il fefait gloire d'être entièrement de fon avis dans toutes les chofes dont on vient de parler.

CHAPITRE II I.

DE LA LIBERTÉ DANS DIEU, ET DU GRAND PRINCIPE DE LA RAISON SUFFISANTE.

Principes de Leibnitz, pouffés peut-être trop loin. Ses raifonnemens féduifans. Réponse. Nouvelles inftances contre le principe des indifcernables.

NEWTON foutenait que DIEU infiniment libre, comme

infiniment puiffant, a fait beaucoup de chofes qui n'ont d'autre raison de leur existence que fa feule volonté. Par exemple, que les planètes fe meuvent d'Occident en Orient plutôt qu'autrement; qu'il y ait un tel nombre d'animaux, d'étoiles, de mondes, plutôt qu'un autre; que l'univers fini foit dans un tel ou tel point de l'espace, &c. la volonté de l'Etre suprême en est la feule raison.

Le célèbre Leibnitz prétendait le contraire, et se fondait fur un ancien axiome employé autrefois par Archimède; rien ne fe fait fans caufe ou fans raifon fuffifante, difait-il, et DIEU a fait en tout le meilleur, parce que s'il ne l'avait pas fait comme le meilleur, il n'eût pas eu raifon de le faire. Mais il n'y a point de meilleur dans les chofes indifférentes, difaient les newtoniens; mais il n'y a point de chofes indifférentes, répondaient les leibnitziens. Votre idée mène à la fatalité abfolue, disait Clarke; vous faites de DIEU un être qui agit par néceffité, et par conféquent un être purement paffif: ce

n'eft plus DIEU. Votre Dieu, répondait Leibnitz, est un ouvrier capricieux, qui fe détermine fans raifon fuffifante. La volonté de DIEU eft la raifon, répondait l'anglais. Leibnitz infiftait et fefait des attaques très-fortes en cette manière.

Nous ne connaiffons point deux corps entièrement femblables dans la nature, et il ne peut en être; car s'ils étaient femblables, premièrement cela marquerait dans DIEU tout puissant et tout fécond un manque de fécondité et de puiffance. En fecond lieu, il n'y aurait nulle raifon pourquoi l'un ferait à cette place plutôt que l'autre.

Les newtoniens répondaient: Premièrement il eft faux que plufieurs êtres femblables marquent de la ftérilité dans la puiffance du créateur; car fi les élémens des chofes doivent être abfolument femblables pour produire des effets femblables; fi, par exemple, les élémens des rayons éternellement rouges de lumière, doivent être les mêmes pour donner ces rayons rouges; fi les élémens de l'eau doivent être les mêmes pour former l'eau; cette parfaite reffemblance, cette identité, loin de déroger à la grandeur de DIEU, m'est un des plus beaux témoignages de fa puiffance et de fa fageffe.

Si j'ofais ajouter ici quelque chofe aux argumens d'un Clarke et d'un Newton, et prendre la liberté de difputer contre un Leibnitz, je dirais qu'il n'y a qu'un être infiniment puissant qui puiffe faire des chofes parfaitement femblables. Quelque peine que prenne un homme à faire de tels ouvrages, il ne pourra jamais y parvenir, parce que fa vue ne fera jamais affez fine pour difcerner les inégalités des deux corps; il faut

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